Les avantages fiscaux portant sur le patrimoine sont « supérieurs au produit de la fiscalité des revenus du patrimoine », a constaté lundi le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), adossé à la Cour des comptes. En clair, plus de la moitié de ces impôts et taxes ne sont pas payés, au titre de diverses dérogations et réductions. C’est pourquoi le CPO a préconisé dans son rapport un grand dépoussiérage de la fiscalité pesant sur l’épargne et du patrimoine des Français – en particulier des plus aisés.

En pleins débats budgétaires, le CPO propose donc plusieurs pistes et recommandations, « globalement neutres pour les finances publiques »… mais pas pour (tous) les Français. État des lieux.

Abaisser le plafond du livret A et imposer (en partie) les intérêts

Symboliquement, c’est sans doute la plus explosive des idées portées par le CPO : les auteurs du rapport déplorent que, aujourd’hui, la fiscalité oriente « l’épargne vers tel ou tel produit, au détriment de la fluidité du marché de l’immobilier et du financement de l’économie ». Ainsi, le CPO suggère d’abaisser les plafonds pesant sur l’épargne réglementée (22 950 euros pour un livret A, 15 300 euros pour un LDDS, etc.) « pour la limiter à la seule épargne de précaution ». Mais aussi de soumettre à l’impôt les intérêts qui dépassent ces plafonds. Car, s’il est impossible de déposer plus de 22 950 euros sur un livret A, les intérêts produits lorsque le plafond est atteint s’ajoutent, fructifient à leur tour, et restent non imposables. Plus largement, tous les « revenus du patrimoine » seraient réintégrés dans le revenu fiscal de référence.

Pour rappel, en 2024, 83 % des Français détiennent un livret A (58 millions). L’encours moyen est de 7 482 euros, mais l’encours médian dépasse à peine 1 500 euros. Seuls 13 % des Français disposent d’un livret A « au plafond »… ou plus.

Revoir la fiscalité de l’assurance-vie

Le CPO constate aussi que la moitié des ménages français possèdent au moins un contrat d’assurance-vie… à la fiscalité souvent avantageuse. Et surtout en cas de succession : il propose donc de « rapprocher le traitement fiscal des sommes transmises au titre de l’assurance-vie de celui de l’ensemble des transmissions » en cas d’héritage. Manque à gagner pour l’État : jusqu’à 532 millions d’euros.

Il s’agirait, pour les plus fortunés seulement, de supprimer l’abattement de 152 500 euros propre à ce type de produit, pour appliquer strictement le barème des droits de succession « à partir de la tranche marginale de 20 % », écrit le CPO. Autrement dit, la part qui, en ligne directe et au-delà de l’abattement de 100 000 euros par héritier, débute à 15 932 euros.

Immobilier : le « LMNP » sur la sellette

La taxe foncière est jugée « très inégalitaire » par le CPO, puisqu’elle dépend surtout de la valeur du bien et peu des revenus des propriétaires. De même, la detention immobilière « contribue peu à assurer une contribution progressive des ménages à très hauts patrimoines aux charges publiques ». En clair, les plus fortunés paient trop peu au regard de leur patrimoine… et de leurs revenus.

Le CPO conseille donc, par exemple, de modifier le dispositif d’imposition des plus-values sur les résidences secondaires. Mais aussi – et surtout – de « rapprocher » encore location « nue » et location « meublée » : il ne serait plus possible de déduire l’amortissement du bien, et il existerait un abattement forfaitaire unique de 40 %.

Successions : taux réduit, assiette plus large

Le CPO observe des « taux élevés » sur les donations et successions les plus importantes (jusqu’à 45 % en ligne directe au-delà de 1,8 million d’euros par héritier), mais de nombreuses dérogations permettent d’y échapper. Il donne un exemple frappant : une succession à cinq millions d’euros est taxée à 39,3 % « sans optimisation », mais seulement 2,1 % en cumulant – légalement – le bénéfice du pacte Dutreil et du démembrement.

« Sous le double effet du vieillissement de la population et du recul de l’âge du pic de détention du patrimoine, les décennies à venir seront marquées par un mouvement massif de successions, bénéficiant à des contribuables eux-mêmes de plus en plus âgés, qui vont renforcer la concentration déjà forte des patrimoines », constate le CPO. Il préconise donc d’élargir la base imposable, tout en réduisant les taux maximum. Et rappelle que le Conseil constitutionnel n’interdit pas d’intégrer les biens professionnels dans l’assiette d’une imposition sur le patrimoine… ce qui pourrait signer la fin du pacte Dutreil, très contesté.

Réduire les frais de notaire

Le CPO propose enfin de diminuer les « droits de mutation à titre onéreux », plus communément appelés frais de notaire, qui sont payés lors de toute transaction visant un bien immobilier. Concrètement, il s’agirait d’abaisser « le taux plafond de la part départementale […] en compensant le manque à gagner pour les départements », écrit le CPO, qui considère que leur montant élevé « pèse sur les transactions immobilières » – et freinent donc la vente de biens.

Le patrimoine des plus riches (et sa fiscalité) en chiffres

Le CPO rappelle que depuis 1995, la fiscalité du patrimoine a progressé légèrement plus vite que la valeur de ce patrimoine. Résultat, la France figure dans le trio de tête des pays où il est le plus taxé : « en moyenne 1,8 % du PIB dans l’OCDE », mais « 3,7 % du PIB » en France (4 % au Royaume-Uni et en Israël, 3,8 % en Corée du Sud). C’est nettement moins en Belgique, Allemagne, Espagne ou Italie. Mais au prix de fortes inégalités : en France, 10 % de la population la plus favorisée détient 60 % de la richesse nationale (70 % aux États-Unis). Et le 1 % le plus riche possède… 27 % de la richesse nationale (35 % aux États-Unis). 

L’âge joue beaucoup : les Français âgés de 60 à 69 ans possèdent le patrimoine le plus important. Ce qui laisse entrevoir « un mouvement massif de successions, bénéficiant à des contribuables eux-mêmes de plus en plus âgés, qui vont renforcer la concentration déjà forte des patrimoines », avertit le rapport.