
Malgré la main tendue d’Emmanuel Macron sur la question des frappes russes visant les infrastructures critiques en Ukraine, son homologue chinois Xi Jinping semble camper sur ses positions et rester ferme sur ce dossier.
Accompagné de son épouse Brigitte, de six ministres (Affaires étrangères, Economie, Agriculture, Environnement, Enseignement supérieur, Culture) ainsi que de 35 dirigeants de grandes entreprises comme Airbus ou EDF, Emmanuel Macron achève ce vendredi 5 décembre sa quatrième visite d’Etat en Chine par une visite au Mont Qingcheng puis au Centre de conservation des pandas géants de Chengdu et enfin rencontrera les frères Lebrun, en Chine, pour une compétition de tennis de table.
Ce vendredi, Emmanuel Macron s’est exprimé à l’université du Sichuan à Chengdu. « On voit la rivalité qui existe entre les États-Unis et la Chine qui va quand même structurer beaucoup de choses, et tout ça pourrait en quelque sorte séparer les continents (…) Nous vivons sans doute un moment, et c’est vos générations qui vont l’affronter, d’extrêmes complexités et de transformations comme on en a peu vécu », dit-il. Il poursuit : « On est à un moment de rupture un peu de notre ordre international et le monde qu’on avait construit après la Deuxième Guerre mondiale, qui reposait sur ce qu’on appelle le multilatéralisme et donc de la coopération entre les puissances, il est en train de se fissurer, de se fracturer (…) Au fond, certains veulent passer d’un monde multilatéral à un monde multipolaire avec quelques puissances qui structurent le monde et des vassaux, si je puis dire, mais qui ne travaillent plus ensemble (…) Je pense que ça, c’est une erreur fondamentale », conclut le chef de l’Etat.
Une visite dans un contexte particulier
Dans un contexte de tensions intenses avec la Chine, cette visite du chef de l’Etat revêt un intérêt crucial pour la France à bien des égards. Elle vise à promouvoir les intérêts français et européens, notamment concernant l’Ukraine et les échanges commerciaux. L’épineuse question de Taïwan devrait aussi être abordée.
En début d’entretien, Emmanuel Macron a proposé un « triple agenda positif pour nos relations. Celui de stabilité géopolitique de rééquilibrage économique et de soutenabilité environnementale ». La question de l’Ukraine a d’abord retenu une grande partie de l’attention. « Nous devons continuer à nous mobiliser en faveur de la paix et de la stabilité dans le monde. Et de l’Ukraine aux différentes régions du monde qui sont touchées par la guerre, la capacité que nous avons à œuvrer ensemble est déterminante », a déclaré Emmanuel Macron après un entretien restreint et avant des discussions en format élargi.
Ukraine : Macron propose un cessez-le-feu via « un moratoire sur les frappes »
« Nous avons, nous le savons, beaucoup de voies de convergence, nous avons parfois des désaccords, mais nous avons la responsabilité de savoir les dépasser, de trouver des mécanismes de coopération, de règlement des différends pour un multilatéralisme efficace auquel nous croyons », a ajouté le chef de l’Etat. De son côté, Xi Jinping a assuré que la Chine entendait coopérer avec la France pour « écarter toute interférence » et « rendre le partenariat stratégique général entre la Chine et la France plus stable ». « Nous avons une attente constante à l’égard de la Chine. C’est qu’elle use de son influence auprès de la Russie pour l’amener à cesser la guerre » en Ukraine, aux portes de l’Union européenne, abonde l’Elysée.
Emmanuel Macron dit ensuite espérer que la Chine se joigne aux « efforts pour parvenir dans les meilleurs délais à un cessez-le-feu sous la forme d’un moratoire sur les frappes visant les infrastructures critiques », que la Russie continue de refuser. « La Chine soutient tout effort de paix », répond Xi Jinping en soulignant qu’un éventuel compromis négocié devrait répondre aux intérêts de « toutes les parties concernées », les Ukrainiens, comme les Russes, tout en continuant de minimiser son soutien envers Moscou.
Pour rappel, la Chine n’a jamais condamné Moscou pour l’invasion de l’Ukraine et revendique une neutralité dans ce dossier. De plus, elle continue de livrer les pièces de drones qui donnent à Moscou un avantage sur le terrain. Malgré les nombreuses tentatives de l’Europe pour inciter Pékin à hausser le ton sur ce sujet, la situation ne bouge pas. « Ce que nous voulons, c’est que dans ce moment où des négociations intenses ont lieu sur la sortie de crise, la Chine puisse convaincre, influencer la Russie et l’orienter vers un cessez-le-feu le plus vite possible », disait-on dans l’entourage d’Emmanuel Macron avant même le déplacement du président à Pékin.
