On s’accorde maintenant pour estimer que notre irresponsabilité et notre indécision risquent de provoquer une augmentation d’environ 4° du climat d’ici la fin du siècle ! Bien entendu toutes les régions du monde ne sont pas à égalité face aux catastrophes qui se profilent, et notre hexagone sera quand même beaucoup moins touché que les pays tropicaux. Nous avons quand même de bonnes chances de pouvoir conserver une agriculture productive, certes au prix d’énormes efforts d’adaptation. Le sud du pays sera beaucoup plus touché que le centre et le nord… mais beaucoup moins que l’Espagne par exemple, ou le Maghreb.

Les effets probables des changements climatiques sur l’agriculture française seront sensiblement au nord et au sud d’une ligne Bordeaux-Nîmes-Montpellier. A Toulouse, Béziers et Digne on aura beaucoup de mal à continuer à maintenir les productions actuelles. © 2015 Adapt2climat
En fait la France, de ce point de vue, coupée en 2 par une ligne qui va de Bordeaux à Nîmes et de Nîmes à Grenoble. Au sud de cette ligne, quoi qu’il arrive, on produira moins. Mais au nord de cette ligne, on a encore de bons espoirs de pouvoir produire correctement, à condition probablement de changer à la fois de plantes, d’espèces et de variétés à cultiver, mais aussi de techniques culturales. Mais tout est relatif : les canicules seront y moins fortes que plus au sud, et il continuera à y pleuvoir, quoique beaucoup plus irrégulièrement ; nous n’y sommes pas menacés par la désertification… sauf peut-être un seul département : les Pyrénées-Orientales. A Perpignan on observe une pluviométrie similaire à celle du Sahel depuis plusieurs années, et il n’y a pas de raison que la végétation ne se rapproche pas dangereusement de celle de cette région semi désertique.
Que sera le climat en 2060 et en 2100 dans les différentes régions françaises ?
Les agriculteurs, qui affrontent déjà de grosses difficultés années après années, ont besoin de visibilité, pour mieux comprendre où cette succession de catastrophes les amène et pouvoir élaborer des stratégies alternatives. Évidemment en la matière rien n’est sûr (ce qui fait le lit des climatosceptiques !), mais les probabilités sont quand même très fortes.

Evolution de la production et du rendement des céréales à paille entre 1995 et 2025. On voit que la production annuelle française, sur des surfaces inchangées, peut varier de 38 à 58 millions de tonnes en fonction du climat de l’année ! La production n’est dorénavant supérieure aux 50 millions de tonnes qu’une année sur deux… Le même phénomène peut être observé sur d’autres cultures emblématiques, comme le maïs, le tournesol, la pomme de terre ou la betterave… (Source : ministère de l’Agriculture)
À Paris et en Ile de France, le climat a déjà augmenté de plus de 2° depuis les années 50 ; le phénomène va s’accélérer bien évidemment. En 2060, le climat y ressemblera à celui de Montpellier actuellement, avec près de 4° supplémentaires en été et de 2° en hiver. Il est évident qu’on ne pourra pas produire de blé en Beauce et en Brie comme on le fait aujourd’hui, et avec les mêmes rendements. Mais ce n’est pas fini, et malheureusement en 2100 on risque de subir le climat de Cordoue en Andalousie espagnole, avec près de 7° de plus l’été, adieu les belles moissons de blé !
Le climat de Montpellier et de l’Occitanie en 2060 sera similaire au climat actuel de l’Afrique du Nord, comme Tunis. Il est probable qu’on ne pourra déjà plus y faire de vin.Les agricultures bretonnes et alsaciennes devront, elles, rapidement s’inspirer de ce qui se passe actuellement en Occitanie, et à terme en Algérie ! Avec des pointes de température en été plus élevées en Alsace (où on risque de monter jusqu’à 55°) qu’en Bretagne (où on ne sera menacé « que » de 46°) !

Evolution probable du climat de 4 villes françaises. Sources : https://ccexplorer.eu/ et https://www.ouest-france.fr/environnement/rechauffement-climatique
On voit déjà que les cultures traditionnelles de nos régions souffrent de plus en plus souvent, des sécheresses, des canicules, des tempêtes, des inondations, des maladies, des gels et des grêles intempestifs, etc. Au début, on parle de mauvaises années et de pas de chance, mais progressivement on est bien obligé de constater que ces phénomènes deviennent de plus en plus réguliers et que c’est le climat qui a changé. Il va donc falloir s’adapter.

