Alors que Donald Trump tente d’imposer à l’Ukraine un « plan de paix » qui reviendrait à entériner l’occupation russe, les pressions diplomatiques se mêlent à une offensive militaire toujours en cours. Le tout se déroule dans un climat où les récits propagandistes se multiplient, cherchant à maquiller l’invasion en démarche légitime ou nécessaire.

Donald Trump maintient la pression sur Volodymyr Zelensky pour faire accepter un accord qui offrirait à Moscou ce qu’elle n’a pas obtenu militairement, sans aucune garantie de désescalade ni de retrait. En avalisant la mainmise russe sur les territoires occupés, cette approche reviendrait à légitimer une guerre d’agression – responsable d’un crime d’écocide – condamnée par la majorité des instances internationales. Pendant ce temps, la Russie intensifie ses bombardements, et Vladimir Poutine affirme refuser tout accord avec le président ukrainien.

Après avoir montré, dans le premier volet, comment les récits historiques falsifiés nourrissent encore aujourd’hui l’idéologie impérialiste russe, ce second article s’attache à analyser les mécanismes de désinformation qui entourent la guerre en Ukraine. Entre inversion accusatoire, réécriture des causes du conflit et slogans destinés à justifier l’invasion, la propagande russe brouille délibérément la compréhension de la guerre. Une stratégie qui s’inscrit dans la continuité d’un impérialisme russe parfaitement documenté.

Visite du président ukrainien Volodymyr Zelensky au Conseil de l’Europe à Strasbourg, en juin 2025. Wikimedia.
Guerre en Ukraine : déconstruire les mensonges de la propagande russe
Non, la Russie n’a pas pour but de « dénazifier » l’Ukraine

Il existe bien des mouvements d’extrême droite en Ukraine – comme dans de nombreux pays, dont la France – mais ils restent largement inférieurs en nombre, marginalisés politiquement et n’ont aucun contrôle sur l’État. Selon Eugene Finkel, politologue et historien à l’université américaine Johns Hopkins, spécialiste de la violence politique, du génocide, de la politique est-européenne et israélienne, et des études sur l’Holocauste :

« Les groupes néonazis et d’extrême droite sont bruyants et peuvent être enclins à la violence, mais ils sont peu nombreux, marginaux et leur influence politique au niveau de l’État est inexistante. Cela ne veut pas dire que l’Ukraine n’a pas de problème d’extrême droite. Elle en a un. Mais je considère le Ku Klux Klan aux États-Unis et les skinheads et groupes néonazis en Russie comme un problème et une menace bien plus importants que l’extrême droite ukrainienne. »

L’accusation s’effondre d’autant plus en sachant qu’elle vient de la Russie, un pays dirigé par un autocrate ultranationaliste qui, dans sa propre armée comme dans ses milices affiliées (Wagner, Rusich, etc.), tolère, protège et utilise des groupes ouvertement néonazis qui ont par ailleurs combattu lors de la guerre du Donbass.

Parler de « dénazification » tout en s’appuyant sur des unités armées arborant des symboles nazis, tout en muselant la presse, en emprisonnant ou assassinant les opposants, relève d’une incohérence totale – et expose la fonction réelle de cet argument : une distorsion pure et simple de la réalité, un outil de propagande destiné à justifier une guerre d’invasion, légitimant un impérialisme ancien sous un vernis pseudo-moral.

Et pendant que Poutine accuse l’Ukraine de nazisme, ses alliés les plus fervents en Europe sont… des groupes d’extrême droite que la Russie finance. De nombreuses organisations néofascistes et ouvertement antisémites affichent un soutien assumé au Kremlin. Certaines ont bénéficié de financements, de relais médiatiques ou de réseaux d’influence liés à la Russie, d’autres ont noué des coopérations politiques ou idéologiques avec Moscou. Ensemble, ils forment une avant-garde radicale qui mène une propagande virulente contre l’Ukraine, au nom d’une vision ultranationaliste et autoritaire parfaitement en phase avec celle du régime de Poutine.

Non, l’Ukraine ne bombardait pas son propre peuple par choix

Dire que « l’Ukraine bombardait son propre peuple » est aussi l’un des éléments de langage centraux de la propagande russe pour justifier l’invasion. Pour comprendre pourquoi cette affirmation est trompeuse, il faut rappeler le contexte :

En 2014, la Crimée est annexée par la Russie de manière illégale.

– L’intervention russe dans l’est de l’Ukraine (le Donbass) débute à la suite de cette annexion : des groupes armés pro-russes sont activés, encadrés et financés par Moscou, tandis que des unités régulières russes s’infiltrent puis participent directement aux combats.

