Dans la bibliothèque, lampe à poser en crépi de Marion Mailaender. Posée sur le sol, une œuvre de Thomas Leleu. La tabouret est signé Rikkert Paauw.
Les meubles de cuisine ont été commandés au designer Régis Jocteur Monrozier, talent repéré à la galerie La Traverse, à Marseille.
Pour Marion Mailaender, cette installation à Marseille a des allures de retour aux sources. Alors qu’elle achève le chantier de l’hôtel Tuba Club durant l’été 2020, elle décide avec son mari Thomas de quitter Paris pour revenir dans la ville où ils ont grandi. « On s’est dit qu’on allait voir tous nos amis pour profiter de cet endroit sympa et qu’on finirait par les envier. Il était temps de rentrer », raconte Marion. Si, initialement, elle quitte Marseille pour Paris, c’est en vue d’intégrer l’école Boulle, où elle se forme à l’architecture d’intérieur, avec une spécialisation en design de mobilier. Diplômée en 2002, elle se lance rapidement en indépendante, sur les conseils d’Alain Raynaud, architecte d’intérieur chez qui elle fait ses premières armes.
Peu de temps après, sa rencontre avec le créateur et galeriste Emmanuel Picault lui permet d’affirmer son style. « J’ai essayé de faire des appartements chic mais j’ai toujours eu un amour pour la couleur et les décalages. Je ne me retrouvais pas vraiment dans cette esthétique. J’ai rencontré Emmanuel et j’ai découvert sa manière de travailler, au Mexique : une méthode où on laisse la place à l’imprévu, aux défauts, à la patine. Je m’y suis reconnue. J’ai pu me libérer de tout ce que j’avais tenté de faire auparavant. Je me suis sentie davantage à ma place dans cette écriture », explique Marion à propos de son cheminement.
Dans la salle de bains, l’œuvre en forme de moule a été réalisée par Thomas Mailaender. Le miroir pare-brise est de Marion Mailaender.
Dans la chambre parentale, lit double vintage de Tobia Scarpa.
Cette réflexion la conduit à fonder sa propre galerie à Paris, qu’elle nomme Aimable sur rendez-vous. Un espace où elle nourrit sa créativité et met en lumière les artistes qui l’entourent, à travers l’organisation de plusieurs expositions. La galerie lui offre une première visibilité et lui ouvre les portes d’un projet décisif dans sa carrière. En 2017, Marion signe la boutique d’Amélie Pichard, jeune créatrice remarquée pour ses sacs ornés d’un crocodile et ses souliers au caractère bien trempé. « Sa créativité et ma méthode ont donné naissance à une boutique unique, différente de ce qu’on attendait dans ce quartier. On essayait les chaussures sur un lit, tout était présenté dans des placards… C’était très conceptuel, amusant, léger. Et sourtout, ça a changé la donne », se souvient Marion. Après ce projet, elle se sent autorisée à affirmer son style singulier tout en conservant ses références pointues. « J’ai eu la chance de rencontrer des personnalités plus âgées qui ont guidé mon approche quand je suis arrivée à Paris, comme Bob Calle, le père de Sophie Calle. Il m’a appris à regarder », raconte-t-elle. Ses inspirations sont majoritairement ancrées en Italie : Tobia Scarpa, Gae Aulenti, Lina Bo Bardi. Elle cite également la rigueur fonctionnelle d’Andrée Putman.

En 2020, pour Tuba Club à Marseille, elle livre sa vision d’un luxe décomplexé. Plus qu’un matériau ou une finition, pour elle, le luxe est un état d’esprit. Ce premier projet hôtelier la propulse dans une autre galaxie et lui donne la possibilité dedécrocher d’autres chantiers plus ambitieux. « Tuba a changé la manière dont les gens regardaient mon travail. Ce projet a fait consensus », analyse Marion.
C’est désormais à la Pointe-Rouge, à proximité de la mer, que vit en famille l’architecte d’intérieur, avec son mari artiste Thomas, leurs deux filles et leur chien Pamela. Le couple a jeté son dévolu sur une maison de 90 m2, séduit par la lumière qui baigne le jardin. Une bâtisse à repenser entièrement : « Il fallait se projeter, mais c’est justement ce que j’aime dans mes projets », explique Marion. Son intervention permet de gommer les défauts de la maison. Elle commence par revoir la distribution, en déplaçant l’entrée pour qu’elle se fasse par le jardin, et non plus par la cuisine. Elle agrandit la pièce à vivre en empiétant sur l’espace extérieur, puis sacrifie une chambre pour donner l’accès à un étage qu’elle crée de toutes pièces, avec en prime un rooftop. « Thomas ne voulait pas de Placo dans cette maison. Pour l’extension, on a utilisé des carreaux de brique laissés bruts, les placards sont en MDF simplement huilés et, dans la salle de bains, les murs sont enduits à la chaux », détaille Marion. Sur le palier, trône un meuble signé Sottsass Associati pour Esprit. Dans la chambre, un lit chiné par Thomas fait face à un banc de Pierre Sala. Marion s’exprime également dans la pièce à vivre, qu’elle enrichit de multiples interventions. Pour y faire pénétrer la lumière, elle mise sur des fenêtres à guillotine. Afin de structurer l’espace, elle choisit d’ajouter un rideau : « La forme de cette pièce ne me plaisait pas parce qu’il y avait une porte d’un côté, et une autre qui menait à un couloir. J’ai eu l’idée de ce rideau qui théâtralise la pièce et en transforme le volume », explique-t-elle.
Lampadaire de Franz West. Petite table de Wendy Andreu, avec une lampe d’Arnaud Eubelen.
Le banc est signé de Pierre Sala.
Dans cet espace gravitent des pièces vintage et du mobilier imaginé par une nouvelle garde de créateurs soutenus par le couple. Les canapés verts viennent d’un déballage à Avignon : le modèle Amanta, conçu par Mario Bellini en 1966, réédité cette année par l’éditeur scandinave Hay. La petite table en métal est signée Wendy Andreu. Quelques créations de Marion et Thomas ponctuent l’espace : au mur du salon, une œuvre en résine de Thomas dialogue avec un tabouret également confectionné par ses soins dans la même matière. Les tables basses, un vase en marbre et une lampe en crépi, issus du répertoire de Marion, trouvent leur place répartis sur les deux niveaux. Dans la salle de bains, une sculpture en forme de moule, réalisée par Thomas pendant son cursus à la Villa Arson, côtoie un miroir pare-brise signé de Marion. « Pour nous, cette maison est un laboratoire », résume-t-elle. À l’image de son exposition au festival Design Parade Toulon 2024, qu’elle présidait, Marion y trouve une liberté d’expression totale, lui permettant d’explorer toutes les facettes de sa pratique : design, architecture d’intérieur, scénographie… toujours avec un brin de malice bien dosé.
Au mur, œuvre en résine de Thomas Mailaender. Fauteuil vintage Amanta, dessiné par Mario Bellini.
Dans la cage d’escalier de l’extension en briques rouges, applique néon de Michelangelo Pistoletto.