Par

Adrien Filoche

Publié le

4 déc. 2025 à 19h47

Aujourd’hui suspendu par l’Éducation nationale, un professeur de 54 ans dans un lycée de l’agglomération de Rouen est accusé par trois de ses anciennes élèves (mineures de plus de 15 ans lors de faits) d’atteintes sexuelles. Dans cette affaire, dont l’audience s’est tenue le 4 décembre 2025 au tribunal de Rouen, le prévenu est une figure bien connue dans la métropole puisqu’il est militant engagé pour la cause environnementale. Dans le dossier, qui retrace des relations d’emprise, des chantages au suicide et un contexte d’hypersexualisation, on retrouve trois jeunes femmes au profil similaire : des vulnérabilités et des fragilités, tenues par des contextes familiaux difficiles.

Trois victimes, trois jeunes filles fragiles et vulnérables

Retour sur les faits. Avec Coralie*, aujourd’hui âgé de 23 ans, le professeur d’histoire-géo entretient une relation pendant plusieurs années, qui débute lorsqu’elle est en première.

Interrogée sur son consentement dans la nature de leur relation sexuelle, elle confie dans le dossier : « Il était demandeur. Moi, c’était mon premier amour et j’étais stressée ». Elle décrit par ailleurs plusieurs scènes. Dans l’une, le professeur lui impose une pénétration anale, « j’ai eu très mal. j’ai pleuré et j’avais très mal. Il a continué jusqu’à la fin ». Dans une autre, elle raconte avoir refusé un rapport et avoir reçu des coups au ventre en retour. Leur relation dure entre 2019 et 2024.

Puis, le schéma se répète sur l’année scolaire 2024/2025 avec Aurélie*, 17 ans, puis Jasmine*, 16 ans, en 2025, alors qu’il enseignait dans un autre lycée.

Avec chacune, il marque le premier pas dans la relation et entreprend les rapports sexuels. À chaque fois, il achète des téléphones portables afin de contourner les interdictions parentales et pouvoir continuer à échanger avec elles.

Il tisse sa toile auprès des victimes, qu’il ne choisit pas par hasard.

L’avocate de Coralie

« Vous savez qu’il ne faut pas que les parents en aient connaissance ? », interroge la procureure de la République. « Je ne peux pas vous contredire. Dans le cas d’Aurélie, sa grand-mère voulait restreindre ses communications téléphoniques. C’est pour compenser que je lui ai proposé ce téléphone. Pour Jasmine, c’est un schéma identique. » Même situation pour Coralie.

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Les jeunes femmes, qui ont toutes les trois eu des relations sexuelles, reconnaissent aujourd’hui avoir été sous l’emprise de leur professeur.

« Je disais oui, mais au final, je savais qu’il ne fallait pas », confie Jasmine. Au début, lorsque l’histoire de leur relation est remontée aux oreilles de son père, Aurélie ne voulait pas déposer plainte contre le professeur. « Elle n’a pas immédiatement pris conscience de ce qui lui est arrivé. Elle a été enfermée dans cette relation malsaine, elle a servi d’objet sexuel », souligne son avocate.

Il reconnaît des relations « impropres »

Face au tribunal, le prévenu se défend et évoque pour chacun des cas des relations consenties. Toutefois, il reconnaît la nature « impropre » de ces relations. « J’ai souffert d’une érosion du jugement qui m’a amené à oublier les devoirs de ma charge de professeur et l’écart d’âge. J’ai perçu ces jeunes filles comme des adultes et non des adolescentes en devenir, sans prendre conscience des conséquences de mes actes », livre-t-il, les mains tremblantes.

Majorité sexuelle et position d’autorité, que dit la loi ?

En France, l’âge de la majorité sexuelle, c’est-à-dire l’âge en dessous duquel la loi considère qu’un majeur ne peut légalement avoir de relations sexuelles avec un mineur, est fixé à 15 ans. Mais la situation change dès lors que l’adulte est en position d’autorité (professeur, éducateur, etc.). La relation est alors interdite par la loi et peut être punie.

Avec Coralie, il considère qu’il a formé un couple : « Je voulais construire un ménage durable. […] C’est devenu ma compagne dès 2019 alors qu’elle était lycéenne, ce qui était une faute », reconnaît-il toutefois. Une fois leur relation établie, la jeune femme est présentée à ses enfants, dont sa fille, âgée presque du même âge qu’elle.

Un des avocats de la défense lui demande si cette relation est remontée aux oreilles du proviseur du lycée. Il répond : « Il y a une enquête de la vie scolaire qui nous a auditionnés tous les deux. Nous avons répondu que nous étions amis et l’affaire a été classée ».

Après la fin de sa relation avec Coralie, il assume avoir essayé de renouer des relations qu’ils qualifient aujourd’hui face à la barre d’« impropres, irrégulières, illégales ».