Le conflit ne se présente donc pas comme une « guerre civile spontanée » où l’Ukraine bombarde son propre peuple pour des motifs internes, mais comme une guerre initiée par une puissance extérieure via des alliés sur place. Dire que l’Ukraine « bombardait son propre peuple » revient à effacer le rôle central de la Russie dans l’armement, le financement et la direction de la majorité des opérations séparatistes dans le Donbass.

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Bien sûr, des civil·es ont été touché·es – et il faut en parler. L’armée ukrainienne a bien commis des violations lors de la guerre du Donbass, on ne peut pas le nier. Mais dans un contexte créé de toutes pièces par l’intervention russe, lorsque l’État ukrainien intervient, ce n’est pas par plaisir de frapper ses propres concitoyen·nes : il répond à une insurrection armée, alimentée par un acteur extérieur, utilisant des civils et des infrastructures civiles comme zones de combat. Le principe est clair dans les analyses. Le but de la Russie n’est aucunement de défendre un peuple réprimé, elle intervient dans le Donbass avec l’objectif de ramener l’Ukraine dans sa sphère.

Selon le Center for Preventive Action (centre de recherche et de diffusion d’informations en matière de prévention des conflits armés), sans l’annexion de la Crimée et sans cette intervention russe, il n’y aurait tout simplement pas eu de guerre de grande ampleur dans l’est ukrainien.

Accords de Minsk : un compromis ambigu, en faveur de l’agenda expansionniste de la Russie

Les accords de Minsk (2014 et 2015) visaient à instaurer un cessez-le-feu, retirer les armes lourdes et organiser un processus politique dans le Donbass. En pratique, ils n’ont jamais été pleinement mis en œuvre, notamment à cause des désaccords profonds sur le statut du Donbass et sur la souveraineté ukrainienne. Selon une étude du Stockholm Centre for Eastern European Studies (organisation à but non lucratif suédoise) en réalité, ces accords étaient voués à l’échec dès leur conception, tant leur architecture institutionnelle et leur langage ambigu favorisaient mécaniquement la position russe.

Les travaux du politologue norvégien Kristian Åtland confirment ce diagnostic : ces textes n’étaient ni « efficaces », ni « équitables », ni « durables » et ont été « imposés à l’Ukraine sous la menace des armes, alors même que les forces russo-séparatistes gagnaient du terrain et contraignaient les forces ukrainiennes à la défensive. »

L’Ukraine a ensuite été poussée par certains partenaires occidentaux – principalement la France et l’Allemagne – à accepter une « solution de compromis ». Mais pour Kyiv, ce compromis n’en était pas un : les accords penchaient clairement en faveur de Moscou, et l’Ukraine ne disposait d’aucune alternative réaliste face à une armée russe supérieure et à des milices séparatistes soutenues par le Kremlin. Refuser Minsk, c’était risquer une escalade immédiate.

L’ambiguïté volontaire du texte a aggravé la situation : pour Kyiv, certaines dispositions n’étaient applicables qu’après le retrait des forces russes et la fin des ingérences ; pour Moscou, ces mêmes dispositions devaient être appliquées avant tout rétablissement de la souveraineté ukrainienne. Ces lectures irréconciliables ont paralysé le processus.

Pendant ce temps, la Russie utilisait les accords de Minsk comme un instrument tactique : un moyen de geler le conflit, de légitimer les structures séparatistes, de maintenir la pression militaire et diplomatique tout en poursuivant son agenda impérial. De 2015 à 2022, c’est Moscou qui en a bloqué la mise en œuvre en refusant systématiquement les étapes impliquant son propre retrait ou la fin de son contrôle territorial.

Et l’histoire l’a confirmé : en février 2022, la Russie choisit d’y mettre fin de façon unilatérale – non pas par un retrait, mais par la force, en lançant une invasion totale de l’Ukraine. Preuve que Minsk n’était jamais, pour le Kremlin, un véritable plan de paix : seulement un outil temporaire destiné à maintenir l’Ukraine affaiblie jusqu’au moment opportun pour frapper.

Demolished Residential Building (Ukraine) – @Алесь Усцінаў / Pexels
Non, l’OTAN n’a pas forcé la guerre : Moscou avait déjà annexé la Crimée avant toute perspective d’adhésion ukrainienne

Si l’OTAN est critiquable sur de multiples points, présenter son action comme cause majeure de la guerre en Ukraine revient à nier la responsabilité première de la Russie. L’Ukraine n’avait aucune perspective concrète d’adhésion à l’OTAN au moment où la Crimée était annexée par la Russie, ni lorsque Moscou a activé et armé des groupes séparatistes dans le Donbass.