On a du mal à y croire, mais le climat des régions situées au nord de la Loire va considérablement changer. Il sera vite impensable d’y maintenir la même agriculture, avec les mêmes variétés et les mêmes techniques culturales. Illustration de l’auteur à partir ces chiffres ci-dessus © Bruno Parmentier, tous droits réservés
En France, qui est un pays tempéré, la situation n’est absolument pas désespérée, puisque nous allons pouvoir acclimater chez nous des plantes qui poussaient habituellement plus au sud, en Espagne, en Italie, ou au Maghreb. Cela nécessitera naturellement beaucoup d’efforts mais pourra nous consoler de la migration de nos plantes traditionnelles vers la Grande-Bretagne ou le Danemark !
Si le climat bouge, les arbres devront bouger également.
Ceci est particulièrement vrai pour les plantes à cycles longs comme les arbres. Quand on plante un arbre, c’est pour 50, 100 ans, voire plus, et il est alors parfaitement logique de choisir, non pas les espèces qui poussaient il y a 50 ans facilement dans sa région, mais celles qui poussent actuellement dans les régions dont aura prochainement le climat. C’est ainsi que l’Office national des forêts a observé un accroissement de 80 % de la mortalité des arbres dans les 10 dernières années et estime que 300 000 hectares de forêts (soit 30 fois la superficie de Paris) sont déjà largement dépéris, et que 50 % de la forêt française pourrait avoir changé de visage d’ici 2070. A titre d’exemples :

Une bonne partie des arbres que nous avons l’habitude de voir dans nos régions vont devoir les quitter, nos paysages vont en être profondément transformés. Illustration de l’auteur. © Bruno Parmentier, tous droits réservés
- Les Chênes sessile et pédonculé, première essence de la forêt verraient 1/3 de leur aire actuelle devenir inhospitalière.
- Le retrait du Hêtre, qui couvre 15 % de la surface forestière, pourrait concerner les 2/3 de son aire actuelle, avec un repli vers les massifs montagneux et le nord-est de la France.
- Le Sapin, pourrait subir un recul l’ordre de 60 %, sur ses marges méridionales et à basse ou moyenne altitude.
- L’Épicéa, devrait se replier dans l’étage subalpin, sur seulement 1/10 de la surface qu’il occupe actuellement.
- Le Pin maritime, se voit menacé en Aquitaine et en région méditerranéenne. Mais il pourra gagner la moitié nord de la France.
Concernant les arbres fruitiers du sud de la France, il est très probable que les pêchers, abricotiers, pommiers, figuiers, cerisiers, etc. vont devoir migrer vers la moitié nord de la France. Les variétés actuelles, adaptées à un climat tempéré, subissent des floraisons précoces, les rendant plus vulnérables aux gels tardifs, peinent à lutter contre l’apparition de nouveaux parasites et à supporter les étés de plus en plus chauds et secs, ce qui entraîne des pertes de production et une baisse de la qualité des fruits.
Reste à déterminer par quelles espèces ils pourront être remplacés dans le sud-est de la France… On parle d’y acclimater le pistachier, l’amandier, le grenadier, le kaki et certains agrumes. Voire l’ananas (au commencement sous serre), le dattier, l’avocatier (mais ce dernier a besoin de beaucoup d’eau comme on l’a vu dans l’article sur l’avocat). Il semble urgent de multiplier dorénavant les essais, car on n’y arrivera certainement pas du premier coup…
Dans la moitié nord, les pommiers et poiriers traditionnels seront sensibles au manque de froid hivernal (besoin en heures de froid non satisfait), à l’avancée de la floraison (risque de gel tardif), et au stress hydrique en été ; les cerisiers seront vulnérables aux pluies printanières (éclatement des fruits) et aux coups de chaleur estivaux ; les pruniers, comme les mirabelliers ou quetschiers, souffriront des hivers trop doux et des étés secs.
Il est néanmoins probable qu’on puisse maintenir certaines de ces productions, au prix de changements pour des variétés plus résilientes, par exemple en pommiers ‘Akane’, ‘Santana’, ‘Dalinou’ (variétés tardives, résistantes à la tavelure) ou ‘Belle de Boskoop’ (résistante à la sécheresse), ou en poiriers : ‘Williams rouge’, ‘Passe-Crassane’ ‘Conférence’ (mieux adaptées aux climats doux et secs). A condition d’adapter également les pratiques culturales en adoptant par exemple le paillage (pour conserver l’humidité du sol et limiter le stress hydrique en été), l’irrigation raisonnée au goutte-à-goutte pour les jeunes plantations et pendant les périodes de sécheresse, ou la protection contre le gel tardif via des voiles d’hivernage ou des filets anti-gel pour les floraisons précoces.
Si le climat bouge, les cultures annuelles devront changer également
On l’a vu dans mon article sur l’avenir de la production de tomates dans l’ouest de la France, il est très probable que l’Espagne et le Maroc ne pourront plus cultiver de tomates dans les prochaines décennies. Or nous en importons 300 000 tonnes par an, la moitié de notre consommation ! Il y a place pour l’implantation de 1000 hectares de nouvelles serres de tomates, de La Rochelle à Brest et de Brest au Havre !

