Le cyclisme professionnel belge traverse une zone de turbulences d’une intensité rarement observée. Derrière des résultats sportifs souvent éclatants se dissimule une fragilité économique croissante. L’ensemble des équipes professionnelles, à tous les niveaux, se retrouve confronté à un avenir incertain, révélant une crise structurelle profonde au sein d’un pays pourtant à nouveau classé première nation mondiale au classement UCI.

Alpecin-Deceuninck n’a toujours pas présenté de co-sponsor pour remplacer Deceuninck et voit par ailleurs son « entrejeu » se vider : Xandro Meurisse, Quinten Hermans, Gianni Vermeersch, Robbe Ghys et Fabio Van den Bossche ont trouvé un engagement ailleurs. Chez Soudal-Quick Step, le départ de Remco Evenepoel a laissé un vide sportif, médiatique et économique. Mais le coup le plus rude provient de l’intérieur : Quick-Step a confirmé son intention de « faire un pas en arrière » dans son soutien financier.

Intermarché-Wanty, de son côté, accumule les dettes — entre 2,5 et 3 millions d’euros — tandis que la ProTeam Lotto n’est pas parvenue à attirer un nouveau partenaire. Les deux structures ont dès lors décidé de fusionner, une opération complexe à mettre en œuvre d’un point de vue administratif. À cela s’ajoute la situation de Team Flanders-Baloise, largement dépendante d’un financement de la Région flamande, et qui sait d’ores et déjà que celui-ci s’interrompra après 2026. Pour conclure ce tableau préoccupant, l’équipe Wagner Bazin-WB ne repartira pas en raison d’une rupture unilatérale de contrat de la part de son sponsor principal après seulement une année de partenariat.

LE DÉFI DE LA MONDIALISATION

Ce constat alarmant inquiète ouvertement le président de Belgian Cycling, Tom Van Damme. « Ce phénomène ne se limite pas à la Belgique : c’est une tendance internationale. En France, par exemple, les équipes rencontrent exactement les mêmes difficultés », précise-t-il à DirectVelo. Selon le dirigeant de 64 ans, la racine du problème réside dans la manière de rechercher des financements. Les équipes manquent le tournant de la mondialisation. « Cela fait cinq ans que je le répète à Roodhooft et à Lefevere. Si l’on doit trouver de nouveaux sponsors, c’est en Asie. Mais, pour cela, encore faut-il envoyer sa meilleure équipe sur le Tour de Guangxi ou d’autres courses. Ce qui, malheureusement, n’est selon moi pas le cas. Tout le monde parle d’internationalisation, mais lorsque des opportunités se présentent — au Québec, en Australie ou en Chine — les équipes n’y alignent pas leurs meilleurs éléments. Comment, dès lors, convaincre des partenaires internationaux si l’on demeure centré sur l’Europe ? ». Wout van Aert estime toutefois que le mouvement est enclenché. « Il existe déjà des partenaires venus du Moyen-Orient et des acteurs mondiaux tels que Lidl ou Red Bull », expliquait-il récemment dans le journal économique De Tijd.

ENGAGER DES DIRECTEURS COMMERCIAUX DE HAUT NIVEAU

Deuxième point souligné par Tom Van Damme : les profils chargés de cette mission. « La recherche de sponsors est souvent confiée aux managers. Mais ne faudrait-il pas, à un moment donné, un directeur commercial de haut niveau, doté d’une envergure internationale ? Plutôt que d’engager un coureur de niveau moyen pour combler un déficit de 300 000 euros, ne vaudrait-il pas mieux investir dans un expert capable de prospecter les marchés asiatiques et américains ? Le cyclisme néglige un marché immense, j’en suis convaincu ». Pour illustrer son propos, celui qui est aussi président du Conseil du cyclisme professionnel évoque la Premier League anglaise. « C’est le championnat numéro un au monde, et l’essentiel de ses sponsors sont asiatiques. Ils cherchent de la visibilité en Europe : pourquoi ne pas aller les solliciter ? Approcher encore les entreprises belges ne sert plus à grand-chose, elles ont toutes été contactées. Il faut désormais élargir le rayon d’action ».

Wout van Aert, qui plaide aussi pour une redistribution des droits télévisés en faveur des équipes, abonde dans ce sens. « Quand je vois comment la NBA répartit les revenus entre toutes les parties prenantes, le cyclisme aurait énormément à apprendre. Nous sommes peut-être trop attachés au charme et au caractère populaire de ce sport. Ce n’est pas parce que l’on demande cinq euros d’entrée qu’il cesse d’être un sport populaire. Le cyclo-cross impose bien un droit d’accès, et il n’y a pas un sport plus populaire ». Ces propos résonnent avec ceux de Jérôme Pineau, qui propose de faire payer le public au bord des routes, prenant pour exemple l’étape du Tour de France qui grimpera deux fois l’Alpe d’Huez l’été prochain. Avant même de se projeter vers les 21 lacets de la célèbre ascension, il importe surtout de veiller à ce que les équipes belges ne manquent pas ce tournant décisif qui conditionnera leur avenir.