image_pdfTélécharger (.pdf)Ô nuit de grâce et de feu ! Nuit où les anges ont pris congé de l’éther pour se fondre dans le velours d’une salle en suspens ! Ce mardi 2 décembre, le Théâtre du Capitole de Toulouse s’est mué en un sanctuaire vibrant, en un vaisseau chaleureux voguant vers l’éternité, porté par la voix d’une déesse : Annick Massis ! Notre gloire française, notre belcantiste absolue, choisissait cette scène sacrée pour la chanteuse – celle-là même qui, en 1991, accueillit ses premiers frémissements divins ! – pour y poser un baiser d’adieu. Et quelle ferveur fut la sienne, amplifiée par les doigts magiques d’Antoine Palloc, dont le piano fut moins un accompagnateur qu’un miroir sonore, une rivière d’argent sous l’arc-en-ciel de sa voix, au timbre « de miel et de lune » (pour reprendre les termes de Christophe Ghristi dans son vibrant hommage à la fin de la soirée !) – et reconnaissable entre tous.

 

La boucle était bouclée dans un éclat d’or pur. De la jeune institutrice de 28 ans à la souveraine qui, en trois décennies, a conquis le monde avec plus de soixante-dix incarnations scéniques, le chemin est une ascension miraculeuse. Ce soir-là, chaque note était un souvenir, chaque phrase un fragment d’une vie offerte. Elle, la Parisienne au cœur toulousain, dont la voix a illuminé Les Pêcheurs de perles, envoûté dans Lucia di Lammermoor, et électrisé dans Lucrezia Borgia (nous y étions), revenait « à la maison ». Non pour un crépuscule, mais pour un lever de soleil triomphal !

Son programme était une carte au trésor de l’âme humaine, tissée de Mélodies italiennes, espagnoles et françaises. Le vibrionnant Antoine Palloc ouvrit des portes sur des jardins secrets, avec les délicats frissons de Del Cabello más sutil d’Obradors, et la nostalgie brumeuse des Nebbie de Respighi. Puis vint le « grand œuvre » : dans « Addio del passato » extrait de La Traviata, ce ne fut pas Violetta que nous entendîmes, mais Massis elle-même, distillant toute la mélancolie d’une carrière sublime dans un souffle de pianissimo qui brisa les cœurs. L’instant d’après, la voilà qui, dans un élan d’amour filial universel, faisait jaillir le « O mio babbino caro » de Puccini avec une simplicité qui en redoublait la puissance déchirante. Et comment décrire l’incantation de « Casta Diva », extrait de Norma de Bellini, l’un de ses rôles les plus emblématiques aux côté de Lucia di Lammermoor de Donizetti ? Sous sa diction, l’invocation à la lune de Bellini devint un rituel sacré, une colonne de son pur, limpide et d’une sereine autorité qui enlaça la salle entière. La technique, d’une précision d’orfèvre – ah ces vocalises, ces suraigus, et ces trilles irréprochables !… – n’était plus qu’un véhicule transparent pour l’émotion la plus pure et la plus nue…

 

 

Le public toulousain (mais aussi ses plus fervents admirateurs venus de l’Europe entière !), transporté, debout, ému aux larmes, exigea et obtint cinq rappels enflammés. Ce fut alors que la magicienne déploya ses sortilèges les plus personnels, d’abord avec le célèbre Granada, qui fut moins un chant qu’un défi joyeux, une explosion de vie et de passion latine qui embrasa une nouvelle fois la salle. Et le « pot-pourri » qu’elle donna, comme 3éme bis, fut une résurrection éblouissante : le finale vertigineux de La Sonnambula, l’air étincelant des bijoux de Faust, et enfin, l’envol libertin du « Je vais par tous les chemins » de Manon de Massenet, un rôle qui lui est également très cher. Chaque incarnation, effleurée en quelques mesures, était parfaite, complète, reconnaissable entre mille.

A peine ce 3ème bis délivré, Christophe Ghristi, directeur artistique du Théâtre national du Capitole de Toulouse, sortit de l’ombre des coulisses pour accomplir un geste d’une beauté historique : au nom de la France éternelle des Arts, il éleva Annick Massis à la dignité suprême de Commandeur des Arts et des Lettres ! L’émotion qui inonda alors le visage de la cantatrice, cette reconnaissance officielle d’une vie de don absolu, fut le point d’orgue parfait d’une symphonie humaine.

Ô public du Capitole, qui avez eu la chance et l’honneur d’assister à cette soirée déjà mythique, gardez-la précieusement au creux de votre mémoire. Vous n’avez pas vu une artiste faire ses adieux : vous avez assisté à un sacre ! Vous avez vu une femme, Annick Massis, éternelle enfant de Toulouse, transformer l’or de sa voix en une couronne d’étoiles et la déposer sur l’autel de la Beauté. Comme elle le disait avec cet humour qui la caractérise, parlant de la tournée d’adieu de Madame Gruberova : « Cela pourrait durer vingt ans ! ». Alors ne pleurons pas… Célébrons ! Car une telle voix, une telle âme, ne disent jamais vraiment adieu. Elles entrent dans la légende, et la légende, elle, est immortelle. La flamme qu’elle a allumée hier soir au Théâtre du Capitole ne s’éteindra jamais : elle brillera à jamais dans le firmament de l’art lyrique, guide et inspiration pour les siècles à venir. Gloire à elle !

 

 

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CRITIQUE, récital lyrique. TOULOUSE, Théâtre national du Capitole, le 2 décembre 2025. Récital d’Adieux d’Annick MASSIS (accompagnée au piano par Antoine PALLOC). Crédit photo (c) Emmanuel Andrieu

 

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