C’est plus facile à dire qu’à faire. Sur le papier, il suffirait d’utiliser les avoirs russes gelés pour garantir 210 milliards d’euros de prêts européens à l’Ukraine, dont elle a besoin pour éviter la banqueroute. En pratique, cette proposition se heurte au blocage de plusieurs États, dont la Hongrie et la Belgique, où sont immobilisés les avoirs russes gelés.
Devant l’urgence vitale que représente l’aide à l’Ukraine, Ursula von der Leyen a donc invoqué des mesures exceptionnelles, relate le Financial Times. Mercredi, la présidente de la Commission européenne a proposé de s’appuyer sur ses pouvoirs spéciaux, prévus en cas de catastrophes naturelles, pour immobiliser les avoirs russes gelés de manière illimitée.
« Droit dans le mur » ?
Pour ses soutiens, il s’agit d’une mesure audacieuse qui « teste [néanmoins] les limites du pouvoir de l’UE. » Pour ses critiques, il s’agit tout simplement d’une action illégale qui viole le droit européen. En tout cas, la manœuvre permet de neutraliser le veto de gouvernements européens pro-russes comme la Hongrie de Viktor Orbán, et de mettre fin au consentement unanime des 27 États membres pour ce qui concerne les affaires étrangères.
« C’est extraordinaire. C’est extrêmement complexe sur de nombreux points juridiques, mais c’est tellement important que je pense qu’ils vont tout faire pour y parvenir. Ils le feront, car c’est une guerre », analyse Jean-Claude Piris, ancien directeur général du service juridique du Conseil de l’UE. « Si vous me demandez si nous fonçons droit dans le mur, la réponse est oui », cingle un haut fonctionnaire de l’UE.
Il faut dire que le contexte est particulièrement tendu : le soutien à l’Ukraine s’érode dans certains pays européens, et Donald Trump pousse Kyiv à la capitulation tout en cherchant à mettre lui-même la main sur ces avoirs russes gelés. Ursula von der Leyen avait donc deux options : chercher l’unanimité pour prêter de l’argent à l’Ukraine sans mobiliser les avoirs russes gelés, ou utiliser les pouvoirs d’urgence pour mobiliser les avoirs russes en contournant le veto de la Hongrie.
Ursula von der Leyen invoque l’article 122
Pour ce faire, elle a mobilisé l’article 122 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui permet d’adopter, sur proposition de la Commission, « dans un esprit de solidarité entre les États membres, des mesures appropriées à la situation économique. » Il a été utilisé pendant la crise financière de l’Eurozone et la pandémie de Covid-19, mais jamais pour la politique étrangère, qui requiert habituellement l’unanimité.
« Il faut toujours envisager la possibilité d’utiliser les traités et tenter de les appliquer, déclare Jean-Claude Piris. En cas d’urgence, en temps de guerre, il faut le faire. Les procédures judiciaires [visant à annuler de telles mesures] prennent du temps. Il faut donc en tirer parti. »
« Cela sera contesté, bien sûr, analyse un haut fonctionnaire de l’UE. Personne ne se fait d’illusions. Ce texte sera certainement contesté devant les tribunaux et il est fort probable qu’il soit gagné. La situation est mal engagée, mais nous n’avions pas d’autre choix. » Une stratégie très risquée, donc, mais peut-être payante.