Publié le04/12/2025 à 18h11

Temps de lecture : 9 mins

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Joueuse de tennis professionnelle née à Clermont-Ferrand, Alice Tubello mène, en parallèle de sa carrière sportive, un combat face aux violences en ligne dont elle a été victime.

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Elle s’envole dans un mois pour l’Open d’Australie. Pour l’instant, Alice Tubello est à Clermont-Ferrand, en famille. La joueuse de tennis, 420e au classement WTA (circuit féminin professionnel) a vécu une « descente aux enfers » en août 2024. La raison semble anodine : elle a perdu un match lors d’un tournoi au Pérou. Seulement voilà, les bookmakers la donnaient favorite. S’ensuivent alors des centaines de messages de haine, provenant majoritairement de parieurs sportifs. Et surtout, des dénonciations calomnieuses impliquant sa famille entière. La joueuse avait alors immédiatement pris la parole pour participer à mettre la lumière sur ce fléau. Elle a accepté de revenir sur ces moments difficiles.

Q : Vous avez pris la parole à l’été 2024 sur les commentaires haineux et insultants que vous aviez pu recevoir sur les réseaux sociaux. Pouvez-vous nous raconter le moment où vous vous êtes dit “là, c’est trop” ? 

Alice Tubello : « Effectivement, tout a commencé en août 2024. Je suis au Pérou, en quarts de finale, tête de série numéro 1 et 219e à la WTA. Au niveau des classements j’étais la meilleure du tournoi, on est à 3200 mètres d’altitude, le tennis est différent, j’ai du mal à jouer. J’affronte une joueuse locale qui a l’habitude du terrain. Finalement je perds le match 7-6 au troisième set au bout de trois heures de jeu. Je récupère le réseau Wi-Fi, j’allume mon téléphone et là je reçois des centaines et des centaines de messages, dont des menaces de mort. Je découvre ensuite deux heures après que quelqu’un a créé une page Facebook, usurpé mon identité, et la descente aux enfers commence ». 

Q : Une page Facebook sur laquelle on retrouve des dénonciations calomnieuses envers votre papa ? 

A.T : « L’entièreté de ma famille a été touchée. Mes cousins ont été exposés, on a récupéré des vraies photos de ma famille proche, mais aussi plus éloignée. Évidemment ça fait du mal, les accusations [qui avaient pour but de lui nuire] sont graves. Il a fallu gérer ça, je pense qu’on n’est jamais prêt à vivre quelque chose de de la sorte. Mais nous avons réussi à rester soudés et c’est ce qui a fonctionné ». 

Q : De quoi s’agissait-il précisément ? 

A.T : « Quand j’ai découvert la page, il y avait seulement le “mur” Facebook avec ma photo personnelle que j’utilisais sur mon profil privé. Le message affiché, c’était : “Je suis Alice Tubello, je suis victime de mon père pédophile”. Après avoir découvert cela, je l’ai immédiatement signalé. Deux heures après, des premières publications sont apparues. Dont une sur laquelle on voit l’un de mes petits cousins éloignés, alors qu’il était bébé, de couleur de peau différente, accompagné de messages à caractère raciste du type : “on a des petits singes dans la famille”. L’auteur a aussi fait passer mon frère pour un monstre puis mentionné une petite cousine que mon père aurait soi-disant violée. La personne derrière le compte s’est bien “amusée” à impliquer le plus de personnes possibles dans ma famille ». 

Q : Y a-t-il eu des suites judiciaires à cette affaire ? Ainsi qu’aux autres faits de cyberharcèlement auxquels vous avez été confrontée ? 

A.T : « En ce qui concerne les centaines de messages de menaces de mort reçus, malheureusement, je ne peux pas poursuivre 400 personnes en justice, c’est impossible. Et cela fait malheureusement partie intégrante de notre sport : à chaque victoire ou défaite, cela nous arrive. 

Pour l’histoire de la page Facebook, j’ai traduit l’affaire en justice. Il y a une plainte contre X qui est déposée et dont on attend encore le résultat. J’espère que cela sera la première action en justice menée en la matière qui connaîtra un aboutissement positif. Cela montrerait aux gens que c’est inadmissible de faire des choses pareilles ». 

Q : À quel point ces messages peuvent-ils avoir un impact sur votre santé mentale, et, par ricochet, sur votre carrière sportive ? 

A.T : « On essaie de gérer du mieux qu’on peut. Jusqu’à cette histoire-là, je m’en sortais plutôt bien, je faisais moins attention, je supprimais les messages ou je ne les ouvrais pas tous. Mais à l’été 2024, ça a pris une ampleur juste démesurée et ça nous a fortement touchés avec mon papa. Pas mal de nuits blanches ont suivi. D’autant plus que j’étais encore au Pérou, avec un décalage horaire. J’ai vécu beaucoup de stress, des jours et des semaines compliqués. Mais je suis plutôt fière de la façon dont je l’ai géré, et finalement j’ai réussi à tourner la page assez rapidement ». 

Q : Parmi les autres répercussions des paris sportifs sur les athlètes, il existe des cas de tentative de corruption, souvent dans le but de faire exprès de perdre un match pour le joueur concerné. Vous a-t-on déjà approchée avec ce genre de proposition ? 

A.T : « Moi personnellement, non. Cela a déjà pu arriver à d’autres joueuses et joueurs, en effet. Certains ont même pu tomber dedans. C’est un sport hyper compliqué, avec peu d’élus qui peuvent réussir à gagner leur vie avec. Des joueuses et des joueurs que j’ai côtoyés ont pu être pris à ce piège. En tout cas, c’est un véritable fléau. Cela soulève aussi un sujet : la difficulté pour les joueuses et les joueurs de tennis de financer les saisons. On se retrouve alors parfois pris au piège. Il faut trouver une solution tous ensemble ». 

Q : Justement, la Fédération française de tennis (FFT) a-t-elle bien pris la mesure de l’ampleur du sujet du cyberharcèlement des sportifs, et si oui, des actions sont-elles mises en place pour vous en prémunir ? 

A.T : « À la suite de mon histoire, j’ai vu énormément de soutien. C’est ce qui m’a aidé, fortement, à traverser la période. La FFT était derrière moi, m’a soutenue. Des mesures en la matière avaient déjà été prises, mais du côté des joueurs, on n’était pas forcément au courant. Cela a permis de centraliser les aides qui sont à notre disposition. Aussi, grâce à l’intelligence artificielle, il existe des plateformes qui arrivent à monitorer nos réseaux sociaux et filtrer certains messages. La fédération française possède un système comme celui-ci, la fédération internationale a également le sien. Pour l’instant, c’est une première solution. On essaie d’avancer et d’être davantage protégés encore ». 

Q : Pour finir sur une note positive, vous avez réalisé une très belle saison l’année dernière. Comment ça va pour vous, sportivement, en ce moment ? Quels sont vos prochains défis ? 

A.T : « C’était une saison incroyable pour moi l’année dernière. Je suis passée de la 700e place aux qualifications des Grands Chelems. Malheureusement, après l’Open d’Australie, j’ai dû être opérée des deux hanches. Je reprends tout juste, depuis août. Aujourd’hui, je suis de retour, à la 400e place. Je suis plutôt satisfaite des premiers mois de retour à la compétition. Là, je m’envole pour l’Open d’Australie avec mon classement protégé [dispositif lancé par le circuit féminin qui permet de conserver son ancien classement au retour d’une absence] et j’espère pouvoir faire une saison aux quatre Grands Chelems ».