Une déclaration d’intention avait seulement été formulée en 2008 lors du sommet de Bucarest, qui n’a jamais été suivie d’un processus formel. Plusieurs pays membres de l’Alliance y étaient fermement opposés, ce qui bloquait toute avancée réelle.

Entre 2014 et 2022, aucune troupe de combat de l’OTAN n’est stationnée en Ukraine, et aucun processus formel d’adhésion n’était engagé. La seule armée massée aux frontières ukrainiennes est celle de la Russie. L’OTAN n’a renforcé sa présence sur son flanc Est qu’après l’annexion de la Crimée – en réaction, pas en anticipation. Et aucun déploiement de forces alliées n’a eu lieu en Ukraine avant 2022.

Autrement dit : non, ce n’est pas l’OTAN qui est la cause guerre. Et c’est précisément l’absence de défense collective qui rend les pays vulnérables à l’impérialisme russe. Un impérialisme territorial profondément structurel, antérieur à la création de l’OTAN de plusieurs siècles.

L’OTAN a été créée en 1949 pour contenir l’expansion soviétique. L’URSS venait d’annexer les pays baltes, d’occuper militairement l’Europe de l’Est et d’imposer des régimes autoritaires sous contrôle de Moscou. Ce contexte, et non une hostilité envers la Russie en tant que nation, a mené à la naissance de l’alliance.

Si les pays baltes, la Pologne, la Hongrie ou la République tchèque ont ensuite choisi d’y adhérer dans les années 1990-2000, c’est parce qu’ils sortaient d’une domination soviétique marquée par les occupations militaires, la répression, les déportations et la suppression des libertés. Leur décision relevait du droit fondamental à l’autodétermination et d’un besoin concret de protection après des décennies d’impérialisme imposé.

Il n’a jamais existé d’accord signé entre la Russie et l’OTAN interdisant l’élargissement de l’Alliance. Les seules discussions informelles des années 1990 n’ont abouti à aucun traité, et aucun engagement contraignant n’a été pris. Les États d’Europe centrale et orientale ont donc exercé leur souveraineté en choisissant librement leurs alliances, conformément au droit international.

Rien dans ce processus ne justifie les agressions militaires de Moscou contre l’Ukraine. Un État n’a pas le droit d’attaquer un voisin sous prétexte qu’il n’approuve pas ses orientations politiques ou sécuritaires. Et l’invasion russe de 2014 puis de 2022 confirme au contraire que le besoin de garanties de sécurité de ces pays était parfaitement légitime.

Non, la Russie ne s’arrêtera pas si Kyiv capitule : l’histoire de la région en témoigne

Le schéma est clair : l’occupation, l’annexion, la consolidation puis l’extension. L’histoire de l’époque tsariste, de l’URSS, puis de la Russie moderne, montre que céder un territoire ou une autonomie partielle n’a jamais freiné ses desseins impériaux. L’indépendance des pays baltes, les États d’Europe de l’Est, l’Ukraine : tous ont été confrontés au même type de logique. C’est donc un pari absurde de penser que « si Kyiv capitule, tout s’arrête ». Ce serait ignorer des siècles d’histoire.

Kyiv a été fondée à l’époque où la Russie n’existait même pas

Pour Poutine, l’Ukraine « n’existe pas ». Elle ne serait qu’un morceau égaré de la Russie, un territoire qu’il faudrait « récupérer ». Pourtant, l’histoire raconte exactement l’inverse : Kyiv apparaît dès le IXᵉ siècle et devient le centre politique, culturel, religieux et économique du monde slave oriental. À cette époque, Moscou n’existe pas encore : sa première mention date de 1147, près de trois siècles plus tard. Le cœur de la civilisation slave orientale n’est donc pas Moscou, mais bien Kyiv – une réalité historique que la propagande russe actuelle tente désespérément d’effacer.

Pendant plusieurs siècles, Kyiv est le principal pôle religieux, commercial et diplomatique de la région. C’est là que naissent l’écriture slavonne, l’orthodoxie locale, l’architecture monumentale, les échanges économiques et les premières structures étatiques des Slaves de l’Est. La Moscovie, bien plus tard, ne pourra revendiquer cet héritage que parce que Kyiv aura été détruite en 1240 lors de l’invasion mongole, ouvrant un vide politique dans lequel elle s’engouffre progressivement.

