Par
Isabelle Villy
Publié le
30 nov. 2025 à 12h04
La Ville de Rouen va prochainement inaugurer un jardin, rue de La Rochefoucauld, du nom de deux résistantes qui ont fait partie du maquis des Diables noirs, à Saint-Denis-le-Thiboult. Augustine et Lucienne Boulanger sont en effet les noms qui ont été retenus après une votation en ligne lancée auprès des Rouennais : elles ont remporté 229 voix sur les 678 votes enregistrés et devancent Simone-de-Beauvoir (182 votes), Geneviève-de-Gaulle Anthonioz (140 votes) et Blanche Hoschedé (127 votes).
Des héroïnes donnent leur nom à un jardin à Rouen
Avaient-elles conscience, Augustine et Lucienne Boulanger, qu’elles étaient des héroïnes ? Qu’elles ont risqué leur vie en secondant leurs époux au sein du maquis des Diables noirs, à Saint-Denis-le-Thiboult ? Oui, peut-être, mais pour elles, c’était un devoir. « Ma grand-mère Lucienne Boulanger ne parlait pas beaucoup de cette période, mais pour elle, quand on lui posait des questions, elle disait simplement qu’elle a fait ce qu’elle devait faire », raconte Ludovic Boulanger, qui se replonge souvent dans l’histoire de ses grands-parents et de sa famille, ces héros dont les noms sont gravés dans la pierre du monument dédié aux résistants du maquis des Diables noirs, à Saint-Denis-le-Thiboult. Leurs faits d’armes ont été nombreux et opérés au péril de leur vie.
Le rôle essentiel des femmes
Ce sont d’ailleurs fréquemment les hommes du maquis dont on parle le plus, mais dans l’ombre, il ne faut pas oublier que les femmes ont aussi joué un rôle essentiel. Rappelons ici que Lucienne était mariée à Raoul Boulanger et qu’Augustine était en fait, la mère de Lucienne, et épouse d’Henry Boulanger.
« Quand Raoul est revenu à Saint-Denis-le-Thiboult après s’être enfui et avoir échappé aux Allemands, alors qu’il était encore soldat, il s’est caché dans le village, avant de réussir à obtenir des papiers. Et c’est à ce moment que l’idée lui est venue de faire une cachette », raconte Ludovic. Le rôle des femmes dans cette entreprise risquée en temps d’occupation, c’était de remplir et évacuer les seaux de terre du sous-terrain. Une action à laquelle ont d’ailleurs participé les autres membres de la famille Boulanger, parmi lesquels la famille Petrel.
Petite Marie et Hirondelle cachaient les parachutes
En 1941, c’est la création du maquis des Diables noirs : Lucienne, dont le nom de code était Petite Marie et Augustine, alias Hirondelle, récupéraient et pliaient les parachutes pour les dissimuler dans les bois ou encore sous des tas de fumier. Les hommes, eux, à savoir Raoul, dit Fantômas ou lieutenant Marceau, au gré des circonstances, et Henry, dit Cartouche, se chargeaient des armes et munitions qui étaient destinées au réseau de résistance. « Le rôle des femmes dans le maquis était essentiel. La cuisine, par exemple, c’est Pascaline Boulanger (l’arrière-grand-mère) dite Calourette qui s’en occupait. »

Olive Duboc, une autre femme de la famille, tenait les cordons de la bourse pour acheter la nourriture afin de ravitailler le maquis. ©Photo famille
« Quant à Olive Duboc, une autre femme de la famille, c’est elle qui avait l’argent qui permettait de s’approvisionner en nourriture », fait remarquer Ludovic Boulanger, qui constate d’ailleurs que le ravitaillement des maquis n’a pu se faire que grâce à des commerçants, bouchers, charcutiers, épiciers… qui sont un peu restés un peu inconnus de l’histoire, alors qu’ils ont représenté un maillon essentiel pour permettre aux résistants de se nourrir.
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Elles ont été interrogées, mais elles n’ont jamais parlé. Elles ont été transférées à la prison Bonne-Nouvelle, avant de partir au camp de transit de Romainville.
Ludovic Boulanger
Malheureusement, comme cela est souvent arrivé pendant cette sombre période de l’occupation, les Diables noirs ont été dénoncés, puis arrêtés, en 1944 (dans la côte du Catillon entre Ry et Saint Le Thiboult). « Lucienne et Augustine ont été bêtement arrêtées à leur tour, le 30 mars 1944, en apportant des colis au donjon, à Rouen, où étaient emprisonnés leurs époux. Elles ont été interrogées, mais elles n’ont jamais parlé. Elles ont été transférées à la prison Bonne-Nouvelle, avant de partir au camp de transit de Romainville », retrace Ludovic Boulanger.
Déportées à Ravensbrück, en mai 1944
Un matricule provisoire leur a alors été attribué : le 5066 pour Lucienne et le 5067 pour Augustine. Le 13 mai 1944, les deux femmes sont ensuite parties pour le camp de concentration de Ravensbrück, où elles ont reçu de nouveaux matricules : 39 285 pour Lucienne et 39 286 pour Augustine.
Lucienne Boulanger sera ensuite affectée en juin, dans une usine d’Hanovre, à la fabrication de masques à gaz. Quant à Augustine, elle sera laissée un temps à Ravensbrück, avant de partir dans un convoi, en mars 1945, pour le commando Salzwedel où elle devra fabriquer des munitions.
Augustine est rentrée affaiblie en France
« Augustine a été libérée le 11 avril et est rentrée en France, à Saint-Denis-le-Thiboult, le 10 mai 1945. Elle est décédée en mars 1952. Elle était rentrée très affaiblie de la déportation », poursuit Ludovic Boulanger, qui rappelle qu’elle était un agent du réseau Jean-Marie Buckmaster.

Ludovic Boulanger (à droite), petit-fils de Lucienne et Raoul Boulanger, lors de l’hommage rendu chaque année aux Résistants du maquis des Diables noirs, à Saint-Denis-le-Thiboult. ©Isabelle VILLY/Archives
Quant à Lucienne, la grand-mère de Ludovic, elle a été libérée quinze jours après Augustine et est, elle aussi, rentrée dans son village. « Pendant tout le temps qu’elle a été déportée, ma grand-mère Lucienne qui n’avait aucune nouvelle de son fils Francis après avoir été arrêtée, regardait toujours si elle ne l’apercevait pas dans le camp. Heureusement, il avait été caché dans la famille », explique le petit-fils de Lucienne.
Le destin tragique de Lucienne
Augustine n’a pas revu son mari Henry, qui est mort en déportation. Raoul, le mari de Lucienne, est lui rentré très marqué, mais il a repris le cours de sa vie. Lucienne Boulanger, titulaire de la Croix de guerre et officier de la Légion d’honneur, est malheureusement décédée dans un accident de la circulation, en 2004, après avoir été renversée par un scooter. Un destin, on ne peut plus tragique.
Lucienne et Augustine Boulanger méritaient bien, assurément, qu’on baptise un jardin de leur nom : une nouvelle qui a en tout cas beaucoup touché Ludovic Boulanger, quand il l’a apprise.
Pour une information complète, un conseil de lecture : Une famille normande dans la tourmente nazie : vie et mort du réseau de résistance Salesman, de Brigitte Garin, 464 pages, Wooz Editions. Prix : 26 euros.
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