La Commission européenne le pense et a déposé ce mercredi une proposition législative allant dans ce sens, en dépit des très vives objections exprimées depuis plusieurs semaines par le gouvernement belge. La Belgique redoute d’être victime de représailles juridico-financières de la Russie, qui la mettraient sur la paille. « Nous avons écouté avec beaucoup d’attention les préoccupations de la Belgique et nous les avons presque toutes prises en compte dans [notre] proposition sur le prêt pour réparations », a assuré à la presse la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen.

Voyons voir.

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La Commission européenne avait, au début de l’automne, soumis aux États membres trois pistes de financement de l‘Ukraine, qui aura besoin de fonds dès le second trimestre 2026. Celle des prêts bilatéraux, consentis à Kiev par les États membres, a été écartée. L’exécutif européen a conservé deux options qui permettraient à l’Union d’accorder à l’Ukraine un ballon d’oxygène financière de 90 milliards d’euros pour les deux prochaines années. À charge d’autres partenaires internationaux alliés de l’Ukraine, comme le Royaume-Uni, le Canada ou le Japon, de fournir le reste de l’aide.

La première option prend la forme d’un emprunt européen, garanti par les marges du budget de l’Union. La seconde, qui crispe la Belgique, est celle du « prêt pour réparations » qui consiste à utiliser les actifs de la Banque centrale russe immobilisés dans l’UE aux bénéfices de l’Ukraine. La Commission ne propose pas de confisquer ces actifs russes, ce qui serait inédit autant qu’illégal, mais « d’emprunter des soldes de trésorerie auprès d’institutions financières de l’UE » qui en détiennent et de les déplacer dans un instrument financier, qui prêtera l’argent à Kiev.

Répondant à une exigence belge, la Commission entend mettre à contribution toutes les institutions financières qui détiennent des actifs russes et pas seulement Euroclear. Quelque 25 autres milliards sont immobilisés dans d’autres sociétés dépositaires de titres ou dans des banques commerciales en France, en Allemagne, en Suède et à Chypre, précise l’exécutif européen.

L’argent serait prêté, par tranches annuelles de 45 milliards à l’Ukraine (qui continue aussi à bénéficier d’un prêt d’un même montant accordé par le G7). Celle-ci devrait rembourser à l’Union les prêts consentis à la fin du conflit, si la Russie paie pour les dommages de guerre commis dans le cadre d’une paix négociée – un scénario pour l’heure doublement hypothétique.

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Les deux options de la Commission ne sont pas mutuellement exclusives, mais empruntent des processus législatifs différents – jusqu’à cinq textes devraient être adoptés par les États membres (et par le Parlement européen dans le cas de l’emprunt).

L’idée de l’emprunt européen se heurte à un obstacle de taille : elle doit être approuvée à l’unanimité des vingt-sept États membres. Or, il est en au moins un, la Hongrie de Viktor Orban, restée proche de Moscou, qui menace de s’y opposer. Elle pourrait être suivie par la Slovaquie, voire la République tchèque mais aussi d’autres pays, pour d’autres raisons. L’idée d’un nouvel emprunt est impopulaire en Allemagne, aux Pays-Bas et dans les pays du nord.

La seconde option ne fait pas non plus l’unanimité. Si l’on s’en tient aux dernières déclarations du Premier ministre Bart De Wever ou du ministre des Affaires étrangères, Maxime Prévot, la Belgique maintient son opposition au « prêt de réparation ». Cette réserve belge est contournable, sur le papier. La décision de lancer ce plan peut être prise à la majorité qualifiée (55 % des États membres, représentant 65 % de la population de l’UE). La Belgique pourrait être mise en minorité : l’utilisation des actifs russes est fermement défendue par l’Allemagne, les Pays-Bas, les pays nordiques et les pays baltes ; la France n’est pas contre… Approuver le plan en dépit du refus belge est « juridiquement possible, politiquement impensable », estimait, la semaine dernière, une source de la Commission. Mais c’était la semaine dernière. Le sommet européen de décembre dira si le scénario d’un passage en force est envisagé.

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« Tout ce que nous proposons est légalement robuste, et pleinement en accord avec le droit européen et le droit international », a défendu le commissaire à l’Économie Valdis Dombrovskis.

La Commission affirme avoir établi quantité de mécanismes de sauvegarde pour assurer la solidité et la pérennité du plan, et prémunir les États membres, au premier rang desquels la Belgique, et les institutions financières concernées de la colère russe et de désastreux effets boomerang. « La Belgique a demandé un mécanisme solide et un partage des charges, et nous avons répondu […] en veillant à ce qu’une garantie solide soit en place », soutient la présidente von der Leyen.

La Commission propose que les emprunts européens effectués auprès des sociétés détenant des actifs russes, soient couverts par des garanties irrévocables, inconditionnelles et activables sur demandes apportées par les États membres, en fonction de leur revenu intérieur brut. Ces protections sont prévues pour le cas, que le commissaire Dombrovskis juge « improbable » , où l’Union devrait repayer ses emprunts sans pouvoir compter sur les réparations russes. Ou pour couvrir « tout État membre contraint de payer une créance de la Russie ». Autrement dit : pas question que la Belgique rembourse, seule, une centaine de milliards d’euros à la Russie si elle devait y être juridiquement contrainte.

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L’exécutif européen veut aussi faire en sorte que les États membres et les institutions financières, dont Euroclear, disposent à tout moment des liquidités nécessaires si la Russie obtenait en justice le droit d’être remboursée séance tenante. Les sauvegardes prévues par la Commission sont également censées couvrir les traités bilatéraux conclus par les États membres avec la Russie, défend l’exécutif européen.

Enfin, pour s’assurer que la Russie ne puisse pas à nouveau bénéficier de son argent « par accident », c’est-à-dire en cas de non-renouvellement des sanctions européennes, qui immobilisent les actifs, la Commission a déposé une proposition visant à interdire le transfert d’actifs russes, pour « préserver la situation économique de l’Union ».

La double proposition de la Commission convaincra-t-elle les Vingt-sept, et la Belgique en particulier ? « Nous n’en avons pas terminé avec les consultations », d’ici au sommet, a admis Ursula von der Leyen. « Comme pour chaque proposition, il y aura des améliorations. Mais c’est très important de rester en contact avec la Belgique », a insisté l’Allemande. Ne pas trouver de solution pour aider Kiev « serait très coûteux », a averti le commissaire Dombrovskis. « Pas seulement pour l’Ukraine, mais pour la sécurité et la liberté de notre continent. »

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