Ce n’est qu’à partir du XVIIIᵉ siècle que la Russie impériale devient une puissance expansionniste majeure, engageant une politique systématique de conquêtes, d’assimilation forcée, de russification, de destruction des institutions locales et d’effacement des cultures qu’elle soumet. L’histoire impériale russe n’est donc pas une continuité naturelle : c’est une construction idéologique qui repose sur l’appropriation de l’héritage kyivien et la domination violente de ses voisins.

L’impérialisme russe ne date pas d’hier et se poursuit aujourd’hui

Durant les XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles, l’Ukraine devient l’une des principales cibles de l’expansion russe. Lorsque la République populaire d’Ukraine proclame son indépendance en 1917, elle ne « crée » pas un pays : elle réactive une histoire ancienne, étouffée par des siècles de domination impériale. Cette indépendance est brisée dès 1920, lorsque l’Armée rouge envahit le pays et l’intègre de force à l’URSS. Kyiv n’a jamais « choisi » Moscou : elle a été contrainte par un impérialisme qui s’est efforcé d’effacer son identité.

Et l’Ukraine est loin d’être un cas isolé. Bien avant l’Union soviétique, l’impérialisme russe s’abattait déjà sur la Géorgie, les pays baltes, la Moldavie, la Pologne, la Tchécoslovaquie et d’autres peuples d’Europe de l’Est. Partout, la logique est la même : occupation militaire, destruction des institutions locales, répression politique, russification forcée, liquidation des élites, et rhétorique mensongère de « protection » ou de « libération » servant à légitimer la conquête.

La Géorgie en fournit un exemple frappant : annexée au début du XIXᵉ siècle, redevenue brièvement indépendante en 1918, envahie à nouveau en 1921, elle subit encore une attaque en 2008. Aujourd’hui, Moscou occupe l’Abkhazie, et l’Ossétie du Sud y installe des régimes fantoches et pratique un grignotage territorial constant, identique aux méthodes employées en Ukraine ou dans les pays baltes.

La Tchétchénie illustre une autre facette de ce même impérialisme : l’écrasement de toute aspiration à l’autodétermination. Conquise au XIXᵉ siècle après des décennies de résistance, elle est brutalement frappée sous Staline, qui déporte en 1944 l’ensemble du peuple tchétchène – causant la mort d’un quart de sa population. Après la chute de l’URSS, sa nouvelle déclaration d’indépendance déclenche deux guerres d’une violence extrême (1994-1996 puis 1999-2009) : bombardements massifs sur les civils, disparitions forcées, tortures systématiques, destruction totale de Grozny. Une fois encore, Moscou justifie la répression par un discours mensonger – cette fois sous couvert de « lutte antiterroriste » – alors qu’il s’agit avant tout d’écraser un peuple qui refuse de se soumettre.

La logique impérialiste de la Russie ne s’arrête pas aux frontières de l’ex-URSS. Elle se prolonge au XXIᵉ siècle, en dehors de l’Europe, avec une brutalité parfaitement documentée. L’intervention russe en Syrie, aux côtés de la dictature de Bachar al-Assad, en est l’un des exemples les plus frappants : bombardements massifs sur des zones civiles, frappes sur des hôpitaux et infrastructures vitales, sièges prolongés et affamement de populations entières, destruction systématique de quartiers entiers à Alep et Idlib, utilisation de la guerre comme outil de consolidation d’un régime autoritaire.

Cette stratégie n’est ni un accident, ni une dérive ponctuelle : elle s’inscrit dans une continuité historique de l’usage de la violence de masse comme outil politique et géopolitique – de la Tchétchénie à l’Ukraine, de la Géorgie à la Syrie. L’histoire est la même : la Russie ne libère jamais les peuples qu’elle touche – elle les soumet.

Le culte autour de Poutine : réalité d’un dictateur, un homme formé par le KGB

Vladimir Poutine est le produit d’un appareil de sécurité entièrement tourné vers la surveillance, la manipulation et la répression. Officier du KGB à Leningrad, il a été formé aux techniques de contrôle interne et de guerre psychologique, au service d’un État obsédé par l’élimination de toute dissidence. Cette culture du secret, de la peur et de la loyauté aveugle constitue la base de sa vision du pouvoir, qu’il a transposée presque intacte au Kremlin.

Un dictateur responsable de crimes de guerre

Son passage à la tête de la Fédération de Russie s’accompagne d’opérations militaires marquées par une violence extrême. En Tchétchénie, les bombardements ont transformé Grozny en ruines, causant la mort de milliers de civils. En Ukraine, les massacres de Bucha, le siège de Marioupol et les frappes répétées sur des hôpitaux ou des infrastructures civiles sont documentés par l’ONU et de nombreuses organisations de défense des droits humains. En Syrie, il a soutenu les bombardements du régime de Bachar al-Assad, visant des quartiers entiers, des écoles, des marchés et des hôpitaux. Partout où il intervient, la même méthode apparaît : une guerre totale contre les populations.

