Du métier de régisseur dans un musée, on a l’image du gars barraqué ou de l’homme à tout faire formé sur le terrain qui peut dépanner pour soulever des caisses ou accrocher une œuvre. Les cinq membres du collectif Cartel sont à l’opposé de ce tableau, tous trentenaires, tous diplômés et essentiellement féminins. Sur leur marché de niche, la régie d’œuvres d’art, ils incarnent une nouvelle génération de régisseurs qui entend en finir avec les clichés. Créée le 9 mars 2020 à Toulouse, une semaine avant le premier confinement, la jeune société a « fait le dos rond » pendant un an avant de commencer à travailler et à se faire connaître. Ses fondateurs sont tous issus de la cinquième promotion du Master métiers de l’art, régie, documentation, médiation créé au début des années 2010 à l’initiative de l’Université Jean-Jaurès et du musée des Abattoirs.

Formés professionnellement durant deux ans aux différents métiers autour de l’exposition, presque incubés, les cinq amis étudiants se sont associés pour donner vie à la première société de régie d’œuvres d’art à Toulouse et dans la région. Leur activité englobe à la fois la régie d’exposition, c’est-à-dire la gestion logistique des œuvres et objets d’art lors d’événements temporaires organisés par des lieux culturels, et la régie de collection, qui implique également de savoir manipuler et sécuriser les œuvres pour des accrochages, des inventaires ou encore pour réaménager les réserves des musées.

Revaloriser le métier

« Durant notre master, nous avions identifié qu’il n’y avait, à Toulouse, aucune structure spécialisée dans la régie d’œuvres d’art. À la fin de nos études, l’horizon était assez bouché, c’était la fin des emplois aidés et le début de l’austérité avec, en même temps, un discours très fort sur l’entrepreneuriat. L’idée est venue de créer notre entreprise pour faire connaître la profession de régisseur d’œuvres d’art, finalement assez récente, et la revaloriser », expliquent Margaux Illescas et Mathieu Marniesse, deux des cinq cofondateurs et cogérants du Collectif Cartel.


À ce cœur de métier autour des arts visuels, qui représente plus de 80 % de son chiffre d’affaires, la jeune entreprise a ajouté assez rapidement une activité scénographie et production pour différents lieux et événements. « Au début, des musées nous demandaient d’accrocher des œuvres, puis de les mettre en lumière, parfois aussi de créer une assise pour que le public puisse les regarder confortablement. Petit à petit, on a livré des projets de plus en plus « all inclusive ». On était habitués à magnifier les œuvres, on a aussi pris du plaisir à magnifier l’espace d’exposition. C’est comme ça qu’on a endossé progressivement la casquette production », complètent les deux régisseurs.

Le Collectif Cartel compte parmi ses principaux clients, musées, centres d’art, galeries, fondations, fonds régionaux d’art contemporain comme le musée des Abattoirs ou le musée Toulouse-Lautrec, à Albi, et, depuis plusieurs années maintenant, le festival BD de Colomiers, pour lequel il assure la scénographie générale et la régie d’exposition. Son équipe travaille aussi avec le musée Calbet de Grisolles, le musée d’art moderne de Collioure, le musée d’art contemporain de la Haute-Vienne, le Frac Centre-Val de Loire ou encore avec le musée Soulages, récemment encore autour du montage d’une installation d’Agnès Varda.

Parité dans les équipes

En quatre ans seulement, les cinq régisseurs ont réussi à accrocher une soixantaine de structures publiques et privées et à faire valoir leurs exigences. « Dans un métier qui n’a pas vraiment de normes et de tarifs fixes, nous avons adopté un autre modèle, avec un tarif journalier, des frais de déplacement et de logement, la facturation des heures supplémentaires… Nous menons aussi une autre bataille dans le choix de nos prestataires, en recrutant autant de femmes que d’hommes pour parvenir à des équipes paritaires. C’est très remarqué par les structures avec lesquelles nous travaillons. Mais nous essuyons encore les plâtres. Dans certains lieux, des personnes des anciennes générations viennent faire des réflexions sexistes à mes collègues parce qu’elles estiment que ce n’est pas à elles de manipuler un engin ou de porter des œuvres », témoigne Mathieu Marniesse.


Le Collectif Cartel, qui a rejoint, en février 2025, le Timbre, tiers-lieu initié par l’agence d’urbanisme transitoire Intercalaire et la Poste Immobilier dans le quartier des Minimes, à Toulouse, a clos le dernier exercice avec un chiffre d’affaires de 160.000 euros. Il vise cette année les 260.000 euros mais redoute, pour 2026, les répercussions sur son activité des coupes budgétaires drastiques dans le milieu de la culture.

Johanna Decorse

Sur les photos : Le Collectif Cartel a été formé en 2020 par Caroline Pi, Aloïse Winocq, Ambre Lasne, Mathieu Marmiesse et Margaux Illescas. Crédit : Carolline Souza. // Le Collectif Cartel réalise la scénographie et la régie d’exposition du festival de BD de Colomiers. Crédit : Collectif Cartel. // Mathieu Marniesse lors d’un accrochage à la Fondation Bernardaud, à Limoges. Crédit : Thierry Laporte.