Union européenne –
Ursula von der Leyen II: une boussole qui pointe à droite sous l’ombre américaine
Un an après l’entrée en fonction de la Commission von der Leyen II, le virage à droite pris par les différentes institutions s’entérine. Et le loup Donald Trump n’a pas fini de mettre l’Union européenne sous pression.
Publié aujourd’hui à 17h22
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, après avoir signé un partenariat UE-Grenade à Bruxelles, le 8 octobre 2025. (Photo: Nicolas TUCAT/AFP)
AFP
Le 1er décembre 2024, Ursula von der Leyen, flanquée de ses 26 commissaires, entamait son second mandat à la tête de la Commission européenne. À l’époque, le démarrage était qualifié de «douloureux» à cause des tensions déjà apparentes au sein de la majorité traditionnelle – les conservateurs du PPE, les socialistes du S&D, les libéraux de Renew et, occasionnellement, les Verts – qui soutenaient le nouvel Exécutif.
Un an plus tard, les dissensions sont saillantes. Et la bascule dans les priorités portées par la Commission, entre le premier et le second mandat de l’Allemande, est nette. «La fenêtre d’opportunité qui avait été ouverte par la conjonction entre le Green Deal et la pandémie, et qui mettait l’accent sur les problèmes environnementaux et sociaux, s’est refermée», analyse Amandine Crespy, politologue au Cevipol (ULB). D’autant que la droite conservatrice du PPE, première force politique et famille d’origine de la présidente de l’Exécutif, s’est imposée au centre du jeu parlementaire, assumant un rôle de pivot entre la majorité traditionnelle et une extrême droite qui a obtenu des résultats fracassants en juin 2024.
Le Parlement européen n’est pas la seule institution à accueillir en son sein davantage de politiciens à droite de l’échiquier. Au Conseil, organe colégislateur où siègent les Vingt-Sept, plusieurs gouvernements sont dirigés ou accueillent des partis nationalistes. Lors des sommets européens, on compte autour de la table le premier ministre hongrois Orbán et son homologue, l’Italienne Meloni, tous deux d’extrême droite. Le casting de la Commission von der Leyen II avait fait des remous avec l’attribution historique d’un poste à une personnalité issue du groupe national-conservateur ECR, Raffaele Fitto (Fratelli d’Italia). «Dans les trois institutions, le PPE est le parti principal. Il utilise donc ces leviers pour mettre en œuvre sa politique», explique Eric Maurice, chercheur au European Policy Centre.
Objectif : déréguler
Sur le plan géopolitique, la guerre en Ukraine – et avec elle, la nécessité de renforcer la défense européenne – a pris une place prépondérante dans l’agenda du Berlaymont. Et la perte de vitesse de l’économie du continent a achevé de reléguer les objectifs climatiques – qu’avait portés fièrement l’équipe von der Leyen I – à l’arrière-plan. Fini le Green Deal, place à une série de directives omnibus – des textes législatifs qui permettent de réviser d’une seule traite plusieurs directives existantes. Avec un objectif: simplifier la bureaucratie européenne, voire déréguler, comme l’assume la cheffe de la Commission.
Le dernier fait notable date de la mi-novembre. Pour faire passer l’omnibus sur la durabilité et le devoir de vigilance des entreprises qui divisait le bloc central, les conservateurs du PPE se sont alliés pour la première fois avec des groupes d’extrême droite pour adopter un texte législatif. Quelques jours plus tard, cette majorité alternative se reformait pour acter le report de la loi sur la déforestation. «L’agenda de dérégulation est poussé depuis longtemps par le PPE et la droite allemande dont est issue von der Leyen. Il peut donc y avoir un intérêt, sur certains sujets ponctuels, à laisser passer des textes grâce aux partis nationalistes», estime Maxime Lefebvre, ancien ambassadeur et professeur de relations internationales à l’ESCP Business School. «Alors que la Commission traverse une période de panique morale et que domine l’idée d’un recul de la prospérité européenne, sa présidente veut montrer qu’elle agit», ajoute Amandine Crespy. «Et cette dérégulation, sous couvert de simplification administrative, n’est pas une idée nouvelle. C’est un retour à un mantra néolibéral qui avait déjà cours dans les institutions européennes au début des années 2000.»