Un régime dictatorial qui étouffe toute dissidence

À l’intérieur de ses frontières, Poutine gouverne comme un dictateur. Les assassinats et empoisonnements d’opposants – d’Anna Politkovskaïa à Boris Nemtsov, jusqu’à Alexeï Navalny – montrent que la critique peut coûter la vie. Les médias indépendants ont été fermés ou déclarés « agents de l’étranger », les ONG sont harcelées ou interdites, et des lois permettent d’emprisonner n’importe quelle personne qui s’oppose à la guerre ou au régime. Les minorités, notamment LGBTQ+, sont ciblées par des lois ouvertement discriminatoires. La Russie actuelle n’est pas un État « autoritaire » au sens vague : c’est un système répressif total, où la justice, les médias, la police et l’armée sont subordonnés au pouvoir d’un seul homme.

Pourquoi certains en font un « messie »

Malgré cela, Poutine bénéficie encore d’une aura dans certains milieux, en Russie comme à l’étranger. Sa propagande joue sur un virilisme ostentatoire, sur le mythe d’un chef fort et sur un anti-occidentalisme simpliste. Certaines personnes opposées à l’OTAN projettent sur lui un fantasme de « contre-empire », ignorant que la Russie applique depuis des siècles une politique impérialiste d’une violence extrême. Cette fascination repose sur une illusion : Poutine n’est pas un rempart contre l’impérialisme, mais l’un de ses représentants les plus brutaux et les plus constants au XXIe siècle. Il ne tient pas sa légitimité d’une souveraineté populaire, mais de la peur, de la propagande et de la répression. C’est cela, la réalité de son pouvoir.

Il est important de préciser que s’opposer à Poutine, à ses crimes et à son impérialisme ne signifie pas tolérer la guerre ni applaudir les logiques militaristes. Critiquer un dictateur ne revient pas à justifier le militarisme occidental ; cela revient simplement à refuser qu’un peuple soit écrasé. C’est dans cette perspective, et seulement dans celle-là, que s’inscrit une position réellement antimilitariste et anti-impérialiste.

Antimilitarisme, anticapitalisme et refus de tous les impérialismes

Dans ce monde saturé d’empires militaires, la guerre n’est jamais une solution : elle est l’arme des puissants pour sacrifier les pauvres. Elle ne sert jamais les peuples : elle sert les oligarchies, les régimes autoritaires, les puissances qui transforment la violence en levier politique, sans oublier l’industrie et les financiers. Le capitalisme de guerre prospère précisément là où les corps s’effondrent : dans les usines d’armement qui tournent en continu, dans les contrats juteux négociés loin du front, dans l’économie de crise qui détourne l’attention des injustices internes et offre aux élites l’occasion d’étouffer toute contestation sociale.

Refuser l’invasion russe ne signifie pas applaudir l’OTAN. Résister à un envahisseur n’a rien à voir avec soutenir le militarisme occidental. La critique de l’impérialisme ne peut pas être sélective : elle englobe l’impérialisme russe, mais aussi celui des États-Unis, de l’OTAN, des puissances économiques qui profitent des conflits pour renforcer leur domination. L’important reste de défendre les peuples contre tous les empires qui cherchent à les écraser.

En Ukraine, même des anarchistes ont pris les armes, non par amour de la guerre, mais parce qu’ils savent que, s’ils ne le font pas, il ne restera plus aucun espace pour quelque liberté que ce soit. Plus aucune possibilité d’exister en dehors d’un pouvoir totalitaire. Ils combattent pour empêcher un empire de refermer sa main sur leur pays, non pour glorifier une armée ni pour justifier un système militariste qu’ils rejettent profondément.

À travers l’Ukraine, ce n’est pas seulement un territoire que la Russie tente d’absorber : c’est l’idée même qu’un peuple puisse vivre en dehors de sa domination. C’est cela que l’invasion cherche à briser. C’est cela que la propagande tente de masquer.

Mais ce que révèle l’histoire, c’est que les empires sont des machines fragiles : ils tiennent sur la peur, sur le mensonge, sur le sang. Dès que les peuples refusent de plier, ils se fissurent.

Elena Meilune

Photo de couverture : Voitures près d’un immeuble résidentiel de 24 étages à Kyiv endommagées par des fragments d’un drone abattu lors de l’attaque russe contre l’Ukraine avec des drones kamikazes dans la nuit du 30 mai 2023. Une personne est morte, quatre ont été blessées. Wikimedia.

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