Le dramaturge britannique est décédé à son domicile, a annoncé son agence. Il était âgé de 88 ans.

Tom Stoppard était un des derniers grands dramaturges de la scène anglaise et celui qui n’a pas encore vu, au théâtre, Rosencrantz et Guildenstern sont mort, il leur est fortement conseillé de regarder le film éponyme qu’il réalisa et qui reçut le Lion d’Or au Festival de Venise en 1990. Tous les « hamletiens » connaissent cette pièce grandiose qu’on dirait tout droit sorti d’un pur descendant de Beckett. Ici, l’intrigue de la plus célèbre tragédie de Shakespeare est revisitée façon Godot : deux acolytes (deux courtisans, anciens condisciples du prince Hamlet) sont ici promis à un destin fatal et assistent, médusés et comiquement impuissants, au déploiement de l’histoire qui les englobe, les condamne à mort sans jamais comprendre goutte à ce qui leur arrive.

Cette pièce prodigieuse, écrite au milieu des années 1960, eut un succès retentissant et restera comme la plus grande réussite – avec Arcadia, autre chef-d’œuvre – de leur auteur surdoué. On ne peut s’en lasser. Voilà ce qu’on appelle un « classique ». John Fleming, un éminent professeur d’Etudes théâtrales à la Texas State University raconte cette anecdote qui nous renseigne sur l’humour de Stoppard : « Lorsque quelques rares critiques se présentèrent à la réception qui suivit la première de Rosencrantz et Guildenstern sont morts à Broadway en 1967, Tom Stoppard se tourna vers sa femme et se livra à une parodie d’entretien : « Question : M. Stoppard, de quoi votre pièce parle-t-elle ? Réponse : De l’agent qu’elle va me faire gagner. » » Et il n’avait pas tort. Rosencrantz et Guildenstern firent sa fortune et sa réputation.

Le «Premier Folio» de Shakespeare, volé puis retrouvé, exposé en Angleterre


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Tom Stoppard est né à Zlin, en 1937, sous le nom de Tomas Straüssler. Issu d’une famille juive de Tchécoslovaquie (il n’apprit sa judéité qu’en 1994), ses parents durent quitter le pays la veille de l’invasion des Nazis en 1939 et s’installèrent à Singapour où ils furent à nouveau contraints de fuir lors de l’invasion japonaise en 1942. La mère et ses deux fils partirent pour l’Inde. Le père, le docteur Straüssler, resta à Singapour d’où il ne reviendra pas. Après la guerre, la mère se remaria avec un officier de l’armée britannique, Kenneth Stoppard et la famille s’installa en Angleterre et les enfants prirent le nom de leur beau-père. L’enfant Tom Stoppard ne brille guère dans ses études. Il quitta l’école à dix-sept ans mais en sachant bien plus de choses que ses camarades : il lit sans répit. Il travaille alors pendant six ans comme journaliste et, à vingt-trois ans, il se jette comme on dit dans l’écriture de pièces de théâtre. Au cours des sept années qui suivirent, il gagne sa vie en faisant des piges tout en écrivant des pièces pour la radio, la télévision et la scène. Lorsqu’il Rosencrantz fut créé au National Theatre à Londres, il devint célèbre du jour au lendemain et se retrouva au panthéon des meilleurs dramaturges.

Jongleur à la culture encyclopédique

D’autres pièces confirmèrent le talent inouï de l’auteur : Les acrobates (Jumper,1972), Parodies (Travesties, 1974) basées sur la structure de L’important d’être Constant d’Oscar Wilde où il met en scène le comédien Henry Carr, Tristan Tzara, James Joyce et Lénine, Night and Day (1978) sur la liberté de la presse, La Vraie vie, (The Real Thing, 1982), une comédie sur le couple, Hapgood (1989), un thriller sur fond d’espionnage et ce chef-d’œuvre, Arcadia (1993), pièce qui navigue entre plusieurs époques, enquête littéraire et comédie de salon qui joue sur l’opposition entre romantisme et classicisme. Citons également Indian Ink (1995), The Invention of Love (1997), The Coast of Utopia (2002), Rock’n Roll (2006) et The Hard Problem (2015). Outre l’écriture théâtrale, Tom Stoppard, jongleur à la culture encyclopédique, s’est amusé au cinéma. Il est un scénariste hors catégorie : on lui doit Brazil de Terry Gilliam, L’Empire du Soleil de Steven Speilberg, une adaptation d’Anna Karenine… Il a obtenu l’Oscar du meilleur scénario original pour Shakespeare in Love (1998). Bref, son curriculum vitae impressionne ; ce drôle d’Anglais au visage de gitan, a du génie.

Lorsque Jean-Claude Carrière adapta The Real Thing en 1988 – la pièce fut jouée sous le titre La Vraie vie avec, entre autres, Pierre Arditi, Yves Beneyton, Catherine Rich et Evelyne Bouix – il déclara fort justement à propos de Stoppard : « Il a fait presque toute sa carrière d’auteur en Grande-Bretagne mais il y a indéniablement chez lui quelque chose de pas occidental, il appartient à notre Orient européen, à tous ces écrivains dont le plus illustre représentant est Tchekhov. Le trait typique de ces écrivains étant qu’ils laissent toujours quelque chose vivre entre les répliques (…) Stoppard a ceci de commun avec lui que tout passe entre les répliques. Les répliques sont là uniquement pour nous dire un peu où nous en sommes (…) » Stoppard est mort. Il a rejoint ses chers Rosencrantz et Guildenstern. Ils doivent jouer, à coup sûr, à pile ou face.