Par

Laurène Fertin

Publié le

27 nov. 2025 à 19h02

« Si on ne fait rien, on sera tous morts. » Ce constat « lucide », c’est celui d’Anti-tech résistance – ou d’ATR, pour les initiés. Ce mouvement à « contre-courant » rejette l’industrialisation de nos sociétés et avec elles, les technologies nuisant à toute forme de vivant. Conférences, temps d’échanges, ciné-débats, formations d’auto-défense, communication sur les réseaux… Le groupe multiplie les actions locales dans la capitale bretonne depuis sa création, en 2023. Ils sont notamment celles et ceux qui ont participé aux différents blocages, lors du mouvement Bloquons tout le 10 septembre, à Rennes. Mais qui sont ses partisans ? Et que représente vraiment le mouvement ?

« Je voulais être dans l’action »

La rédaction d’actu Rennes est partie à la rencontre de deux de ses militants, Loïc et Haud. Respectivement âgés de 28 et 27 ans, il et elle ont un passé militant dans divers mouvements de gauche et écologistes. « Je suis un ancien Gilet jaune », sourit Loïc.

De concert, le duo évoque la certaine inertie ou impuissance des mouvements militants « classiques ». Sans compter « l’échec » des précédentes mobilisations – à l’image des Gilets jaunes, justement. « En réalité, l’approche d’ATR est novatrice », explique la jeune femme, qui travaille dans le secteur agricole.

Je viens de la gauche. Et je fais un peu ce constat d’échec : les endroits où j’étais, les personnes avec qui je militais, s’inscrivaient dans un militantisme très moral c’est-à-dire militer pour être en accord avec ses valeurs. C’est un peu se dire : « Je le fais histoire de le faire mais je sais que ça ne va pas marcher ». Je commençais à tourner en rond. Je ne me retrouvais pas là-dedans, j’avais l’impression que je gaspillais mon énergie. C’est cool de faire de la sensibilisation, et c’est beaucoup mieux que d’être dans l’inaction mais là, ce n’est plus suffisant. On n’a plus le temps de faire changer les consciences. Il y a un caractère d’urgence.

Haud
Militante d’ATR

Perturber les périphéries

Car si l’on en croit ATR, la vie sur Terre est largement menacée par l’accélération historique de la révolution industrielle et de ses dernières avancées technologiques. « On détruit tous les écosystèmes », exposent Haud et Loïc.

La lutte que l’on doit mener est contre toutes les infrastructures. Si on ne fait rien, on sera tous morts. Il faut faire table rase du système.

Haud et Loïc
Militants d’ATR

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ATR se positionne en rupture avec l’écologie qui demande « juste » un « changement des consciences ». « Pierre Rabhi, Cyril Dion… On ne croit pas à la fable du Colibri qui consiste à dire que l’on va changer les gens petit à petit », étaye Loïc, « qu’on sera la goutte d’eau qui va imprégner la société. »

Au contraire, ATR estime que la vie et la pensée des individus sont déterminées par « tout un ensemble d’industries et de technologies » : la publicité, l’électricité… Et que pour changer la société, il faut d’abord changer ses infrastructures.

Que veut dire le logo d’Anti-tech résistance ?

Le logo d’ATR est constitué d’un ours, d’une fourche et d’une hache. Un ours, car « il y en a de moins en moins en France et à travers le monde », explique Loïc, « un animal qui a pourtant co-existé longtemps avec les primates et les humains. » Ensuite, une fourche et une hache « parce que c’est low-tech, parce que c’est aussi le symbole des jacqueries paysannes contre les seigneurs féodaux ». L’ensemble des trois symboles rappelle « la Makhnovchtchina, c’est-à-dire l’armée de Nestor Makhno, un paysan ukrainien, qui, au début du XXe siècle, a tenté de mener une révolution libertaire. »

Perturber les périphéries

Pour mettre leurs idées en pratique, exit les « manif’ classiques de la CGT avec des galettes saucisses en centre-ville ». « Pour autant », indique Loïc, « comme on considère que la technocritique est à la fois un enjeu économique et social, on va aussi aller dans les espaces de manif’, mais on y va de manière organisée et pas comme des individus atomisés. »

Par exemple, on a participé à une assemblée au nord de Rennes, qui s’appelait Rennes Nord, lors du mouvement Bloquons tout. Le mouvement est non violent, donc on n’était pas forcément au lit des actions mais pour autant, on avait une logique de dire qu’en prodiguant de la nourriture, en donnant des analyses stratégiques, en débattant sur la sécurité dans les assemblées, on peut aider un mouvement social plus large à augmenter le rapport de force vis-à-vis du capitalisme industriel.

Loïc

ATR a ainsi participé à des blocages en périphérie, par exemple, au centre commercial Grand Quartier le 18 septembre dernier. Un modèle d’action qui ressemble à celui des Gilets jaunes qui se rassemblaient, par exemple, sur les ronds-points. « On s’en est inspiré », appuie Loïc, « on amène des perturbations en dehors des centres-villes. Je pense que leur erreur, justement, est d’avoir convergé à Paris et d’y avoir subi la violence policière, sans que cela ait eu un réel impact sur les flux économiques du capitalisme. »

Et dans un autre registre, en novembre 2024, ils se sont opposés à une conférence tenue lors de l’European Cyber Week, organisée au Couvent des Jacobins, afin de dire non à l’intelligence artificielle et ses dérives.

