L’actrice américaine Sydney Sweeney dans le spot publicitaire controversé de la marque de jeans American Eagle.

Capture d’écran – American Eagle

L’actrice américaine Sydney Sweeney dans le spot publicitaire controversé de la marque de jeans American Eagle.

Quelques mois avant que Donald Trump ne soit réélu pour un second mandat aux États-Unis, les influenceurs mode sur TikTok affirmaient déjà pouvoir facilement deviner sa victoire. Ils étaient nombreux à prédire l’avenir dans les tendances de mode américaines, qui s’orientaient très visiblement vers le conservatisme.

Il y a un peu plus d’un an en effet, les « tradwifes » avaient le vent en poupe sur les réseaux sociaux et leur uniforme à base de robes longues et évasées se retrouvait déjà dans tous les magasins de vêtements. Les esthétiques minimalistes et tirées à quatre épingles comme celle de la « clean girl » (littéralement « fille propre » en français) étaient virales, et la minceur était à nouveau à l’honneur, après plusieurs années de volonté « body positive ».

Si les résultats de la présidentielle ont donné raison aux fashionistas, c’est parce qu’en réalité, la mode est sans cesse en dialogue avec la politique : elle reflète et façonne simultanément la société, explique Einav Rabinovitch-Fox, historienne et autrice spécialiste de la mode et la politique. « Ce qui est intéressant, c’est que pendant le premier mandat de Trump, nous avons constaté une plus grande résistance et une plus forte réaction de la part de l’industrie de la mode. Aujourd’hui, on observe plutôt du conformisme », analyse l’experte.

[Note : Cet article est une traduction réalisée par la rédaction du HuffPost France, à partir d’un article paru en novembre 2025 sur le HuffPost américain. L’article original est à lire ici. Il a été traduit, raccourci et édité dans un souci de compréhension pour un lectorat francophone.]

Si la mode comme résistance mérite qu’on lui consacre un article à part entière, pour l’instant, examinons toutes les façons dont la mode, tant la haute couture que la mode grand public, semble s’aligner sur le conservatisme de l’époque.

Les marques prennent parti

Les marques de mode ne refusent plus d’habiller la Première dame Melania Trump. American Eagle n’hésite pas à diffuser une publicité pour ses « bons jeans » avec un jeu de mots sur les « bons gènes ». Ce, en mettant en scène la blonde aux yeux bleus Sydney Sweeney, à une époque où les inquiétudes concernant la suprématie blanche et le retour du discours eugéniste sont vives. « Ce qui se passe actuellement, c’est que les gens dans la rue et les créateurs de mode font des choix de style plus calculés », souligne Henry Navarro Delgado, professeur de mode à l’Université métropolitaine de Toronto.

« Les vendeurs peuvent tenter d’éviter les affiliations politiques, ou ils peuvent faire des choix controversés en matière de style et de marketing afin de tirer parti des réactions dans un environnement idéologiquement chargé », a-t-il déclaré. « C’est ce que nous avons vu avec la publicité virale d’American Eagle. » Une polémique qui a résonné bien au-delà des frontières étasuniennes tout comme la réponse de la marque Gap, créant une « guerre des jeans ».

La haute couture semble à nouveau détester le corps des femmes

Lors de la dernière fashion week de New York, la mode féminine a encore renforcé ses accents « tradi » : ourlets longs ou sous le genou, décolletés modestes et les motifs simples en vichy ou floraux… Sur les podiums, de nombreux travaux évoquaient une féminité modeste, tournée vers la vie domestique et peu audacieuse.

« Je pense que nous pouvons clairement observer une évolution vers des modes plus conservatrices ces dernières années », souligne Rabinovitch-Fox, pointant également le retour de la silhouette en sablier, et donc des vêtements sculptants, corsetés ou gainants comme ceux de Skims, marque plébiscitée de Kim Kardashian, qui modifient le contour des corps des femmes au prix de leur confort.

Une fois encore, la tendance s’étend bien au-delà des États-Unis : l’un des retours les plus troublants des fashion weeks internationales cette année ? Des looks qui semblaient suggérer que les femmes doivent être vues mais pas entendues. Pendant la fashion week de Paris, Stella Bugbee, rédactrice en chef de la rubrique Styles du New York Times, soulignait dans sa newsletter que même s’ils n’étaient pas ouvertement conservateurs ou autoritaires sur le plan esthétique, certains visuels présentés sur les podiums suggéraient une misogynie subtile.

C’est ce qu’a également remarqué Peggy Heffington, professeure d’histoire à l’université de Chicago. « Par exemple, les mannequins de Margiela avaient les lèvres cousues, tandis que celles d’Alaïa portaient des camisoles de force sans manches », pointe-t-elle auprès du HuffPost. « Ces images ne sont pas particulièrement subtiles quant à la place des femmes dans la société et la politique.»

Peggy Heffington note par ailleurs que les efforts déployés ces dernières années pour diversifier les morphologies semblaient avoir disparu. « Même la tendance des années 2010 vers des silhouettes sveltes et musclées semble de moins en moins répandue », déplore-t-elle. Le sternum apparent est à nouveau, malheureusement, l’accessoire de mode le plus en vogue. « C’est probablement dû en grande partie aux effets de l’Ozempic, mais visuellement, nous sommes revenus aux années 1990 et au début des années 2000, où les normes de beauté féminine exigeaient que les femmes soient extrêmement minces », souligne Heffington.

Les défilés de mode Victoria’s Secret sont de retour

La renaissance du défilé Victoria’s Secret en octobre mérite certainement d’être mentionnée ici. « C’est peut-être une tradition ancestrale et je m’y attarde peut-être trop, mais il semble remarquable qu’après plusieurs années d’interruption en raison de la réaction négative du public, la marque ait estimé que 2025 était un moment sûr, voire propice, pour la relancer », soutient Peggy Huffington.

Malgré une tentative de se présenter comme une « célébration des femmes » et de rattraper ses erreurs du passé, pour l’experte, le défilé est « moins une occasion de célébrer les femmes que de les reluquer en dentelle. » Dans le monde politique également, la mode a changé. Heffington pense que la combinaison entre les visages « Mar-a-Lago » retouchés par la chirurgie esthétique pour être similaires et les maquillages et coiffures très lourdes, presque exagérés, chez les femmes conservatrices en politique et au sein de l’administration Trump est l’une des choses les plus intéressantes qui se passent actuellement dans le domaine de la mode.

Car, selon Heffington, « cela ressemble presque à une déclaration selon laquelle les femmes ont leur place dans les cercles conservateurs, mais uniquement quand elles performent très visiblement la féminité ― c’est un rejet esthétique et vestimentaire des efforts de la gauche en faveur de l’égalité des sexes, voire de la neutralité de genre ».