Le restaurant biterrois de Gilles Goujon, Alternative, a obtenu du Gault et Millau l’excellente note de 16,5 et trois toques. Une récompense qui met du baume au cœur au chef audois de Fontjoncouse, victime de problèmes de santé et meurtri par le mégafeu des Corbières cet été.
Après des mois difficiles, que représente cette excellente note et ces trois toques attribuées à votre restaurant de Béziers Alternative par le Gault et Millau ?
Ça fait très plaisir, parce que c’est vrai qu’on a eu des mois difficiles, qui le sont encore. Avec Le jardin des sens des frères Pourcel, nous sommes les seuls à avoir cette note de 16,5.
En fait c’est prétentieux mais j’ai la meilleure note dans l’Aude avec mon 19 et la meilleure note dans l’Hérault avec mon 16 et demi.
Ça nous permet aussi de voir les choses plus sereinement.
C’est aussi grâce à mes enfants Enzo et Axel qui ont été bons. Car j’étais beaucoup absent ces derniers mois. J’ai été opéré du cœur et j’ai fait un AVC. J’ai eu une dizaine de jours de réanimation qui m’ont vraiment mis à plat. Entre-temps, il y a eu l’incendie des Corbières qui m’a mis un coup sur la tête. J’étais reparti, j’avais retrouvé la pêche mais je me suis écroulé à nouveau.
L’auberge du Vieux Puits dans le Top 5 des meilleurs restaurants du monde pour la 6e année consécutive
Le restaurant trois étoiles de Gilles Goujon à Fontjoncouse vient d’être classé par La liste, dans le Top 5 des meilleurs restaurants du monde pour la sixième année consécutive. L’établissement est sacré 4e mondial du classement.
Une récompense qui s’ajoute à la note de 16,5 et les trois toques attribuées par le Gault et Millau à son restaurant Alternative à Béziers, dont se félicite le chef audois : « Je remercie mon épouse, mes fils, mes équipes et mes clients qui m’aident au quotidien et parfument agréablement ce chemin de vie. Vive une cuisine haute couture, quelque part en Corbières ».
C’est-à-dire ?
De voir le manque de respect des « ravers » » pour la nature (NDLR une rave avait été organisée à côté de Fontjoncouse quelques semaines après l’incendie), ça m’a rendu fou. Je suis à nouveau monté sur les barricades et après j’étais complètement vidé.
Lors de l’incendie, vous aviez dû évacuer vos clients et fermer votre restaurant de Fontjoncouse que vous avez rouvert 11 jours plus tard, le 15 août. Aujourd’hui qu’en est-il ?
On a eu peur car on a eu une petite baisse au début. Des gens annulaient et puis d’autres réservaient en signe de soutien, de solidarité. Ceux-là sont fantastiques. Je pense qu’on sera un peu en dessous du chiffre d’affaires prévu mais ça va. Ce n’est pas la catastrophe que l’on craignait.
Pourquoi avoir pris la décision de rouvrir si vite ?
Parce qu’on en avait besoin, pour le moral, pour oublier un peu. Un de mes deux fils était effondré et m’a dit « papa, c’est fini, il n’y a plus rien ici ». Et puis je lui ai dit, « j’ai réussi à bâtir tout cela seul avec ta mère, alors aujourd’hui avec vous deux, on va y arriver, on va se reconstruire. »
Toute l’équipe s’y est mise et on est reparti. Vous savez, certains travaillent ici depuis 24 ans. C’était chouette car il y avait beaucoup d’enthousiasme et de la joie mais c’était dur quand même, très dur… Je m’effondrais sans arrêt en larmes et j’étais encore en convalescence alors je venais les encourager.
Je devais le faire car j’ai vite compris que ma voix portait donc il fallait que je montre l’exemple.
Est-ce que ces épreuves ont changé votre mode de fonctionnement, votre vision de la vie ?
Mon mode de fonctionnement, je ne sais pas. Ce que je sais c’est que j’ai toujours été dans la résilience et le besoin d’aider les autres, de rassembler. Lors des inondations de 2018, j’avais organisé un repas pour les sinistrés comme je l’ai fait le 25 novembre dernier à Narbonne avec le dîner « Renaissance des Corbières ». On a d’ailleurs récolté 84 000 euros et accueilli 280 personnes.
Est-ce qu’après tout cela, vous n’avez pas envie de passer la main ?
Il y a une phrase qui dit : « si tu n’as pas transmis à une personne tout ce que tu sais, tu as raté ta vie ». Donc moi, j’essaie de ne pas rater la mienne. Dans trois, quatre ans, il va bien falloir que mes fils Enzo et Axel prennent le truc en main et qu’ils me remplacent. Comme je leur ai dit, c’est plus facile vous êtes car vous êtes trois (ses deux fils et Paul Rey, un autre fer de lance de la brigade) pour me remplacer.
Ils ont eu beaucoup de courage cet été et quand on a rouvert, ils l’ont fait sans trembler.
Je vais leur transmettre aussi au fur et à mesure ma créativité.
Est-ce que la créativité ça peut vraiment se transmettre ?
Bien sûr ! La créativité c’est de l’imagination mais c’est avant tout de la technique. Pour moi, la créativité, c’est de savoir travailler, connaître un légume, une épice, etc. Ce n’est pas la peine d’aller chercher à inventer la lune. Tout a déjà été inventé de toute façon. Après, ils amèneront leur patte, bien sûr. J’ai la chance d’avoir des garçons qui sont à l’écoute. À l’écoute du chef, à l’écoute du papa. Pour moi, c’est ça mon bonheur, partager avec eux ma passion.
Vous avez créé un plat en mémoire de l’incendie, la bourride occitane à l’accent des Corbières…
C’est un plat que j’ai créé avec du sandre, de la lotte et de l’anguille. La liaison ail et persil donne des couleurs vertes comme une renaissance de la nature. C’est notre façon à nous de montrer notre optimisme. Les légumes et le bouillon sont noircis à l’encre de seiche et les croûtons représentent les stigmates de l’incendie.
Que peut-on vous souhaiter pour 2026 ?
Égoïstement, la santé d’abord. Que je sois remis sur pied, restauré. C’est un mot important qui veut dire aussi se relever.
Mon vœu c’est que mes gars soient heureux, que l’entreprise fonctionne, qu’on arrive à bien bosser, qu’on ait des produits locaux qui sont la base de mon travail. Et si on a ces produits, ça veut dire que la nature aura repris ses droits.
Que mes amis vignerons gardent le moral parce qu’ils ne vont pas avoir du vin tout de suite. Il va falloir qu’ils s’arment de patience et de force. Vous vous rendez compte, ceux qui ont tout perdu vont devoir attendre plusieurs années avant d’avoir la première récolte.
Que la nature reprenne et surtout que les gens viennent nous voir. Je veux lancer un message : oui, c’est moins joli qu’avant, mais ça reste quand même les Corbières. Il y a des endroits merveilleux encore. Les gens d’ici ont un cœur grand comme ça. Et ils les attendent.
Le plus bel espoir, c’est que les gens continuent à venir. Parce que sinon, l’économie va s’effondrer. Si vous n’avez pas de touristes, il n’y aura plus de petites épiceries, il n’y aura plus de petits restaurants, il n’y aura plus rien. Donc, il faut vraiment que ça continue.
« L’auberge du Vieux puits » à Fonjoncouse est ouvert jusqu’au 1er décembre. Le restaurant fait une pause jusqu’au 20 mars. « Alternative » reste ouvert pour les fêtes et ferme ensuite du 1er janvier au soir au 5 février