Dan Houser, l’illustre cofondateur de Rockstar Games et plume derrière les plus grands succès du studio (GTA, Red Dead), tire à boulets rouges sur l’intelligence artificielle générative, la comparant à une pathologie dégénérative pour la culture.
Plus qu’un marronnier journalistique, l’intelligence artificielle est devenue une épée de Damoclès bien réelle au-dessus des industries créatives, et le cinéma en est la première victime collatérale. Entre les fantasmes de producteurs, avec une fausse actrice en IA, un faux réalisateur en IA et des pans entiers du cinéma massacrés, l’inquiétude est palpable.
Ce n’est pas qu’une question de purisme artistique, mais bien une urgence sociale, puisque des milliers d’emplois techniques et artistiques sont menacés par une technologie que certains studios embrassent avec une ferveur aveugle, sacrifiant la patte humaine sur l’autel de la rentabilité immédiate.
Ce scénario dystopique ne s’arrête malheureusement pas aux portes d’Hollywood ; il a enfoncé celles de l’industrie vidéoludique à grands coups de bélier. Le secteur traverse une crise identitaire majeure, illustrée par les plans de restructuration massifs chez des géants comme Microsoft, justifiés en partie par l’automatisation et le déploiement de l’IA. Dan Houser, légendaire cofondateur de Rockstar et scénariste principal de la saga GTA, a profité d’une interview pour donner son avis très tranché sur la question de l’IA.

GTA 3, le premier coup de maitre de Dan HouserDan Houser : Fur.I.A Road
Pour comprendre la portée de ces déclarations, il faut rappeler qui tient le micro. Dan Houser est l’un des vétérans les plus respectés du milieu, l’architecte de nos nuits blanches depuis son entrée sur la licence Grand Theft Auto en 2001 avec l’épisode III. Il a tenu la plume sur tous les épisodes majeurs jusqu’à GTA V, tout en façonnant les tragédies de Red Dead Redemption 1 et 2 et la noirceur de Max Payne 3. Aujourd’hui à la tête de sa propre structure, Absurd Ventures, Houser reste une figure d’autorité dont la vision créative a défini le genre de l’open-world moderne.
Interrogé par IGN, Houser a livré une analyse cinglante sur ceux qui promeuvent cette technologie. Selon lui, l’IA est actuellement aux mains d’un petit cénacle technocratique qui cherche à dicter nos modes de pensée et de consommation, sans avoir la légitimité émotionnelle pour le faire.
« Certaines de ces personnes qui essaient de définir l’avenir de l’humanité, de la créativité ou autre, en utilisant l’IA, ne sont pas les personnes les plus humaines ou les plus créatives. Ils sont en quelque sorte en train de dire « nous sommes meilleurs que vous ». Et ce n’est évidemment pas vrai. C’est l’une des choses que nous essayons de capturer [chez Absurd Ventures], le fait que l’humanité est tirée dans cette direction par un certain groupe de personnes qui, peut-être, ne sont pas tout à fait humaines. »

Red Dead Redemption 2, ultime chef d’oeuvre de Houser chez RockstarLe syndrome de la vache folle numérique
Houser va plus loin que la simple critique sociale. Pour lui, le phénomène de l’IA générative n’est pas pérenne, car le système porte en lui les germes de sa propre destruction. Il développe une métaphore particulièrement imagée (et inquiétante) pour décrire l’avenir des LLM : le cannibalisme de données. Si les IA s’entraînent sur un internet de plus en plus pollué par du contenu généré par d’autres IA, la qualité s’effondrera inévitablement.
« Je pense que l’IA finira par se dévorer elle-même. D’après ce que je comprends, et c’est une compréhension vraiment superficielle, les modèles parcourent Internet à la recherche d’informations, mais Internet va être de plus en plus rempli d’informations fabriquées par les modèles. C’est un peu comme quand on a nourri les vaches avec des vaches et qu’on a eu la maladie de la vache folle. »

Max Payne 3, le mal-aimé (alors qu’il est mieux que le 2)
Enfin, le créateur pointe du doigt les limites structurelles de la technologie. Loin du fantasme de l’IA omnisciente, Houser voit un système déjà à bout de souffle, limité par son propre ADN. Si l’outil IA peut exceller sur des tâches spécifiques et répétitives, il va échouer à capturer la nuance nécessaire à une grande œuvre.
« Je ne vois pas comment l’information pourrait s’améliorer. [Les IA] sont déjà à court de données. Elles accompliront certaines tâches avec brio, mais elles ne pourront pas tout réussir brillamment. Elles vont devenir une sorte de miroir d’elles-mêmes. »
Houser se dit d’ailleurs légèrement « obsédé » par un défaut majeur des chatbots actuels : l’incohérence de leurs réponses couplée à une arrogance algorithmique. Ce qui empêchera les IA de remplacer les humains.
« Je suis un peu obsédé par le fait que, lorsque vous recherchez la même chose [une deuxième fois], elle ne vous donne pas les mêmes réponses. Et elle a souvent tort, mais elle l’affirme avec une telle assurance. »

Le monstre GTA V
Loin de se laisser abattre par cette morosité technologique, Dan Houser avance avec sa nouvelle écurie, Absurd Ventures. Le studio conçoit actuellement une série de podcasts narratifs (A Better Paradise) et planche sur un roman graphique intitulé American Caper. Côté jeu vidéo, deux titres sont en chantier, encore sans nom pour le moment.
Dans son ancienne maison, Rockstar Games, le silence est toujours d’or, mais la pression est immense. Le monde entier a les yeux rivés sur le calendrier, attendant le Messie GTA 6, dont la sortie est désormais prévue pour le 19 novembre 2026.