Par
Glenn Gillet
Publié le
30 nov. 2025 à 8h14
Quelques bouteilles de champagne traînent encore sur une table. Les membres du Centre d’archives LGBTQI +, structure unique en France, ont fêté comme il se doit la signature, lundi 24 novembre 2025, d’un bail pour leur futur local situé dans le 19e arrondissement de Paris. « Une victoire décisive » pour cette association, indépendante des services d’archives traditionnels, qui s’est longtemps battue pour exister et légitimer le fait de collecter, conserver et valoriser à sa manière des milliers de documents et d’objets produits par la communauté queer, des écrits aux vidéos en passant par des photos, des pancartes ou encore des costumes.
« C’est vraiment un tournant dans l’histoire de ce projet »
C’est au 149 rue de l’Ourcq, dans les murs d’un ancien établissement d’enseignement supérieur de 640 m² appartenant à la Régie immobilière de la Ville de Paris, que l’association devrait pouvoir déposer ses valises à partir de début 2027, après d’importants travaux pour un montant de 500 000 euros, dont 300 000 financés par la Ville après un vote au Conseil de Paris le 21 novembre.
Ce local permettra de pallier l’absence longtemps regrettée d’un lieu participant à raconter l’histoire des personnes faisant partie communautés LGBTQI + en France, là où des lieux à objectifs similaires existent depuis parfois plusieurs décennies dans d’autres grandes villes comme Berlin ou San Francisco.
200 mètres carrés seront dédiés au stockage et à la conservation des archives, qui se constituent aujourd’hui de 50 fonds d’archives de tailles disparates et dont certains comptent jusqu’à une dizaine de cartons : journaux lesbiens et gays pionniers, écriteaux brandis lors de manifestations comme les Marches des fiertés ou celles pour soutenir le projet de Mariage pour tous, drapeaux expérimentaux pour représenter certaines identités comme celle des personnes trans, carrés de tissus portant les noms des victimes du Sida dans le cadre du projet du « patchwork des noms »…

Le centre dispose d’un exemplaire du premier numéro du Gai Pied, magazine homosexuel français pionnier. (©GG/actu Paris)
Ce sont des milliers de fragments d’histoires collectives aux enjeux souvent aussi politiques et culturels que personnelles qui seront amenés à y être entreposés avec le meilleur soin, car les bénévoles reçoivent des formations dispensées par des archivistes professionnels.
Le reste du centre sera dédié à « la vie des archives » avec des espaces de bureaux, d’une cuisine visant à favoriser le lien entre les visiteurs et les équipes, et surtout d’un grand espace « modulaire » qui pourra accueillir aussi bien des projections de films, des débats et conférences mais aussi des performances artistiques, détaille Thierry Bertrand, bénévole du centre et membre de son conseil d’administration. De nombreuses opérations hors-les-murs sont également envisagées.
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Avec cette adresse rue de l’Ourcq, l’association va enfin disposer d’un lieu de manière pérenne, trois années après avoir investi un premier lieu temporaire afin de « préfigurer » le projet : un local au sein du tiers-lieu Césure/Plateau Urbain (5e arrondissement), l’ancien campus Censier de la Sorbonne-Nouvelle.
« C’est vraiment un tournant dans l’histoire de ce projet qui a plus de 20 ans et qui a mobilisé beaucoup de gens », partage Thierry Bertrand, « c’est une vraie bascule parce qu’enfin, on a le sentiment de sortir d’un grand marécage et d’avoir un terrain à nous à labourer et c’est très enthousiasmant ».
« On est les mieux placés pour écrire nous-mêmes nos histoires »
Le projet avait été lancé au début des années 2000 sous le premier mandat de Bertrand Delanoë, avant d’être rapidement enterré en raison de désaccords entre la municipalité et les militants, ainsi que de volonté politique. Il est ensuite relancé en 2017, dans le contexte du fort écho du film 120 Battements par minute, qui raconte la naissance de l’association Act Up-Paris. Mais là encore, le projet patine pendant plusieurs années. « L’objectif final, c’est de pouvoir transmettre et partager, avec la communauté, toutes ses histoires, ses cultures, de ses mémoires », explique Thierry Bertrand, mais « le premier combat, ça a été de faire comprendre qu’on voulait un centre à la fois autonome et communautaire, ça a été compliqué à faire comprendre à la mairie ».
Le centre défend aussi une approche peu orthodoxe des archives, auxquelles il accole d’ailleurs volontiers le qualificatif « vivantes ». « Nous, notre finalité ce n’est pas de stocker des archives dans des réserves et de faire comme tous les centres institutionnels classiques, ce qui n’est pas une critique, de les mettre essentiellement à disposition d’un certain public c’est-à-dire les chercheurs, les universitaires, les généalogistes, les historiens… Le grand public, lui n’y met pas les pieds », souligne Thierry Bertrand, « pour nous, tout le monde doit y avoir accès ».

