L’Europe est-elle en train de revoir sa copie sur l’interdiction des moteurs thermiques ? Alors que la date butoir de 2035 pour la fin de la vente de voitures neuves essence et diesel semblait actée, plusieurs signaux politiques indiquent qu’un assouplissement ou un report partiel pourrait être envisagé dans les mois à venir. Une décision aux lourdes conséquences pour l’industrie automobile, notamment en France.
2035 : une échéance qui vacille sous la pression industrielle
Initialement adoptée comme l’un des piliers du Green Deal européen, la fin de vente des voitures thermiques neuves à partir de 2035 avait été validée en 2022 avec un objectif clair : décarboner le transport routier à horizon 2050. Mais depuis, le contexte a changé.
Selon une enquête de Reuters, plusieurs groupes industriels et États membres, dont l’Allemagne, militent désormais pour la suppression d’une coupure nette en 2035, ou pour l’introduction de dérogations, notamment via les carburants synthétiques ou les hybrides rechargeables. Source : Reuters
Les raisons sont multiples : difficulté d’accès aux matières premières pour les batteries, inégalités d’infrastructures de recharge à travers l’UE, mais aussi ralentissement des ventes de véhicules 100 % électriques dans plusieurs marchés clés, dont l’Allemagne et la France. Les constructeurs réclament un calendrier plus souple, craignant une rupture brutale du marché.

Flexibilités en vue : vers un retour des hybrides ou des carburants alternatifs ?
Ces derniers jours, la Commission européenne a elle-même laissé entendre que des « flexibilités » pourraient être discutées, notamment pour tenir compte de la diversité des technologies à faibles émissions. Une position défendue publiquement par certains commissaires européens, favorables à une approche technologique neutre.
Selon un article du Guardian, l’Allemagne devrait soumettre une demande officielle pour adoucir l’interdiction de 2035, en permettant notamment aux moteurs thermiques fonctionnant avec des e-fuels d’être toujours commercialisés après cette date. Source : The Guardian
Dans cette optique, les hybrides rechargeables ou certains carburants synthétiques bas carbone pourraient revenir sur le devant de la scène, à condition qu’ils respectent des critères stricts en matière d’émissions et de traçabilité.
Une décision en suspens, mais un signal politique fort
Le débat sur l’échéance 2035 intervient alors même que les constructeurs revoient progressivement leurs objectifs de décarbonation, parfois à la baisse. Entre inflation, pression industrielle, infrastructures de recharge inégalement réparties et marché de l’électrique qui ralentit, plusieurs groupes revoient leurs ambitions — preuve que l’interdiction de 2035 pourrait ne pas coller à la réalité économique du secteur.
Voici un aperçu comparatif des objectifs initiaux pour 2030 et des orientations récentes mises à jour par les principaux groupes automobiles présents en Europe :
Objectif initial pour 2030
Objectif actuel
– Au moins 70 % des ventes électriques en Europe
– Aucune prévision ferme sur les ventes de VE
– 50 % à l’échelle mondiale en 2030
– Objectif intermédiaire : 50 % de véhicules électrifiés d’ici 2025
– Les moteurs thermiques resteront présents jusqu’à la fin des années 2030
– 100 % de voitures particulières électriques en Europe
– 50 % de VP et petits utilitaires électriques aux États-Unis
– N’ambitionne plus un objectif 100 % électrique pour 2030 en Europe
Ce tableau illustre un constat clair : aucun constructeur n’a encore verrouillé de stratégie entièrement alignée sur l’objectif 2035, et beaucoup restent prudents ou conditionnent leurs engagements à l’évolution du marché, des infrastructures ou du soutien public.
En d’autres termes, la transition est en cours — mais son tempo reste incertain. Si Bruxelles assouplit le calendrier, c’est l’ensemble du jeu stratégique automobile européen qui sera rebattu.

Quels impacts concrets pour le marché français ?
En France, l’application stricte de la date de 2035 aurait signifié l’arrêt complet de la commercialisation de voitures essence, diesel et hybrides, au profit exclusif de véhicules électriques ou à hydrogène. Si la Commission opte pour un assouplissement, cela pourrait :
- Prolonger la vie commerciale de certains modèles thermiques ou hybrides, notamment dans les zones rurales peu équipées en bornes de recharge ;
- Permettre à des technologies de transition (comme les e-fuels ou le GPL bio) d’avoir un avenir réglementaire ;
- Donner plus de temps aux constructeurs pour adapter leur gamme sans précipiter les investissements industriels.
Mais ce report pourrait aussi retarder la transition des usages, brouiller le message politique en matière de mobilité durable, et freiner les investissements publics et privés dans l’électrification des infrastructures.
Une décision en suspens, mais un signal politique fort
Le débat sur 2035 est désormais réouvert. Si aucune décision officielle n’a été prise, une annonce de la Commission européenne est attendue d’ici la fin de l’année 2025, avec d’éventuelles modifications du calendrier initial.
Il ne s’agirait pas forcément d’abandonner l’objectif de neutralité carbone à long terme, mais de moduler les étapes intermédiaires. Une logique pragmatique pour certains, un recul stratégique pour d’autres.
Quoi qu’il en soit, les constructeurs français devront adapter leur feuille de route en fonction de ces évolutions. Car dans un marché toujours plus segmenté, c’est désormais la cohérence entre offre technologique, cadre réglementaire et attentes des consommateurs qui fera la différence.