Jeu dangereux
Cette droitisation du centre de gravité se fait sentir au sein du bloc central du Parlement européen où socialistes, libéraux et écologistes tentent de freiner les ardeurs des conservateurs. Instabilité, violation du cordon sanitaire… les accusations contre le PPE sont nombreuses et ciblent particulièrement le chef de groupe, Manfred Weber, qui joue volontiers la carte de la collaboration avec l’extrême droite. «C’est une ligne de crête», met en garde Maxime Lefebvre. «C’est dangereux pour Ursula von der Leyen de trop s’acoquiner avec les partis nationalistes au parlement. Cela pourrait entraîner à un moment donné une cassure du bloc central.» La présidente de la Commission a besoin du soutien de la majorité proeuropéenne qui lui a donné sa confiance il y a un an pour faire passer des législations essentielles, comme le budget à long terme de l’UE ou les textes qui touchent à l’Ukraine et la défense, pour lesquels elle ne peut pas compter sur le soutien des partis d’extrême droite.
D’autant plus qu’à bien des égards, les groupes nationalistes ont montré leur inconstance. Trois motions de censure ont déjà bousculé Ursula von der Leyen. Un record historique pour une numéro un du Berlaymont. Deux émanaient de l’extrême droite et la dernière de la gauche radicale. Si elles sont vouées à se reproduire, rendant l’hémicycle de Strasbourg moins prévisible, Eric Maurice ne croit pas que la Commission tombera. «Qui y a intérêt? Pas le PPE et je vois mal les socio-démocrates présenter une motion de censure ou voter avec l’extrême droite ou la gauche radicale.» D’autant plus que les groupes proeuropéens ont peu d’alternatives, aucune majorité n’étant possible sans le PPE.
La secousse Trump
Sur l’échelle de Richter façon Union européenne, les remous occasionnés par les votes de défiance sont incomparables à la secousse provoquée par le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Investi de la présidence américaine fin janvier, le Républicain n’a pas perdu de temps pour amorcer un virage prédateur dans sa politique extérieure. En mars, il humiliait son homologue ukrainien. L’Europe ne pouvait que constater le désengagement des États-Unis dans la guerre en Ukraine. Et, début avril, il lançait ses attaques douanières, n’épargnant surtout pas ses alliés européens.
Après des mois de négociations, quelques litres de sueurs froides et plusieurs menaces d’escalade de la part des Américains, la présidente von der Leyen a finalement décroché, sur les terres écossaises du Républicain, un accord commercial avec le plus grand partenaire économique du Vieux-Continent. Le deal est qualifié d’emblée de «déséquilibré» et «asymétrique». «Ce n’est pas bon pour l’image que cela renvoie d’une Europe souveraine qui défend ses intérêts. Mais quelles étaient les alternatives?», expose Maxime Lefebvre. Les États membres ne voulaient pour la plupart pas tenter l’escalade commerciale et, face à de potentielles surenchères, cet accord était peut-être la solution la moins mauvaise. D’autant plus que la question de la sécurité du territoire européen était mêlée aux négociations commerciales.
Mais le loup étasunien semble être entré dans la bergerie, à Turnberry. Lundi dernier, alors que les Européens tentaient d’obtenir une baisse des droits de douane sur l’acier européen – frappé de 50% de tariffs –, les émissaires de Donald Trump, en visite à Bruxelles, mettaient la pression pour que l’UE fasse davantage de concessions sur ses lois régulant la tech. «Un chantage», dénonçait, dans Politico, la commissaire espagnole Teresa Ribera, qui défend cette ligne rouge. Mais dans ces négociations, l’Europe ne parvient pas à imposer un véritable rapport de force avec son allié américain. Les accords passés avec le locataire de la Maison-Blanche ne règlent rien sur le long terme, pointe le chercheur Eric Maurice. «Il revient toujours avec une nouvelle demande. Son objectif est d’affaiblir l’Europe. Objectif qu’il partage d’ailleurs avec Vladimir Poutine.»
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Cet article sur l’Union européenne a été écrit par «Le Soir», membre belge du réseau d’information LENA.
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Se connecterJulien Culet est responsable de la rubrique Suisse-Monde-Economie. Il a rejoint la rubrique Suisse en 2018 en tant que correspondant à Genève pour «Le Matin Dimanche». Il a auparavant travaillé durant 5 ans au sein de la rédaction du «20 minutes».Plus d’infos@JulienClt
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