Trente-cinq ans après le début de sa carrière, « le combat continu » pour Kery James. Celui qui avait annoncé prendre sa retraite en 2009 dans Lettre à mon public n’a jamais cessé d’écrire, ni de s’engager à travers des textes aussi militants que percutants. Quatre albums plus tard, Kery James revient avec R.A.P, pour « Résistance, Amour et Poésie », un huitième opus aussi révolté qu’engagé qui marque « le retour du rap sensé ». A près de 48 ans, le poète mélancolique ne semble pas près de lâcher le mic… Pas tant qu’il aura des raisons de s’élever pour « ceux de la deuxième France », « ceux qui sont hors du système ».
C’est avec Radical que le rappeur français a annoncé son retour, au printemps dernier. Un morceau sans concession qui en disait – déjà – long sur l’album à venir, à la production proche du Retour du rap français et aux textes aussi militants que Vent d’Etat et Lettre à la République – a minima. « Voilà le son qu’on n’entend plus, pourtant l’époque est tellement tendue », attaque Kery James. Et d’annoncer la couleur en fin de morceau : « Toujours pas là pour leur dire c’qu’ils veulent entendre ». Courant septembre, date de sortie de l’album, Kery James annonce qu’il est repoussé à novembre, et n’en dévoile que la pochette, rappelant celle de Réel. Le visage de l’artiste y est un peu plus dissimulé mais le regard reste le même : révolté.
Un tacle à la Nouvelle Vague du rap français
R.A.P reprend – sans surprise – les thèmes qui font l’ADN du rap de Kery James, de la vie en banlieue aux inégalités sociales (Rien n’a changé, 1 pour le savoir). Moins attendue, la nouvelle génération du rap français constitue l’un des fils rouges de ce huitième opus teinté d’une certaine amertume. Il déplore notamment son manque de conscience et ses textes superficiels, loin de ce que constituent, aux yeux du lyriciste, les racines du rap français. Loin des IAM, NTM, Psy 4 de la rime ou Mafia K’1 Fry qui ont toujours – ou presque – utilisé leur plume et leur voix comme outil social, politique et identitaire.
« Rappe pour les opprimés, d’autres ne pensent qu’à streamer », « Les rappeurs sans cause explosent en vol », peut-on entendre dans Radical. « Aux chiottes le rap de branché » assène-t-il dans R.A.P. Un message encore plus clair dans J’suis pas CNews, morceau – au passage – bien moins virulent que ce que le titre pourrait laisser penser : « Les vrais me disent : »Que devient le rap, ils font tous la même chose, y’a rien d’original ». C’est plus des rappeurs, c’est des chanteuses. J’éveille les cœurs, ils font des berceuses ». Si Kery James n’était déjà pas tendre avec la Nouvelle Vague de rappeurs dans J’rap encore, il réaffirme ici clairement sa déception face au manque de discours engagés.
Shaban en hommage aux victimes palestiniennes
S’il y avait un climax dans cet album, il s’intitulerait Shaban. Sorti en octobre, le morceau est un hommage à Shaaban Al-Dalou, mort dans un incendie après une frappe revendiquée par l’armée israélienne sur l’hôpital Al-Aqsa à Gaza, pile un an plus tôt. « C’est important de personnaliser ces victimes. Parce qu’on nous parle de chiffres, de gens qui ont été tués, mais qui n’ont pas de nom, qui n’ont pas d’histoire. », a confié le rappeur français à l’AFP.
Kery James n’évoque toutefois le jeune étudiant palestinien que dans les deux derniers couplets, la première partie dénonçant les « hypocrites démocrates » qui « réclament un cessez-le-feu mais fournissent des armes ». Si le rappeur a toujours affirmé haut et fort son soutien aux Palestiniens, que ce soit à travers ses textes (Avec le cœur et la raison) ou via les médias et les réseaux sociaux, il s’agit là d’un fil qu’il tire tout au long de l’album. « R comme rebelle, mon âme est Palestinienne », peut-on encore l’entendre dire dans R.A.P.
Le reste de l’album relève davantage de l’introspection, comme il a – là encore – l’habitude de le faire. Le tout rythmé par des featurings aux sonorités variées. On retrouve notamment Zaho, avec laquelle il a déjà collaboré (Je m’écris, La vie en rêve) sur le titre Demain, mais aussi Wally Seck, Camille Lellouche, Kareen Guiock Thuram et Fally Ipupa.
Après s’être essayé au théâtre avec A vif et au cinéma avec Banlieusards, Kery James revient donc à ses premières amours avec un album, qu’il plaise ou dérange, ne laissera pas indifférent.