Du 2 au 4 décembre, les étudiant·e·s de l’Université de Bordeaux éliront leurs représentant·e·s au CA et à la CFVU, les conseils centraux de l’université, qui déterminent la politique de l’établissement. Même si ces instances sont très peu démocratiques, et que la présidence tente de verrouiller les décisions essentielles — budget, maquettes, postes, règles d’évaluation, restrictions des droits — les enjeux du scrutin sont particulièrement importants pour les étudiants, dans le contexte d’austérité imposée par le gouvernement et alors que le président de l’Université de Bordeaux a annoncé un budget déficitaire de 8 millions d’euros menaçant de suppressions de postes, de filières et d’antennes.
L’alliance UNEF–UE : une union de co-gestionnaires par dépit et calcul d’appareil
C’est la surprise de ces élections : l’UE et l’UNEF ont décidé de présenter une liste commune pour le CA et l’ensemble des CFVU, à l’exception de celle du campus de droit. Derrière une liste intitulée UNEF – Union étudiante pour une université accessible, démocratique, féministe et contre l’extrême droite se cache en réalité une alliance de dépit, dictée par des enjeux d’appareil. Alors que ces deux organisations se livrent à une guerre fratricide depuis plusieurs années, tant localement que nationalement, cette alliance a de quoi surprendre. Elle n’est d’ailleurs jamais expliquée publiquement, avec une absence totale de communication, moins de deux jours avant le début des scrutins.
Il faut dire que cette alliance semble difficile à revendiquer. Le choix de l’Union Étudiante de s’allier à l’UNEF, alors même qu’elle s’est construite explicitement contre elle, en constatant que le syndicat proche du PS avait perdu tout crédit auprès des étudiants après ses multiples trahisons, est pour le moins cocasse. Cette alliance de circonstance, motivée par l’intérêt électoral, a surtout le mérite de mettre en évidence que les deux organisations portent en réalité le même projet pour l’université, comme on a pu le constater localement à Bordeaux ces deux dernières années.
À l’Université de Bordeaux, l’effondrement de l’UNEF semble sans fin depuis 2020. Éjectée du CA en 2023 — une première dans l’histoire de l’UB —, l’organisation n’y a obtenu aucun élu et ne s’est maintenue qu’à la CFVU, avec un unique représentant, qui n’a finalement jamais siégé. Cette année encore, l’UNEF ne parvient à présenter une liste autonome que sur une seule CFVU, celle du campus DSPEG. Ce recul n’a rien de surprenant : il reflète l’absence totale d’apport pour les étudiants de l’Université de Bordeaux durant toutes les années où l’UNEF était la principale organisation de gauche, et plus largement le bilan désastreux du syndicat dans les facultés bordelaises ces dernières années.
À ce titre, l’activité de l’UNEF à Bordeaux Montaigne est particulièrement révélatrice : pendant plusieurs années, elle a soutenu la présidence de l’université et participé à une véritable cogestion de la misère. L’apogée de cette logique a été la fusion avec l’organisation corporatiste Étudiant·es Bordeaux Montaigne. Mais surtout, l’UNEF s’est illustrée par son soutien au président de l’université au moment même où éclatait le mouvement contre la gestion catastrophique des VSS par la fac. L’UNEF a alors développé une position accusant les étudiant·es mobilisés « d’instrumentaliser » les VSS, en reprenant totalement le récit mensonger de la présidence. Ce discours a servi à masquer une gestion opaque, marquée par des conflits d’intérêts, et a offert à la présidence une caution étudiante, qui n’a néanmoins pas été suffisante car le mouvement a pu arracher des concessions importantes, comme l’indépendance de la cellule de gestion des VSS.
C’est là un exemple parmi d’autres de la position que l’UNEF Bordeaux a constamment cherché à occuper : celle d’intermédiaire et de relais des politiques des présidences d’universités auprès des étudiant·es. La même logique a prévalu à Sciences Po, notamment durant le mouvement contre le génocide en Palestine et les partenariats avec les entreprises complices. À ce moment-là, l’UNEF n’hésitait pas à court-circuiter les cadres d’Assemblée générale pour négocier directement avec la présidence, à prendre des décisions à la place et au détriment des étudiant·es mobilisés, et à jouer un rôle actif dans la contention du mouvement. L’UNEF servait alors d’yeux et d’oreilles à la présidence dans les espaces d’auto-organisation, lui permettant d’anticiper les actions et d’organiser plus efficacement la répression.
Un exemple plus récent se trouve à l’Université de Bordeaux. Lors du premier Conseil de Vie de Campus à Montesquieu en mars 2025, alors que l’UNEF cherchait à faire élire l’un des siens comme vice-président de campus, les élus du Poing Levé ont questionné le syndicat sur leur position vis-à-vis du règlement intérieur, particulièrement répressif à l’UB. Sans complexe, l’UNEF a cherché à ménager ses rapport avec la direction en se montrant totalement acritique du règlement intérieur, allant même jusqu’à déclarer qu’il devait s’appliquer quoi qu’on en pense. C’est donc avec cette organisation que l’Union Étudiante a choisi de s’allier.
