Depuis cet assassinat le 13 novembre dernier à Marseille, certains ont décidé de ne plus dénoncer à visage découvert le narcotrafic.
lire plus tard
Pour sauvegarder cet article, connectez-vous ou créez un compte franceinfo
Sans paiement. Sans abonnement.
Fermer la fenêtre d’activation des notifications France Info
créer votre compte
se connecter
Fermer la fenêtre de présentation

Publié le 03/12/2025 14:21
Mis à jour le 03/12/2025 14:28
Temps de lecture : 4min

Un piéton passe devant les bouquets de fleurs déposés à l’endroit où Mehdi Kessaci a été assassiné, à Marseille, le 18 novembre 2025. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)
« Je ne me tairai pas » : c’est ce qu’a affirmé le militant engagé contre le narcotrafic Amine Kessaci, après l’assassinat de son petit frère, Mehdi, abattu en plein jour à Marseille, le jeudi 13 novembre à Marseille. Trois semaines après, pourtant, certains habitants de quartiers proches de points de deal l’avouent : sidérés par le drame, ils craignent des représailles.
« Le narcotrafic a réussi à éteindre ma voix », déclarait ainsi une avocate, au lendemain de la mort de Mehdi Kessaci. Engagée aux côtés des familles de victimes, habituée des plateaux de télévision, elle a décidé de retourner dans l’anonymat, comme d’autres militants associatifs.
Pour d’autres, le silence s’impose depuis longtemps : sur le pas de sa porte, cette dame pose son index sur sa bouche. Un jeune vient d’être tué au pied de son immeuble et elle est pétrifiée à l’idée d’en parler. « Je ne peux pas faire ça moi… Il y a les jeunes en bas. Il y a les jeunes qui tuent », souffle-t-elle, précisant craindre d’être visée en représailles.
Cette peur de parler est parfois intégrée dès le plus jeune âge, raconte cette professeur d’un lycée des quartiers nord. Elle s’en est rendu compte le jour où elle a évoqué un règlement de compte en classe. « J’ai, par exemple, utilisé le terme ‘stupide’ pour qualifier les personnes qui avaient tiré. Là, les élèves se sont levés en disant ‘Attention ! Il va vous arriver quelque chose ! Vous ne pouvez pas dire ça. Vous êtes en danger, madame’. Ils étaient terrifiés », témoigne-t-elle.
Ce sentiment de « danger », il suffit d’aller près d’un point de deal pour l’entendre. Dans la cité des flamants, dans le 14e arrondissement de Marseille, la maison de la Solidarité a fermé, des agents ont été menacés de mort par les dealers. Un adolescent grimace, sa mère ne pourra pas voir l’assistante sociale. « C’est compliqué ici », glisse-t-il, évoquant le trafic de drogue. Avant de couper court : « Je ne peux pas en parler. »
Un témoignage toutefois permet de comprendre l’engrenage : au printemps dernier, franceinfo a rencontré un « charbonneur », ces petites mains du trafic, chargés de vendre la drogue aux clients. Ces jeunes, parfois tout juste adolescents, sont en première ligne sur les points de deal. À 17 ans, ce jeune homme, dont nous ne donnerons pas le prénom, venait de passer un mois dans une prison pour mineur, condamné pour trafic de stupéfiants. Derrière lui, déjà, un lourd passif : il est rentré dans le trafic dès le collège.
« J’ai commencé à l’âge de 14 ans dans le stup’. Au début, j’ai commencé en tant que guetteur. Je continuais à aller à l’école et je travaillais le week-end, le mercredi après-midi et le soir. J’ai arrêté d’aller à l’école et j’ai fait un an dans un réseau à Marseille et je n’ai pas arrêté… », raconte-t-il.
« Au bout d’un moment, dès que j’ai vu qu’il y avait beaucoup d’argent à prendre dans ce métier, je me suis dit pourquoi continuer l’école si je peux gagner de l’argent plus facilement ? »
Un « charbonneur »
à franceinfo
A la question du besoin d’argent à quatorze ans, le jeune homme répond sans sourciller : « Pour profiter de la vie ! Et à ce moment-là, je ne fumais pas, c’était clairement pour du loisir. Et après j’ai commencé à fumer, je dépensais l’argent pour ma fumette ou des vêtements ».
Le jeune homme témoigne aussi de la violence constante autour des points de deal. « La fois la plus marquante, c’était à Arles : une voiture est arrivée vers 22h. Quelqu’un à l’intérieur a tiré en l’air pour nous intimider. A ce moment-là, je suis resté dans le coin et personne ne m’a dit d’arrêter de vendre. On peut perdre la vie trop facilement dans ce milieu-là. En prenant un peu de recul, j’ai envie d’arrêter. Je n’ai pas envie de mourir ou de finir en prison encore une fois… »