Pendant que les débats publics tournent autour du réchauffement climatique, trois menaces silencieuses se profilent à l’horizon — chacune capable de déstabiliser nos sociétés de façon irréversible. Ces dangers ne concernent pas les glaciers ou les océans, mais notre santé, nos cognitions et l’infrastructure invisible sur laquelle repose toute notre civilisation. Et contrairement au changement climatique, les scientifiques avertissent que nous avons peut-être seulement quelques années pour agir.
Les antibiotiques ne suffisent plus : l’âge pré-antibiotique approche
Le premier danger a une résonance d’urgence immédiate. Selon une analyse publiée en septembre 2024 dans The Lancet par le Global Research on Antimicrobial Resistance (GRAM) Project, plus de 39 millions de personnes pourraient mourir d’infections résistantes aux antibiotiques entre 2025 et 2050. Ce n’est pas une projection lointaine — c’est une menace qui s’accentue maintenant.
Les chiffres révèlent une tendance terrifiante : les décès attribuables à la résistance aux antibiotiques devraient augmenter d’environ 70 % d’ici 2050 par rapport à 2022, et les personnes âgées de plus de 70 ans seront les plus touchées, avec une augmentation de 80 % des décès entre 1990 et 2021. Pire encore, selon les modélisations du GRAM, les meilleures interventions — amélioration de la qualité des soins de santé et accès accru aux antibiotiques — pourraient éviter 92 millions de décès d’ici 2050, ce qui montre à quel point nous sommes proches de la limite de contrôle.
La raison profonde ? Depuis la pandémie, l’usage massif et souvent injustifié d’antibiotiques a accéléré l’évolution de bactéries multirésistantes. Dans certaines régions du globe, des infections banales — otites, pneumonies, plaies superficielles — deviennent déjà quasi incurables. Le problème n’est pas seulement médical : il menace directement la chirurgie moderne, la chimiothérapie et même les accouchements, tous dépendants d’antibiotiques efficaces.
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L’IA crée une dépendance cognitive dont nous ne comprenons pas les conséquences
Un second danger, moins tangible mais déjà observable, est la transformation silencieuse de nos capacités mentales. Une récente étude de Michael Gerlich a démontré que l’augmentation de la dépendance aux outils d’intelligence artificielle est liée à l’affaiblissement des capacités de raisonnement critique, avec un impact particulièrement marqué chez les jeunes (17-25 ans) qui affichent une plus forte dépendance aux outils d’IA et des scores plus faibles en pensée critique.
Ce phénomène porte un nom : le « cognitive offloading » — quand nous déléguons nos tâches mentales à des machines, nous commençons à perdre la capacité à les faire nous-mêmes. Une étude du MIT Media Lab a révélé que les participants qui utilisaient exclusivement ChatGPT pour écrire des essais affichaient une connexité cérébrale plus faible, une rétention mémoire réduite et une perte de propriété intellectuelle sur leur propre travail.
La vraie menace n’est pas que l’IA nous remplace, mais que nous nous remettions tellement à elle que nous perdions les compétences cognitives de base : la mémoire, la planification, le raisonnement moral. Des recherches émergentes examinent le phénomène d’« atrophie cognitive induite par les chatbots d’IA » (AICICA), où l’excès de dépendance aux outils d’IA sans développement concurrent des compétences cognitives fondamentales peut mener à la sous-utilisation et à la perte ultérieure des capacités mentales.
Parallèlement, la multiplication d’outils génératifs (textes, images, voix synthétiques) rend nos démocraties vulnérables à la désinformation massive. Les contenus synthétiques deviendront bientôt indiscernables des contenus réels, rendant le discernement humain moins fiable.
Crédit : Ole_CNX/istockCrédits : Ole_CNX/istockL’infrastructure spatiale devient notre talon d’Achille invisible
Le troisième risque est peut-être le plus méconnu : la vulnérabilité systémique de nos infrastructures satellitaires. Selon un article publié dans Nature Scientific Reports, la constellation Starlink seule pourrait déposer plus d’aluminium dans l’atmosphère supérieure terrestre que ce qui y provient actuellement des météorites, et les débris non suivis déclencheront potentiellement des collisions dangereuses régulières en orbite basse en raison du grand nombre de satellites dans les coquilles orbitales des méga-constellations.
Voici le scénario qui terrifie les experts : une seule collision en orbite terrestre basse pourrait créer des effets en cascade significatifs non seulement sur la santé globale du système de satellites en question, mais aussi sur le fonctionnement des infrastructures critiques nationales sur Terre. Même un seul événement de fragmentation pourrait affecter tous les opérateurs en orbite basse.
Pensez à ce qui se passerait si des satellites clés tombaient : pas de GPS, pas de communications maritimes, pas de transactions financières, pas d’agriculture moderne, pas de coordination des urgences. C’est comparable à une « crise climatique localisée » mais avec des conséquences immédiates et globales.
Source: DRCrédits : yucelyilmaz/istockLe vrai problème : nous savons, mais nous n’agissons pas
Ce qui relie ces trois menaces est troublant : nous avons la science, nous avons les données, nous savons précisément ce qui se passe. Mais entre le savoir et l’action, il existe un gouffre que nos gouvernements tardent toujours à franchir.
Pour les antibiotiques, nous avons besoin d’investir massivement dans la recherche de nouvelles molécules et dans la prévention des infections. Pour l’IA, nous devons mettre en place des garde-fous éducatifs et cognitifs dès maintenant. Pour l’espace, nous avons besoin de régulations internationales strictes sur les lancements de satellites et de systèmes de gestion du trafic spatial.
Mais en 2026, la question ne sera pas de savoir si ces menaces matérialiseront — elles sont déjà en mouvement. La vraie question sera : avons-nous enfin commencé à réagir, ou continuerons-nous de regarder les chiffres de l’inaction ?
Comme l’anthropologue Jared Diamond l’a souligné, les civilisations ne s’effondrent pas faute d’intelligence, mais faute de réaction. La science nous prévient. La question maintenant est : l’écouterons-nous ?