Jeudi, Xi Jinping s’est fendu d’une pique bien sentie à destination d’Emmanuel Macron. « La Chine soutient tous les efforts pour la paix » et « continuera à jouer un rôle constructif pour une solution à la crise » ukrainienne, a déclaré Xi Jinping. « En même temps, elle s’oppose fermement à toute tentative irresponsable visant à rejeter la faute ou à diffamer quiconque », a-t-il ajouté. La Chine rejette fermement toute part de responsabilité dans la poursuite de la crise ukrainienne. Autrement dit, le dirigeant chinois semble être relativement agacé après certaines déclarations des Européens et de la France, notamment concernant la livraison de matériel à destination de l’armée russe. « J’espère que la Chine pourra se joindre à notre appel et à nos efforts pour parvenir dans les meilleurs délais à tout le moins à un cessez-le-feu », a de son côté déclaré Emmanuel Macron.
Macron appelle la Chine à des « investissements croisés »
Le déplacement du chef de l’Etat en Chine est également crucial pour la question du rééquilibrage des échanges commerciaux avec Pékin. Le déficit commercial entre les deux pays a doublé en dix ans et atteignait 47 milliards d’euros en 2024. L’Union européenne dénonce une « concurrence déloyale » de la Chine, des voitures électriques à l’acier, reposant sur des subventions étatiques massives. La Chine est même accusée de « racket » envers les entreprises européennes sur les terres rares dont elle domine la production mondiale. « Il est nécessaire que la Chine consomme plus et exporte moins », déclare un conseiller d’Emmanuel Macron, cité par l’Agence France-Presse (AFP).
Ce n’est pas tout, la France espère davantage d’investissements chinois en Europe car « après trente ans de mondialisation qui ont largement permis à la Chine de croître et d’innover (…) les Chinois ont aujourd’hui des technologies particulièrement avancées qui peuvent être partagées avec leurs partenaires de confiance, notamment européens », dit l’Elysée. Voilà pourquoi, Emmanuel Macron a aussi appelé la Chine à des « investissements croisés », jeudi 4 décembre 2025, pour rééquilibrer la relation commerciale entre les deux pays. Il a prôné la coopération avec le G7 pour une gouvernance économique fondée sur des « règles ».
Les discussions ont lieu dans un contexte d’autant plus tendu après les poursuites des autorités françaises contre le mastodonte du e-commerce chinois, Shein. « Ils sont quand même très embêtés, très gênés d’être accusés de déverser vraiment les plus mauvais produits chez nous », assure la directrice associée de Mascaret et spécialiste des relations sino-américaines, Laure Pallez, sur RTL. En effet, la Chine a longtemps bénéficié de transferts technologiques, notamment dans des secteurs stratégiques comme l’aéronautique et l’intelligence artificielle.
« On a transféré beaucoup de choses, beaucoup de savoir-faire, de technologies sensibles qui ont été développées à l’échelle par la Chine », abonde Laure Pallez. Des savoir-faire qui ont permis à Pékin de parfois dépasser l’Occident dans certains domaines. Désormais, l’Europe dont la France entendent bien remettre à niveau cette relation en protégeant leurs innovations tout en profitant des avancées chinoises.
Un « statu quo » encouragé par Macron sur Taïwan ?
Le troisième item qui aurait pu être au centre des discussions mais qui n’a pas vraiment été abordé par les deux dirigeants, c’est Taïwan. Jeudi dernier, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a exhorté la France à respecter le principe d’une « seule Chine », au nom duquel Pékin revendique l’île de Taïwan comme faisant partie de son territoire. La Chine a critiqué la position de la France sur Taïwan après les déclarations du président Macron comparant la situation en mer de Chine méridionale à la guerre en Ukraine.
Récemment, plusieurs conseillers français ont indiqué qu’Emmanuel Macron encouragerait un « statu quo » sur la question de Taïwan et exhorterait la Chine à éviter toute escalade. Pour rappel, la Chine considère Taïwan comme son propre territoire et n’a pas exclu le recours à la force pour en prendre le contrôle. Le gouvernement de l’archipel rejette, quant à lui, la revendication de souveraineté de Pékin et affirme que seule la population taïwanaise peut décider de son avenir. La Chine souhaite aussi que ses interlocuteurs se montrent plus sensibles à sa position dans cette crise. C’était déjà le sens d’un appel entre Xi Jinping et Donald Trump, le 24 novembre dernier.