Née à la suite de la crise financière de 2008 dans l’optique de mieux protéger les investisseurs et assurer la stabilité des marchés, l’Autorité européenne des marchés financiers (Esma, pour European Securities and Markets Authority) pourrait prendre du galon. C’est en tout cas le souhait de la Commission européenne qui va présenter un projet en ce sens ce jeudi, selon un texte préliminaire consulté par l’AFP.

Concrètement, l’Esma, qui pour l’heure assure la coordination entre les régulateurs nationaux des membres de l’Union européenne, récupérerait leurs missions et deviendrait une sorte de régulateur en chef. Elle aurait sous son contrôle l’ensemble des infrastructures de marchés telles que les places boursières, les chambres de compensation, les dépositaires centraux ou encore les plateformes de cryptomonnaies. Seules resteraient en dehors de ses radars les banques, gérées par la Banque centrale européenne (BCE) et l’Autorité bancaire européenne, et les assurances, qui ont leur propre régulateur.

Ce transfert de souveraineté des régulateurs nationaux vers l’Esma rapprocherait l’agence européenne du fonctionnement du gendarme des marchés aux États-Unis, la SEC (pour Securities and Exchange Commission). Ce projet devra toutefois être approuvé par le Parlement et le Conseil européens pour être lancé.

Le marché des cryptos dans le viseur

Parmi les raisons qui poussent Bruxelles à donner plus de pouvoirs à l’Esma, la volonté d’un contrôle centralisé des cryptomonnaies. L’organe serait ainsi chargé de la supervision et de la délivrance des licences pour les prestataires de services liés aux cryptoactifs, un rôle assuré par les autorités nationales depuis la fin de l’année dernière et la mise en application de la réglementation européenne les encadrant (dite MiCA, pour Markets in Crypto-Assets).

Mais en seulement quelques mois, certains pays ont déjà été pointés du doigt par des acteurs du secteur. Leur tort : la facilité supposée avec laquelle leurs autorités financières accordent ces fameuses licences. L’Esma a notamment fait état en juillet de manquements de la part du régulateur de Malte. Il aurait, selon elle, failli dans ses vérifications pour la délivrance d’une licence européenne à une plateforme controversée de cryptomonnaies, qui a ainsi pu avoir des activités dans toute l’UE.

Certains régulateurs des Vingt-Sept se sont aussi plaints de ce fonctionnement. L’AMF française, la FMA autrichienne et la Consob italienne ont récemment appelé à une « supervision directe par l’Esma des principaux fournisseurs de services de crypto-actifs » déplorant des « divergences » dans la mise en œuvre de la réglementation MiCA entre les États membres.

Unanimité à trouver

La proposition de la Commission européenne ne fait néanmoins pas l’unanimité. Parmi ses partisans figure la France qui pousse depuis longtemps pour la centralisation. L’AMF s’affiche en effet en faveur d’un « rôle accru de l’Esma », estimant que « la fragmentation de la supervision des marchés financiers en Europe est un obstacle majeur à l’approfondissement de l’intégration des marchés financiers européens ».

Pour sa présidente, Marie-Anne Barbat-Layani, « seule une supervision unifiée, cohérente et robuste, permettra à l’Union européenne de consolider la stabilité financière, de simplifier efficacement le cadre réglementaire tout en assurant une meilleure protection des investisseurs et de construire un marché unique des services financiers à la hauteur de ses ambitions », a-t-elle plaidé en septembre.

Certains États membres se montrent plus modérés, à l’image de l’Allemagne. Le ministre des Finances, Lars Klingbeil, a indiqué à l’AFP être favorable « à un renforcement de la convergence » tout en insistant sur la nécessité que cela « apporte une valeur ajoutée ».

A contrario, plusieurs États membres s’opposent farouchement à une centralisation. C’est le cas du Luxembourg, première place européenne de la gestion d’actifs, qui tient à conserver une régulation nationale adaptée aux demandes locales. L’Esma n’a pas « la connaissance des spécificités de chaque marché » et « manque de ressources », a ainsi avancé Serge Weyland, le directeur général de l’association Alfi, qui réunit les fonds d’investissement du pays, interrogé par l’AFP.

Nécessaire réforme

L’argument luxembourgeois est également soulevé par Nicolas Véron, chercheur senior à Bruegel et au Peterson Institute. « Si l’Esma est hypercentralisée à Paris [où se trouve son siège], elle ne pourra pas comprendre la diversité des acteurs et des pratiques de marché en Europe (…). Cela ne serait tenable ni opérationnellement, ni politiquement », a-t-il estimé dans une interview au think tank Confrontations Europe.

C’est pourquoi l’expert préconise de réformer l’Esma « avant de lui confier de nouvelles missions ». Ce qui doit passer, selon lui, par l’ouverture de bureaux nationaux dans tous les États membres et par une  transformation de son mode de gouvernance et de financement.