Dans cette logique, il n’est pas surprenant de ne trouver aucune prise de position de leur part contre les offensives répressives en amont des élections, notamment la plus récente : l’interdiction des interventions en amphithéâtre durant les élections. Et si la liste UNEF-UE revendique une « université démocratique » ou « le retour des interventions en amphithéâtre », ces déclarations — bien trop faibles face au contexte répressif de l’UB — s’inscrivent surtout dans une stratégie de négociation avec la présidence. Aussi, les deux organisations ont refusé de construire une réponse unitaire à cette attaque pendant les élections, et ont décliné l’invitation à une réunion commune initiée par Le Poing Levé. Un refus qui limite la lutte contre la politique répressive de la présidence et facilite de fait sa mise en oeuvre.
L’union étudiante à l’UB : une coquille vide au service d’interassos
De son côté, l’Union Étudiante connaît une dynamique différente. En 2023, à l’Université de Bordeaux, sans existence préalable, elle s’était propulsée à la deuxième place des élections avec 20 % des suffrages. Deux ans plus tard, le feu de la gloire s’est éteint : l’UE est quasi-absente des campus de l’UB et n’est capable de présenter une liste totalement indépendante que sur un seul campus. A l’approche de ces élections, le bilan est sans appel : ils n’ont rien fait pour contrer la politique répressive et austéritaire de la présidence, et pire encore, ont contribué à renforcer Interassos.
À la CFVU, les comptes sont catastrophiques : sur trois élu·es, deux ont démissionné dès leur élection, tandis que la tête de liste – élue, donc, sous l’étiquette de l’Union Étudiante – a filé rejoindre l’organisation corporative associée à la FAGE. Cette même personne, élue l’an dernier pour Interassos au conseil du collège DSPEG, se retrouve aujourd’hui à la tête de la surenchère répressive dans les conseils.
Concrètement, cet élu de l’UE en 2023 vote pour interdire les tours d’amphithéâtre pendant les élections et revendique fièrement ses pratiques de délation — notamment contre Le Poing Levé, dénoncé à la présidence par mail à plusieurs reprises pour nos activités militantes sur le campus (tractages, tables, tours d’amphithéâtre). Et cerise sur le gâteau : ce même élu est aujourd’hui pressenti pour devenir vice-président étudiant. L’ironie ne fait pas le poids : alors que l’Union Étudiante avait fait campagne en 2023 en critiquant le taux d’absentéisme des autres organisations dans les conseils centraux, le sien, en deux ans, est éloquent : un zéro pointé de présence en CFVU, et 50% de taux d’absence en CA.
La situation actuelle, qui pousse aujourd’hui l’Union Étudiante à s’allier sans le moindre principe politique avec l’UNEF, n’a en réalité rien d’un accident : les deux organisations partagent la même boussole stratégique, qui vise à privilégier la négociation et l’accompagnement des décisions des directions de facs, plutôt que construire le rapport de force nécessaire pour défendre les droits des étudiants. C’est le cas notamment à Rennes 2, Paris 1, mais aussi à l’Université Bordeaux Montaigne, où l’UE occupe la vice-présidence étudiante.
Au moment où le budget Lecornu promet une véritable saignée austéritaire dans les universités, avec un plan social déguisé qui devrait entraîner près de 8 000 suppressions de postes selon France Université, cette stratégie mène étudiants et personnels droit dans le mur.
L’exemple de Bordeaux Montaigne illustre l’impasse de ce projet, qui conduit à accompagner la gestion de la misère et l’application de l’austérité à l’université. Concrètement, à Bordeaux Montaigne, l’Union Étudiante a soutenu l’élection de l’actuel président, Alexandre Perrault, qui mène aujourd’hui une politique répressive et austéritaire inédite. Et quand il fallait approuver un budget déficitaire en 2024, l’UE a voté pour. Quand la CFVU devait trancher sur la suppression de places en master, l’UE s’est … abstenue, ce qui a permis à l’attaque de passer.
Lorsque l’Université Bordeaux Montaigne figurait parmi les établissements où la mobilisation contre l’austérité était la plus forte au début de l’année 2025, cette ligne politique a conduit l’UE à être totalement absente du mouvement, accompagnant de fait l’application du budget austéritaire.
Pour des élus au service des luttes : vote et fait voter pour Le Poing Levé !
Cette logique partagée par l’UE et l’Unef se traduit également dans leur « programme commun de mesures concrètes », qui avance une batterie de revendications minimales. En plus d’être largement consensuelles, ces propositions traduisent une adaptation aux reculs sociaux imposés par le gouvernement. À titre d’exemple, une seule revendication touche réellement à la question de la précarité étudiante : l’instauration d’un quota d’impressions gratuites. Nous considérons que face à l’austérité, à la précarité, il faut aller bien plus loin : revendiquer le repas Crous à 1 € pour toutes et tous, un revenu étudiant équivalent au SMIC revalorisé et financé par le patronat et les grandes fortunes, la réquisition des logements vides, ainsi qu’un plan massif d’embauches de professeurs et de personnels afin d’ouvrir des places à la hauteur des besoins.
