Par

Inès Cussac

Publié le

3 déc. 2025 à 19h22

Au tour de Blacksheep de choisir Paris pour son premier point de vente en Europe. Comme le géant de l’e-commerce asiatique Shein, le fabricant de lunettes venues tout droit de Chine, Blacksheep, a levé le rideau de son magasin en grande pompe ce mercredi 3 décembre 2025. Tapis rouge, affiche géante, DJ set et hôtesses d’accueil… Tout a été pensé pour attirer les regards des badauds et les objectifs des médias. À quelques encablures du BHV, le spécialiste des lunettes à très bas prix s’est aussi implanté au beau milieu de la rue de Rivoli (1er) pour ouvrir son showroom où 1 500 paires tapissent les murs.

« On fait la queue pour passer commande avec l’usine », prévient Anna*, trois montures dans les mains. Déjà détentrice d’une dizaine de lunettes achetées sur le site Internet de la marque, elle se réjouit de compléter sa collection avec de nouveaux verres photochromiques. « Je change en fonction des saisons, des vêtements, ça dépend », témoigne-t-elle sous son épaisse écharpe de toutes les couleurs.

De l’usine au client directement

Si le fondateur de Blacksheep, Pierre Wizman, est Français, son enseigne ne l’est pas et la production non plus. Ni impôt, ni main-d’oeuvre donc. Deux leviers qui permettent notamment de proposer des lunettes à des prix défiants toute concurrence, parfois sous la barre des trois euros. « Le showroom met en relation les clients avec les usines directement », indique-t-on aussi pour expliquer ces miniprix loin de ceux proposés chez les opticiens traditionnels dont les marges sont parfois exorbitantes, comme l’avait par exemple démontré une étude menée par l’UFC Que Choisir dès 2013. « Ça fait 40 ans que je porte des lunettes alors je connais. À chaque fois, la première chose qu’on demande c’est : combien vous rembourse votre mutuelle ? » s’agace Rachid voulant pointer une malhonnêteté des lunetiers. « Ils sont tous les mêmes, ça fait longtemps que c’est connu et c’est un problème qui devrait être géré par les pouvoirs publics », ponctue-t-il derrière ses lunettes de vue percées.

Tapis rouge, affiche géante, DJ set et hôtesses d’accueil… Tout a été pensé pour attirer les regards des badauds et les objectifs des médias.
Tapis rouge, affiche géante, DJ set et hôtesses d’accueil… Tout a été pensé pour attirer les regards des badauds et les objectifs des médias. (©IC / actu Paris)

Sans le savoir, Rachid expose la raison d’être de l’entreprise de Pierre Wizman, qui produit 7 000 paires chaque jour et en propose 20 000 sur son site. « C’est cher chez les autres parce que vous avez énormément d’intermédiaires qui agissent entre l’usine et le consommateur et ces intermédiaires sont gourmands, sont très coûteux. Vous achetez en gros un bout de plastique à prix d’or », avait-il justifié auprès de Franceinfo.

Réparer plutôt que racheter

Pour l’heure, la boutique de la rue de Rivoli est un pop-up store et la question de la pérennité n’est pas à l’ordre du jour. « On verra comment ça se passe », élude-t-on du côté de Blacksheep. Si Anna sourit devant la pléthore de modèles de lunettes, Rachid, lui, regrette « un manque de choix » et l’agencement du magasin. « L’échantillonnage est mal fait. Ils ont mal fait le truc », dit-il en pointant l’immense étagère blanche pleine de binocles.

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« Je suis venu, voilà j’ai découvert un truc. Mais, si j’étais venu avec Madame ça ne lui aurait pas plu du tout », confie Jacques à la barbe blanche rasée maladroitement et l’ordonnance sous le bras. Lui aussi est interloqué en voyant l’opticienne faire un numéro d’équilibriste pour saisir une paire haut perchée. « Il faut une échelle pour aller chercher des lunettes, on se croirait au Carreau du Temple », raille cet habitant du Marais, « le quartier des lunetiers ». Avant de se remémorer : « Il y avait la rue Pastourelle avec la Société des Lunetiers, la rue Montmorency avec BBGR, la manufacture de Saint-Gobain… Il y avait un savoir-faire des lunetiers avec les longues-vues, etc. Aujourd’hui, il s’en monte dans tous les coins de rue des lunetiers. » Rachid approuve : « Il y a plus d’opticiens que de boulangers, ça devrait interroger », dénonce-t-il devant sa compagne revenue avec deux paires de lunettes en main. « Je ne suis vraiment pas emballée », démontre-t-elle en tordant les nouvelles montures et les comparant aux siennes plus fermes.

Si le couple a appris l’existence de Blacksheep « par hasard » sur Internet, le Maraisien Jacques est arrivé là après un reportage diffusé à la télévision. Tous les trois repartiront finalement sans passer commande. « Je vais aller chez Lissac. L’autre jour j’étais chez Lissac, ils m’ont réparé mes lunettes gratuitement », pose Jacques, venu initialement pour changer ses lunettes vieilles de dix ans qu’il compte remplacer par de nouvelles aussi robustes.

*Les prénoms ont été changés

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