L’arrière du XV du Chardon, Chloe Rollie, aime les défis. Après une saison seulement avec les Trailfinders en Premiership Women’s Rugby, elle a quitté le confort du championnat anglais pour rejoindre le Rugby club Toulon Provence Méditerranée, promu en Elite 1 féminine, au lendemain de la Coupe du Monde de Rugby féminine. Une grande aventure pour elle comme pour son nouveau club.

Elle résume son choix en cinq mots : « I just needed a change. » Puis elle développe : « J’avais besoin d’un nouvel environnement. D’un nouveau défi. Et il n’y avait pas que le rugby à apprendre. Il fallait aussi découvrir la langue, la culture, un nouveau groupe de filles, dans une équipe qui venait d’accéder à l’Elite 1. »

Ce n’est pas une découverte totale du rugby français pour elle puisqu’elle avait déjà posé ses valises à Lille en 2017, pour ses débuts pros avec le LMRCV, jusqu’en demi-finale de l’ancien Top 8. Presque dix ans plus tard, la voilà à l’autre bout du pays, sur la rade de Toulon, mais avec le même souvenir agréable.

« La dernière fois que j’étais en France, à Lille, j’ai aimé la façon dont les filles jouaient. C’était un peu plus libre, un peu plus “fais ce que tu as envie de faire en tant que joueuse”. » À l’inverse, elle s’était sentie enfermée dans un cadre trop rigide en Angleterre : « Je me sentais un peu à l’étroit là où j’étais. Notre façon de jouer était très structurée, très scolaire. Tu passes par cette étape, puis tu fais ça, puis tu fais encore ça. »

La différence, pour elle, tient à l’ADN du jeu : « En France, le rugby se joue davantage la tête relevée, en s’adaptant à ce qu’il y a en face. C’est le genre de joueuse que je suis. Je peux prendre le ballon et, si quelque chose change devant moi, pourquoi appeler la même combinaison ou jouer le même mouvement si la situation est différente ? »

Elle revendique un rugby de lecture et de plaisir : « Par moments, en PWR, j’avais l’impression qu’on était un peu en pilotage automatique – on va faire ci, puis on va faire ça. En France, on va essayer ça – si ça marche, parfait, sinon on regarde ce qui se passe ensuite. Comment veux-tu attaquer le match autrement ? Qu’est-ce que tu vois devant toi ? Comment vas-tu exploiter ça ? »

Ce goût de la liberté colle parfaitement à son poste de numéro 15. « Je veux trouver la brèche. Je veux trouver les espaces. Je veux repérer les points faibles de la défense. Évidemment, quand tu joues arrière, tu prends le ballon et tu as trois décisions à prendre : courir, taper au pied ou passer. Si j’ai des options sur d’autres phases de jeu, c’est idéal pour moi, parce que tout peut changer devant et tu dois simplement jouer un rugby spontané. Pour moi, c’est vraiment important de jouer avec un peu de liberté, pour pouvoir m’exprimer. »

Stéphane Beyt-Gamonet, son manager au Rugby club Toulon Provence Méditerranée, est depuis longtemps un adepte du transfert de cultures : « La saison dernière, le fait d’avoir fait venir Carmen Izik et Ashlynn Smith, internationales canadiennes, ainsi que Micaela Pallero (internationale argentine), nous a vraiment apporté une culture du travail, de l’amour de l’effort, du dépassement. Et, de ce qu’on a vu de Sofia (Stefan), Chloé (Rollie) et Béatrice (Veronese) à l’entraînement, elles sont sur les mêmes standards. Ça permet au groupe de s’élever en permanence et, au final, ça profite à tout le monde », expliquait-il à nos confrères de Nice Matin.

Pourtant, le début de l’aventure à Toulon ressemble à un crash-test grandeur nature : cinq défaites en six journées contre des références du championnat (Blagnac, Montpellier, Grenoble, Toulouse, Bobigny), pour une seule victoire arrachée à domicile face à Lyon. Rollie ne s’en cache pas : « Cette équipe doit encore trouver ses repères en termes de structure, d’environnement et de professionnalisme. Changer les mentalités prend du temps. L’Elite 2 était probablement beaucoup plus simple.