Avec Aurélie, « ce qui devait être une relation de complicité est devenu une relation amoureuse. […] Nous savions que nous faisons quelque chose qui n’est pas admis par la loi et la morale », concède pourtant l’ancien professeur. Il recommence pourtant, avec Jasmine.

Une relation d’emprise et de chantage

Les stigmates de ces périodes pour les jeunes femmes sont nombreux. « Des crises d’angoisse ont débuté lors de notre relation. Je n’avais plus aucune estime de moi. Je donnais tout par peur de le décevoir, de ne pas être assez bonne pour lui, notamment dans le domaine sexuel », livre Coralie. Et d’ajouter : « C’était ma première relation, je n’avais eu aucune relation. Je n’ai pas pu construire une sexualité saine. J’ai beaucoup de mal à m’affirmer, à savoir dire non ».

Mes notes ont grimpé entre la seconde et la première. Il ne regardait plus le contenu de la copie, il regardait juste le nom.

Coralie

Suite à leur séparation, la jeune femme a entamé un suivi psychologique. Elle évoque notamment des troubles du sommeil. « Il est la figure de mes cauchemars, de mes terreurs nocturnes. Je ne suis pas guérie de cette relation et je ne le serai probablement jamais », témoigne-t-elle. Pourtant, avant même que leur relation ne débute, elle le considérait comme un modèle, « un père idéal ».

J’ai essayé à plusieurs reprises prendre mes distances. Mais il m’a fait un chantage au suicide.

Aurélie

De son côté, Aurélie a reconnu devant le tribunal avoir menti à la police la première fois qu’elle a été interrogée afin de le protéger, en justifiant : « Il me parlait quotidiennement de son angoisse d’aller en prison ».

Lorsqu’elle est alertée par Coralie en avril 2025, Aurélie défend le professeur et demande à la première victime de retirer sa plainte. Conscience aujourd’hui de l’emprise qu’il exerçait sur elle, elle confie : « Il m’a fallu du recul pour prendre conscience de ce qui m’est arrivé. Être coupée de lui m’a fait prendre conscience de la nature de la relation que nous entretenions ».

Dans un élan de sororité, Aurélie a à son tour mis en garde Jasmine, comme Coralie l’avait fait avec elle, en signalant la relation entre Jasmine et son professeur au lycée.

« Je n’ai pas pris conscience de la gravité de mes actes »

Face à ces accusations, le prévenu reconnaît l’ensemble des faits qui lui sont reprochés. « J’avoue que je n’ai pas pris conscience de la gravité de mes actes », assure-t-il.

Dans son examen de personnalité, détaillé lors de l’audience, le président de la cour présente un homme, père de trois enfants, divorcé et séparé en 2019 et qui est tombé amoureux d’une autre personne, en l’occurrence Coralie. En 2020, alors qu’il poursuit sa relation avec Coralie, son élève, il perd l’un de ses fils d’une maladie.

« À la mort de mon fils, j’ai totalement décompensé, confie-t-il en sanglot. Pendant l’automne, mon état s’est dégradé. J’ai consulté un psychiatre. Il a diagnostiqué une bipolarité de type 2. Je suis sous lithium, comme tous les bipolaires », explique-t-il face à la cour.

L’avocat de Jasmine souligne « le mode opératoire » par laquelle sa cliente a été aveuglée, le même utilisé pour Coralie et Aurélie. Le cas de sa cliente étant le plus récent (les faits datent de seulement quelques semaines), il demande un renvoi sur intérêt civil : « Je n’ai rien pour le moment qui permet de rendre compte du préjudice subi par ma cliente. »

Quatre ans d’emprisonnement

Au cours de son réquisitoire, la procureure de la République qualifie alors « des faits inadmissibles », et ajoute : « Il détruit des jeunes femmes, il n’a aucune empathie pour ses victimes ». Face au président de la cour, le ministère public demande une condamnation de quatre ans d’emprisonnement, dont un an avec un sursis probatoire de trois ans, et une peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité au contact de mineurs et ce définitivement.

L’avocat de la défense déplore quant à lui un dossier qui « n’est pas en état ». Le pénaliste estime un manque sur les expertises psychiatriques et psychologiques, que ce soit pour son client ou les victimes. Concernant le prévenu, il évoque une « descente aux enfers » vécue depuis son incarcération. « On est en face d’une personne extrêmement fragile et ce n’est pas victimiser mon client de dire ça », soutient l’avocat. Il réclame alors une peine qui puisse permettre d’ouvrir la voie à sa réinsertion.

Le tribunal de Rouen a déclaré le professeur coupable et condamné à quatre ans d’emprisonnement dont un an avec sursis probatoire de deux ans. Il devra par ailleurs suivre des soins psychologiques et psychiatriques. De plus, son maintien en détention a été prononcé, ainsi qu’une interdiction définitive d’exercer des activités professionnelles ou bénévoles avec des mineurs.

*Les prénoms ont été modifiés afin de conserver l’anonymat des victimes

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