Par
Antoine Blanchet
Publié le
1 déc. 2025 à 20h00
« Je me demande ce qu’on aurait jugé si on n’avait pas eu ces vidéos ». La phrase teintée de pragmatisme prononcée par la présidente de la 10ᵉ chambre correctionnelle du tribunal de Créteil résume toute l’affaire qui se joue ce 1ᵉʳ décembre 2025. Il faut dire que sans ces images, où l’on voit une voiture de police percuter un motard sur l’autoroute A4, les deux policiers à la barre des prévenus auraient continué leurs activités. Le motard percuté et hanté par ce « sentiment de mort imminente » n’aurait jamais poussé les portes du commissariat.
Percuté en pleine autoroute
C’est le 14 octobre, en l’espace de quelques minutes, que les faits se sont produits. Ce jour-là, vers 17 heures, Hugo rentre chez lui en Seine-Saint-Denis. Au niveau du quai de Bercy, il a un léger accrochage avec une voiture de police qu’il vient de dépasser sur la droite. Les minutes passent et sur l’autoroute A4, à hauteur de Charenton-le-Pont, le deux-roues est subitement percuté sur la gauche par le véhicule banalisé. Le policier passager sort même son bras pour taper la moto. Le motard parvient à rétablir son équilibre pour ne pas chuter et trouver une mort quasi certaine sur cet axe routier très fréquenté. Les deux agents prennent la tangente.
Ces quelques secondes de violence sur l’asphalte auraient pu passer inaperçue si au même moment, un véhicule Tesla n’avait pas filmé la scène. La vidéo se met à circuler sur les réseaux sociaux. Plus de deux millions de personnes la visionnent. Hugo décide de porter plainte pour tentative de meurtre. Une enquête est ouverte par l’Inspection générale de la police nationale.
Intoxication ou intox ?
À la barre ce lundi, le major B., 53 ans, n’est pas très à l’aise. Son jeune collègue de 26 ans encore moins. Il chancelle dans cette atmosphère judiciaire étouffante, au sens propre comme au figuré. On lui propose une chaise pour s’asseoir. De leurs voix mal-assurées, les deux prévenus racontent leur version de cette affaire, qui débute par un mal de ventre.
Les deux agents sont en effet appelés pour intervenir à l’ambassade d’Iran, près de l’Assemblée Nationale. Au moment d’arriver sur la route, Nils A., le conducteur, aurait commencé à se sentir mal. « Je me suis dit qu’il avait mangé un mauvais truc, puis il a eu des fourmillements dans les doigts. Ça m’a inquiété », assure son collègue. Ce dernier prend le volant et met le deux-tons. La police se change en ambulance. Non pour se rendre à l’hôpital, mais vers leur lieu de travail.
Déjà, il y a des incohérences. Nils A., dont le nœud à l’estomac l’empêchait de prendre le volant… n’a jamais vu de médecin. Après les faits, il est rentré chez lui. « J’ai pris un spasfond », déclare-t-il à la présidente suspicieuse. Un supérieur l’aurait vu vomir dans les toilettes, mais on n’en saura pas plus. Pour Me Arié Alimi, avocat de la victime, la maladie aurait été inventée comme excuse pour justifier la conduite plus que sportive du prévenu.
« Je ne pensais pas l’avoir touché »
On arrive sur les quais de Bercy. Le major B. affirme ne pas avoir relevé le dépassement par la droite. « Ça fait 30 ans que je suis à Paris. Je sais que les motos le font souvent », déclare ce policier de métier qui a déjà servi à l’arrière des motos de la Brav-M. Il réfute donc avoir percuté le deux-roues par colère après ce dépassement.
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Sur l’A4, le prévenu explique s’être déporté sur la droite pour aller sur la file où le trafic est plus fluide. « Je voulais m’insérer devant la moto. Il était dans mon angle mort. Je ne pensais pas du tout l’avoir touché », abonde le fonctionnaire, qui reconnaît avoir pris une décision « soudaine et brutale ». Sans avoir mis son clignotant. Quant à son collègue, la présidente lui demande pourquoi il a sorti son bras par la fenêtre. « C’est un geste que je fais par instinct pour dire aux véhicules derrière de nous laisser le passage », déclare l’intéressé. Des explications qui laissent le tribunal circonspect.
Il y a le pendant, mais aussi l’après qui interroge. Alors que la vidéo devient virale, les deux policiers échangent par téléphone sur la situation. L’inquiétude est loin d’être palpable. « J’ai chassé un deux-roues, je l’ai pas trouvé », lance le major B. en concluant son message par une émoticône souriant. « Je suis peut-être devenu froid », concède le policier. Quant à son collègue, il n’hésite pas à qualifier la victime « d’enc… » après qu’elle s’est exprimée dans les médias.
« Si je tombe, je meurs »
À la barre, cette dernière a un tout autre récit. Hugo reste persuadé que les policiers l’ont volontairement percuté, après l’accrochage quai de Bercy. Le jeune homme revoit encore l’instant fatidique. « Si je tombe, je meurs vu le trafic. Je ne suis pas passé loin », souffle la partie civile à la barre. Ces quelques secondes, il les ressasse. Son sommeil est troublé par ce choc qui aurait pu être fatal.
Son avocat va plus loin. Il déplore que les faits aient été requalifiés en violences volontaires. « Il y aurait même pu avoir une plainte pour tentative d’assassinat », fustige le pénaliste. Il pointe du doigt la totale impunité des deux agents : « Le moment où ils décident de percuter ou de mettre un coup de pression, ils savent que la scène n’aura pas de suites ».
Le procureur a aussi du mal à croire à la version des deux prévenus. « Aucune crédibilité ne peut leur être accordée. Il y a tout un tas de petites incohérences qui viennent fragiliser la version des fonctionnaires de police », déclare le magistrat. Évoquant des faits « d’une extrême gravité », il requiert 18 mois de prison avec sursis contre les deux agents, ainsi qu’une interdiction d’exercer leur profession pendant un an.
L’audience a été mise en délibéré pour le 18 décembre.
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