« On progresse à chaque match. Contre Blagnac, on ne perd que de sept points. Ce n’est pas un gros écart, surtout contre une équipe de ce niveau. C’était un match serré et une très bonne performance. Ensuite, on a joué Montpellier et notre première mi-temps a vraiment été loin du compte. Mais c’est ça, l’Elite 1. Les équipes te punissent. »

Le succès contre Lyon, arraché dans les dernières secondes, en dit long sur le niveau, mais pas question pour autant de se laisser impressionner par le pedigree des adversaires : « Elles ont peut-être des internationales, elles peuvent paraître très fortes. Mais si nous appliquons correctement notre plan de jeu et que nous maîtrisons les temps forts du match, il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions pas gagner… à condition que nous respections tous nos processus. »

Cette deuxième expérience en France arrive au moment où le rugby féminin tricolore bascule dans une nouvelle dimension. La FFR a fait de la Coupe du Monde de Rugby 2025 un tremplin, AXA a donné son nom à l’Elite 1 pour trois saisons avec l’objectif de tripler les budgets des clubs phares, et François Ratier prendra officiellement en main le XV de France féminin le 5 janvier 2026 avec la mission de contribuer à la conception, à la mise en œuvre et à la gestion d’un projet de performance ambitieux ayant pour objectif de mener le XV de France féminin au titre mondial en 2029.

« Seules quelques internationales peuvent vraiment se consacrer à plein temps à l’entraînement et à la récupération. Il y a une vraie différence de mentalité par rapport à un environnement professionnel. »

Vue de l’intérieur, Rollie mesure aussi le retard accumulé par le championnat français sur la PWR anglaise, qu’elle estime à cinq ans. Elle décrit un cadre encore très semi-professionnel : « Ce n’est pas aussi professionnel ici, c’est davantage un passe-temps. Les filles jouent à ce sport plus pour le plaisir que comme un vrai boulot. Elles travaillent toute la journée puis arrivent à l’entraînement. Certaines arrivent en retard parce qu’elles ont dû finir plus tard au travail. En PWR, quand je suis partie, ce n’était pas le cas. Il y a beaucoup d’athlètes à temps plein qui arrivent à 13 heures pour faire du travail spécifique, alors qu’ici, on doit attendre 18h30 pour faire la même chose parce que tout le monde travaille.

« Seules quelques internationales peuvent vraiment se consacrer à plein temps à l’entraînement et à la récupération. Il y a une vraie différence de mentalité par rapport à un environnement professionnel. »

Elle nuance toutefois pour Toulon, encore en construction : « Toulon est sans doute différent des autres équipes d’Elite 1 parce que le club est nouveau à ce niveau, il cherche encore ses marques et essaie toujours de se structurer. Les entraîneurs ont encore un emploi à temps plein et viennent nous coacher le soir. Pour moi, c’est un gros changement, parce que dans la PWR, c’est leur travail principal. »

« La Fédération française a peut-être eu un choc en réalisant à quel point la PWR a développé le rugby féminin en général et quel impact a eu la Coupe du monde. »

Pour Rollie, la prise de conscience côté français est récente. « L’équipe de France parvenait autrefois à obtenir de bons résultats contre l’Angleterre, à la battre parfois ou du moins à ne perdre que d’un cheveu, » se souvient-elle. « La Fédération française a peut-être eu un choc en réalisant à quel point la PWR a développé le rugby féminin en général et quel impact a eu la Coupe du monde. »

Elle a mesuré ce changement d’échelle lors du quart de finale de la dernière Coupe du Monde de Rugby féminine, disputée avec l’Écosse contre l’Angleterre à Ashton Gate, devant un stade plein. « C’était irréel, » dit-elle. « J’ai attendu ce moment pendant dix ans de rugby féminin, c’était presque comme : “Waouh, on y est arrivées.” On a enfin fait grandir ce sport. On a enfin mis le rugby féminin sur la carte. On a enfin montré à tout le monde que les femmes sont capables de jouer au rugby, de remplir les tribunes, de créer de l’ambiance et de produire des grandes performances. C’était, sincèrement, tellement cool. »

Avec ce vécu et ce regard, rien d’étonnant à ce qu’elle vise déjà une dernière campagne mondiale.