Des dizaines de cartons d’archives sont déjà stockés par le centre sur son site actuel du 5e arrondissement de Paris. (©GG/actu Paris)
L’idée est ainsi de proposer des ressources pour permettre « d’écrire nous-mêmes nos histoires car nous, on estime qu’on est les mieux placés pour pouvoir faire ça, dans la mesure où on est les meilleurs experts et experts de nos vies, de nos parcours dans le contexte social très hétéronormé qui est le nôtre. Il faut bien constater que les archives de nos minorités, dans les archives institutionnelles, elles sont largement invisibilisées ou carrément absentes », souligne-t-il.
Ateliers collectifs de traitement des archives
Une des manières d’insuffler de la vie à ces archives est de proposer, lors d’un traitement d’un fonds d’archives, un déballage et un tri réalisé de façon collective, avec le public et si possible avec les personnes ayant apporté les documents et objets pour qu’elles puissent apporter des informations de contexte, souvent liées à leur histoire personnelle.
Pour les photos par exemple, l’idée est non seulement de pouvoir les dater mais aussi, ce qui est bien moins conventionnel, de retrouver les noms des personnes figurant sur les clichés. Ces ateliers de recueil d’archives sont par ailleurs enregistrés, afin de laisser un maximum de traces, au même titre que les récits individuels des personnes qui font l’objet de captations sonores et, de plus en plus, vidéos.

Le centre d’archives dispose d’une large collection de photos, comme ici des clichés de la « Marche gay » du 22 juin 1985, et cherche systématiquement à retrouver les noms des personnes photographiées. (©GG/actu Paris)
Une méthode qui tranche avec celle de la plupart des archivistes, qui font non seulement souvent face de manière très solitaire à certaines sources, mais qui peuvent aussi juger peu utiles des éléments que la communauté LGBTQI + considère, elle, comme cruciaux.
C’est le cas des archives d’Act Up, qui après avoir fait l’objet d’un premier tri de la part d’un archiviste membre et acteur de l’association, ont été confiées aux Archives nationales. Problème : elles ont à nouveau été triées et de nombreux objets ont été refusés. Par ailleurs, une partie des supports d’archives ne peut pas être conservée par certains acteurs institutionnels.
Le fonds d’Act Up s’est ainsi retrouvé divisé avec les écrits et photos transférés aux Archives nationales et d’autres objets comme des mégaphones, des costumes, des grandes banderoles, des badges ont été transférés dans des musées. Ce qui rend la consultation des archives plus compliquée et instaure, insidieusement, une hiérarchie entre les différents types d’archives.
Pour mener à bien son ambition, le centre estime qu’il devra disposer d’un budget de fonctionnement de 500 000 euros annuels, pour financer au minimum deux postes salariés à l’ouverture, et encore plus viser l’objectif minimum de six salariés à horizon 2032. Les discussions avec les financeurs publics sont en cours, mais le centre sait qu’il devra aussi faire appel à des structures privées, notamment celles qui sont investies dans la lutte contre les LGBTQI-phobies et pour la promotion de l’inclusivité en leur sein.
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