Plus profondément, si nous pouvons partager plusieurs revendications — comme la réinstauration de la compensation entre les blocs de compétences, la garantie du droit au rattrapage, la fin des frais différenciés pour les étudiant·es étranger·es ou encore l’arrêt des partenariats avec les entreprises impliquées dans le génocide en Palestine — nous avons en revanche une profonde divergence sur la manière de les obtenir. Alors que nous pensons que seule la mobilisation permettra d’arracher ces concessions, l’UE et l’UNEF prétendent pouvoir tout obtenir par des votes dans les conseils, mettant sous le tapis leur caractère profondément antidémocratique.
En ce sens, la liste UNEF-UE va ici jusqu’à affirmer que ce serait au travers de ces conseils et de leurs commissions « que nous pouvons avoir un impact important pour le bien-être des étudiants ». Une affirmation tout simplement fausse : les conseils centraux offrent aux élu·es étudiant·es un poids marginal — 6 élu·es dans un conseil de 32 membres, où siègent notamment 8 personnalités extérieures à l’université comme Cdiscount ou Humarobotics — et la présidence peut, à sa guise, décider de mettre ou non à l’ordre du jour les points ou motions proposés par les élu·es du personnel ou les étudiant·es. Même lorsque ces dernier·es parviennent à obtenir des votes permettant de freiner certaines attaques, ces décisions peuvent ensuite être invalidées, notamment devant le tribunal administratif.
Cette réalité est décuplée dans les universités fusionnées, qui ont réduit la part des représentants étudiants, renforcé la répression et encore davantage limité les marges de manœuvre pour négocier dans les bureaux des présidences des améliorations pour les étudiants ou des atténuations des attaques.
De ce point de vue, il ne faut se faire aucune illusion sur la « démocratie universitaire », d’autant plus à l’UB, qui n’hésite pas à entraver l’activité des organisations représentatives des étudiant·es. C’est ce que nous affirmons au Poing Levé : notre participation aux élections puis aux conseils centraux vise avant tout à porter la voix des étudiant·es et à agir comme lanceurs d’alerte lorsque la direction tente de faire passer ses réformes à l’insu de tous. Nous considérons surtout que la force capable de faire face aux attaques du gouvernement et d’arracher une université véritablement ouverte se trouve avant tout dans la mobilisation du mouvement étudiant et du monde du travail.
C’est dans ce sens par exemple que nous avons impulsé une pétition unitaire contre les partenariats avec les entreprises complices du génocide en Palestine qui a recueilli aujourd’hui plus de 1 800 signatures, ou que nous intervenons systématiquement dans les mobilisations, qu’elles soient nationales ou locales, en poussant à la mise en place de cadres d’auto-organisation et d’assemblées générales. Ces espaces sont une clé pour décider des revendications, définir les modalités d’action et constituer de véritables lieux de décision et de démocratie, où peut réellement se construire l’unité des étudiant·es et de leurs organisations.
Cette logique s’incarne à Bordeaux notamment dans le comité d’action contre l’extrême droite, qui a permis d’apporter une réponse à la hauteur des provocations des groupuscules fascistes venus intimider les étudiant·es, et de les faire concrètement reculer. Ce comité a démontré tout le potentiel de l’auto-organisation et a posé les bases d’un affrontement plus large contre les idées de l’extrême droite et les projets austéritaires du gouvernement. Un acquis pour le mouvement étudiant bordelais qui est une démonstration que la réponse unitaire contre l’extrême droite notamment se trouve bien plus sur ce terrain, par en bas, qu’au travers d’alliances électorales par en haut. Ce n’est donc pas non plus un hasard que cela ait entrainé une dynamique plus profonde à Bordeaux Montaigne où, en 2024, le mouvement contre l’austérité s’est amplifié, réunissant jusqu’à 2 000 personnes en assemblée générale, ou encore durant le mouvement septembriste, où les étudiant·es bordelais·es ont marqué les premières manifestations par leur présence et leur vitalité.
Alors que la présidence de l’UB multiplie les fermetures de places, renforce la sélection, et menace de couper toujours plus dans les budgets en envisageant même des fermetures d’antennes, ces victoires doivent nous inspirer. Pour arracher l’ouverture de places à la hauteur des demandes, la fin des partenariats avec les entreprises d’armement et l’instauration d’un revenu étudiant à hauteur d’un smic revalorisé, il faut miser centralement sur l’auto-organisation et les méthodes du mouvement étudiant. Plus que jamais, alors que les classes dominantes sont déterminées à en finir avec l’université publique et à nous faire payer leurs crises et leurs guerres, alors que nous voyons chaque jour un peu plus la barbarie du capitalisme, vote, fais voter le Poing Levé du 2 au 4 décembre pour des élus de combats, et organise-toi avec nous !