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La société paysanne comme horizon

ATR, composé d’une vingtaine de militants au total, espère donc aller là où on ne les attend pas. C’est un peu l’idée que l’on peut s’en faire lorsque l’on sait que ses partisans et partisanes s’initient aux techniques d’autodéfense en forêt. ATR propose en effet des formations à ses adhérents. « Ce ne sont pas des stages de survivalisme », nuance Loïc.

Il y a effectivement des sports d’auto-défense : c’est un peu dans la lignée des mouvements militants révolutionnaires passés comme les Black panther et les Suffragettes. La logique est de se dire : même si notre mouvement est non violent, on pense que c’est le rôle des résistants dans la société d’avoir une certaine culture de résistance.

Loïc

Il s’agit alors « de regagner en autonomie » et de la même manière, des ateliers sont organisés « pour savoir se repérer dans la nature, se nourrir, se chauffer », illustre Haud, « le jour où il n’y aura plus de pétrole, plus de centre nucléaire. » Une façon « d’imaginer [nos] capacités en dehors de l’indépendance à l’industrie ».

Car le but d’ATR est de pouvoir, un jour, détruire le système « toxique par essence » afin de « reconstruire par-dessus une société paysanne et artisanale. » « Mais, malheureusement, personne n’a envie de perdre un certain confort, par exemple, se passer de son téléphone portable. »

Le parking Vilaine ? Du « greenwashing »

À ce titre, Loïc ne l’a pas tout à fait encore abandonné car depuis quelques mois, il fait usage de son portable en publiant régulièrement des vidéos sur les réseaux sociaux, notamment sur TikTok, afin de présenter les idées du mouvement, face caméra.

Notre approche est anti technologique au sens où on rejette les conséquences de l’industrialisation […] mais pour autant, on n’estime pas qu’il faut individuellement se passer des technologies […] Moi je n’ai pas de scrupules à les utiliser […] On va s’en servir pour donner envie aux gens de transformer cette société, justement.

Loïc
Militant d’ATR

C’est donc par ce canal que le jeune homme parle notamment du parking Vilaine, « une idée séduisante sur le papier » mais « problématique » à plusieurs égards – notamment parce que l’ambition écologique de découvrir la Vilaine, en déconstruisant le parking, est « ridicule » face aux réels enjeux climatiques (voir ci-dessous). Un exemple de greenwashing que fustige particulièrement ATR.

@loicecologie

🔴 A #Rennes le #PartiSocialiste tente encore et toujours de se maintenir au pouvoir par de petits greenwashing minables… Je vous illustre ça ce soir avec l’exemple de l’aménagement pseudo « écolo » du fleuve #Vilaine 🤨

♬ son original – Loïc – Écologie sans compromis

Les sujets ne s’arrêtent pas là puisque Loïc y parle d’écologie radicale, d’écologie punitive, de l’autoroute A69, de Marine Tondelier, de la cancel culture… mais également de ses détracteurs.

Ceux qui leur tournent le dos

Une série de vidéos est ainsi consacrée à débunker les propos de Reporterre qui a rédigé, le 8 octobre dernier, un article intitulé « Survivalisme, discipline et antiféminisme : plongée dans le collectif Anti-tech Résistance ».

Un papier qui ne fait pas la part belle à ATR, loin de là. Le média indique en effet que les militants antifascistes, les activistes écologistes et les collectifs technocratiques critiquent vivement Anti-tech résistance. Ils seraient une « bande de fascistes » puisque ATR indiquerait ouvertement ne pas vouloir militer « pour des causes progressistes (féminisme, antiracisme, luttes LGBT, animalisme, écologisme, etc.) […] car les luttes sociales accentuent la résilience du système technologique ».

Leur idéologie remettrait également en cause la médecine moderne, « empêchant l’autonomie et justifiant l’asservissement », comme on peut le lire ici. Reporterre indique même : « La pilule contraceptive est ainsi résumée à un « emprisonnement quotidien », l’IRM n’existe « pas sans structures énergétiques militarisées et sans extraction minière », la PMA est une « artificialisation de la reproduction ».

Une approche qui « ne plaît pas aux gens »

Anti-tech résistance a par ailleurs été évincé d’une assemblée générale Bloquons tout par d’autres collectifs militants.

Localement, à Rennes, ATR rencontre quelques difficultés à trouver des locaux pour organiser des cinés-débats ou du moins, des temps d’échanges.

Plusieurs bars et salles associatives nous ont déjà été prêtés […] mais ce n’est pas toujours facile car l’écologie mainstream, comme la MCE [Maison de la consommation et de l’environnement, N.D.L.R], n’a pas forcément la même vision que nous.

Loïc

Les associations ou collectifs de gauche, écologistes, ont-ils un regard critique sur l’antenne d’ATR ? Après un temps d’hésitation, Loïc et Haud confirment. « Oui, on est un peu à contre-courant », glisse Haud. « Nous, notre approche est plus en rupture […] cela ne plaît pas aux gens », résume Loïc.

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