Les principales régions productrices de tomates sont actuellement la Bretagne, l’Aquitaine, la Provence-Alpes-Côte d’Azur et les Pays de la Loire. Potentiellement, on pourrait en particulier développer cette production en Normandie, voire dans les Hauts-de-France… © Bruno Parmentier

L’olivier, un arbre typique du bassin méditerranéen, va progressivement disparaître de Grèce et de Turquie pour s’implanter durablement en Bretagne, mais aussi en Grande Bretagne, aux Pays-Bas et au Danemark ! Source FAO et Serge Zaka
Les principales régions productrices de tomates sont actuellement la Bretagne, l’Aquitaine, la Provence-Alpes-Côte d’Azur et les Pays de la Loire. Potentiellement, on pourrait en particulier développer cette production en Normandie, voire dans les Hauts-de-France… © Bruno Parmentier
La vigne va aussi beaucoup bouger. Sa culture était carrément interdite en Bretagne depuis les années 30, mais cette interdiction a sauté en 2016 et on compte déjà 43 vignerons professionnels dans cette région (plutôt réputée pour son cidre), plus une association de vignerons bretons, qui souhaite produire un million de bouteilles dès 2030 et a initié des démarches pour obtenir une indication géographique protégée « Vin de Bretagne ».

Il est probable qu’on aura beaucoup de difficultés à maintenir durablement les vignobles en Espagne et en Italie… et en Occitanie, mais on ne tardera pas à gouter du vin breton ou anglais, voire danois ! © Agroclimat Serge Zaka
Il faut prendre conscience que les températures annuelles moyennes à Rennes entre 1991 et 2020 sont les mêmes que celles de Bordeaux entre 1951 et 1980…
L’élevage va aussi opérer un vrai déménagement
Tout comme nous, les vaches souffrent quand il fait chaud. La température idéale pour une vache laitière se situe entre 6°C et 13°C. Les vaches commencent à souffrir de stress thermique dès 24-26°C (surtout avec une humidité élevée) : augmentation de la fréquence respiratoire, halètement, baisse de l’appétit, déshydratation, baisse de la rumination. On observe 20 à 30 % de baisse de production pendant les épisodes de forte chaleur, avec une diminution du taux de protéines et de matières grasses, une augmentation du risque de mammite, acidose, fourbure, coup de chaleur, etc., et une forte diminution de la fertilité.
Cela conduira les éleveurs à prendre diverses mesures de prévention : isolation et ventilation des bâtiments, installation de ventilateurs, brumisateurs, ouverture accrue des bâtiments pour favoriser la circulation d’air, etc. Mais aussi à changer les troupeaux au profit de races mieux adaptées au nouveau climat (sachant que les races bovines qui supportent le climat tropical produisent beaucoup moins de lait que nos Holstein !).
Sans oublier le fait que, s’il faut chaud, les éleveurs devront affronter toutes les maladies des pays chauds, comme :
- Des maladies virales : Fièvre catarrhale ovine, Peste équine, Fièvre de la vallée du Rift, Fièvre du Nil occidental, Grippe aviaire, Peste porcine africaine, etc.
- Des maladies bactériennes : Leptospirose, Anthrax (charbon), etc.
- Des parasitoses : Leishmaniose, Strongles gastro-intestinaux, Douves (fasciolose), etc.
La diffusion de ces maladies réduira fortement la productivité des élevages et les revenus des éleveurs, compromettant la poursuite de leur activité.

Fièvre catarrhale ovine : Voies d’introduction des virus BTV en Europe, période 1998-2008. Une belle illustration de la constatation : « Si on a chaud, on aura aussi les maladies des pays chauds. Rappelons-nous que le moustique tigre est déjà remonté au nord de la Loire, on y est donc à la merci d’une épidémie de Chikungunia ou de Zaka ! Source : Wikipedia
Et, en plus, les perspectives de production d’herbes et de fourrages sont à revoir à la baisse, vu les sécheresses et canicules à venir, ou les excédents d’eau au printemps. C’est ainsi qu’en 2003, 2011 et 2022, on a manqué gravement de fourrage et que, faute de mieux, les agriculteurs se sont solidarisés pour transporter des milliers de tonnes de paille issue des zones céréalières vers les zones d’élevage. La paille est un aliment pauvre en sucres solubles, en matières azotées, en minéraux et en vitamines, encombrant et peu digestible, cependant elle permet de faire face au plus pressé, en y ajoutant des compléments alimentaires. On a utilisé également au maximum les sous-produits de l’industrie agro-alimentaire (pulpes de betteraves, lactosérum, drêches de brasserie, pommes, carottes, pommes de terre), une pratique qui pourrait devenir courante, mais qui obérera gravement les revenus des éleveurs. Les zones de fromage AOP seront particulièrement touchées (comme le Comté) car leur cahier des charges interdit l’importation de fourrage d’autres régions… Gageons que ça ne pourra pas durer si cela doit se reproduire chaque année. Il faudra donc bien délocaliser une partie de notre élevage.

Le transport de fourrages sur des grandes distances ne peut être qu’un pis-aller exceptionnel… S’il revient chaque année, c’est le signe qu’il faut finir réimplanter les élevages dans des zones plus favorables, et diminuer d’intensité ! Source Wikipedia