Par

Lisa Rodrigues

Publié le

4 déc. 2025 à 13h46

Début décembre, un dossier de trafic de cigarettes a été présenté au tribunal de Grenoble. Deux hommes sont soupçonnés d’avoir acheté à Lyon plus de 2 700 cartouches de cigarettes de contrebande destinées au marché turc pour les écouler via une épicerie de nuit à Échirolles.
À cette occasion, Daniel Bruquel, chef du service prévention du commerce illicite chez le tabagiste Philip Morris France, décrypte pour actu Grenoble la place du marché parallèle de cigarettes dans la capitale des Alpes.

Plus d’une cigarette sur deux ne vient pas de chez un buraliste

Actu : Quelle est l’ampleur du marché parallèle de la cigarette à Grenoble ?

Daniel Bruquel : Aujourd’hui, une cigarette sur deux consommée en France n’est pas du réseau légal des buralistes. C’est à peu près le double d’il y a 10 ans.
À Grenoble, on est à 54 % au premier semestre 2025, donc un petit peu au-dessus de la moyenne nationale. En 2019, on était à 27 %. La cigarette de contrefaçon en tant que telle représentait un peu moins de 4% en 2019. Aujourd’hui, c’est 17%.

Quels sont les canaux de distribution de ces cigarettes ?

DB : Avec le passage du paquet à 10 € en 2020 et la période de confinement où aller à l’étranger n’était plus possible, les consommateurs ont trouvé d’autres solutions. Notamment par les réseaux de distribution illégaux sur les réseaux sociaux, comme Snapchat, WhatsApp ou Facebook.
Les points de deal physiques dans la rue se sont développés dans un second temps. Et le dernier étage, ce sont les épiceries de nuit.

La consommation de cigarettes issues des réseaux de contrebande et de contrefaçon a explosé, selon une étude.
La consommation de cigarettes issues des réseaux de contrebande et de contrefaçon a explosé en France, et la ville de Grenoble n’est pas épargnée. (©Illustration / actu.fr / Juliette VOISIN)

La Métropole de Grenoble n’est donc pas épargnée par le phénomène ?

DB : Les grandes villes sont particulièrement touchées. En zone rurale ou grande périphérie, vous avez exactement les mêmes phénomènes.
Sur Grenoble, vous êtes proches de Lyon, qui est un hub de trafic de contrefaçon de cigarettes réputé : des réseaux mafieux sont régulièrement démantelés.
Les réseaux de distribution de produits illégaux sur Grenoble sont quand même assez bien ancrés. Et on entre dans une normalisation de ce type de trafic : il y a quelques mois, des dealers ont mis des flyers avec tous leurs produits dans les boîtes aux lettres de la banlieue de Grenoble.

Les risques encourus

C’est un marché qui rapporte à ces trafiquants ?

DB : C’est un business extrêmement lucratif. Quand vous achetez des cartouches à 23 € pour les revendre à 50 €, ça fait une marge conséquente. En vendant un paquet à 5 €, contre 12-13 € chez le buraliste, ça attire le consommateur. 
Si on prend juste la contrefaçon de cigarettes, c’est 2,3 milliards de revenus pour les groupes criminels en France. Le trafic de stupéfiants, selon la dernière commission d’enquête sur le narcotrafic, c’est 3,5 milliards €.
Pour le trafic de cigarettes, vous risquez 3 ans de prison, alors que sur le trafic de stupéfiants, c’est 10 ans. Avec 10 millions de fumeurs en France, les trafiquants ont une balance risque-rentabilité extrêmement positive.

Deux affaires liées à un trafic de tabac ont été élucidées près du Havre.
Le trafic de cigarettes est de plus en plus lié aux autres activités illégales de groupes criminels, comme les stupéfiants. (©Illustration/ JB / 76actu)

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Quels sont les risques encourus par les acheteurs de cigarettes sur le marché parallèle ?

DB : C’est une amende de 135 €, mais il y a la question de la capacité à pouvoir verbaliser. On a eu des dossiers où les trafiquants ont été traduits devant un tribunal et les clients identifiés et sanctionnés.
Mais il faudrait que les polices municipales aient le droit de verbaliser : ce sont elles qui sont au contact de la vente de rue et des épiceries où on vend ces cigarettes.

Quelles sont les spécificités du marché illégal de cigarettes à Grenoble ?

DB : On retrouve à Grenoble ce qu’on retrouve un peu partout : une combinaison entre quelques points de deal, une vente sur les réseaux sociaux et dans les épiceries.
Tout ce qui se passe dans les épiceries est assez invisible au final et difficile à comprendre, y compris pour le consommateur. Acheter ses cigarettes dans la rue, on sait que ce n’est pas normal. Mais l’épicerie, ça reste un commerce légal, qui vend illégalement des cigarettes. C’est une zone grise dans la tête du consommateur.

Un trafic de plus en plus violent

Y a-t-il un lien avec les autres trafics ?

DB : Vous avez un empilement de criminalité. Derrière la contrefaçon de cigarettes en France, il y a des mafias de l’Europe de l’Est, avec les mêmes fonctionnements que les trafics de stupéfiants. Vous avez des convois, des nourrices, des box pour stocker et alimenter les vendeurs.
Vous commencez aussi à avoir des règlements de compte violents, comme pour les stupéfiants : on l’a vu à Montpellier, Lyon, Marseille ou Paris. 

Via ce prisme du trafic de cigarettes, Grenoble est-elle une ville violente ?

DB : Grenoble n’est pas aussi médiatisée en termes de criminalité, comme peut l’être Marseille par exemple. Pourtant, on est dans un environnement criminogène : la grenade qui a été jetée dans un bar associatif en début d’année, c’était un trafic de contrefaçons de cigarettes. 
On parle peut-être moins de Grenoble, parce qu’il y a moins de points de deal physiques de cigarettes. Mais il y a un réseau d’épiceries qui fait le même office, discrètement, sur Grenoble et qui fonctionne bien.

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