« Tout s’arrête peu à peu » : que se passe-t-il dans le corps
quand on meurt

On imagine souvent la mort comme une ligne qui devient plate, un
point final. En réalité, pour l’organisme, c’est un déroulé précis
où chaque système s’éteint à son rythme, du cerveau aux organes,
des cellules aux bactéries. Autrement dit, que se
passe-t-il dans le corps quand on meurt
ne se résume pas à
un instant, mais à une séquence millimétrée où tout ne s’arrête pas
d’un coup.

La science de la réanimation, de la médecine légale et de la
biologie cellulaire décrit une chronologie étonnamment ordonnée.
Cette timeline raconte comment la conscience disparaît, puis
comment les tissus, la peau et même certains gènes réagissent avant
la décomposition complète. Minute après minute, le scénario
surprend.

Minute par minute : que devient le corps après la mort, du
dernier souffle aux premières heures

Pour la médecine, on distingue la mort clinique
(absence de respiration, de réflexes, de mouvements, parfois
réversible) et la mort cérébrale (arrêt total et
irréversible du cerveau, y compris des centres vitaux). Les organes
peuvent pourtant présenter des soubresauts d’autonomie tant qu’un
peu de sang circule encore : « Vous pouvez faire un
électrocardiogramme. Celui-ci montrera alors qu’il y a encore
quelque chose qui se passe », explique Eelco Wijdicks au magazine
Discover. Quand le cerveau cesse vraiment, la respiration s’arrête,
la circulation s’effondre et la conscience se retire en quelques
secondes.

Dans les 30 secondes, les cellules passent en mode survie, les
neurones n’échangent plus d’informations et l’activité
électrique du cerveau
s’éteint avant un dernier pic bref,
encore inexpliqué. Quatre à cinq minutes après, le CO₂ s’accumule,
l’acidité perce des poches d’enzymes et l’autolyse
commence à digérer les cellules de l’intérieur. En une trentaine de
minutes, les organes lâchent successivement, du foie très riche en
enzymes au pancréas, puis aux reins. La température corporelle,
elle, chute d’environ 1 °C par heure durant la
première journée. Et ce moment charnière gardé en mémoire par tant
d’accompagnants existe aussi : « un espace sacré », confie Mary Jane
Nealon.

Autolyse, rigidité cadavérique et lividités : ce qui explique
ces signes

Deux heures après, le calcium qui ne s’évacue plus se fixe dans
les fibres : les muscles se tendent, d’abord au niveau de la nuque,
des paupières et de la mâchoire, puis tout l’organisme se raidit en
une douzaine d’heures. C’est la rigidité
cadavérique
, un effet biochimique transitoire. Entre deux
et quatre heures, le sang descend par gravité dans les zones basses
et colore la peau de taches violacées, les lividités
cadavériques
. Vers douze heures, la peau se déshydrate et
se rétracte, donnant l’illusion que les ongles ou les cheveux
« poussent » encore alors que rien ne pousse, la peau recule
seulement.

Les mécanismes neurologiques peuvent aussi créer la confusion.
Des réflexes médullaires, en état de pilotage automatique
sans le cerveau, peuvent provoquer un bras qui se lève brièvement,
un soubresaut discret, parfois plus de vingt-quatre heures après le
décès. Les gaz produits par les bactéries ou chassés par l’air qui
remonte peuvent faire vibrer les cordes vocales et donner
l’impression d’un gémissement. Ce n’est pas un signe de conscience,
juste la mécanique corporelle qui termine son cycle, très
prosaïquement. Chez l’homme, détail souvent méconnu, des
spermatozoïdes peuvent rester vivants jusqu’à
36 heures après la mort.

Combien de temps le corps met-il à se
décomposer, en réalité ?

À partir d’une trentaine d’heures, les bactéries
intestinales
ne sont plus tenues en respect par le système
immunitaire. Elles attaquent d’abord la paroi digestive, puis
gagnent le foie, la rate, le cœur, enfin le cerveau, un
envahissement qui prend environ 58 heures pour
toucher tous les organes. En dégradant les tissus, ces microbes
libèrent des gaz qui gonflent l’abdomen, décollent la peau,
bouffissent le visage et donnent une teinte verdâtre : c’est la
putréfaction, au cours de laquelle la rigidité
disparaît et le corps devient flasque.

À l’échelle microscopique, tout ne s’éteint pas d’un coup.
Certaines cellules activent encore des programmes de survie : des
gènes liés au stress ou au transport de l’oxygène restent actifs
jusqu’à quatorze heures après le décès, tandis que des
cellules souches musculaires, à métabolisme quasi
nul, ont été observées vivantes au moins 17 jours.
À l’air libre, les vers peuvent digérer jusqu’à 60
%
d’un corps non protégé des mouches dès la
première semaine, si bien que le squelette
apparaît vite. Dans un cercueil, la décomposition prend environ
10 ans. En surface, les os finissent par se
réduire en poussière autour de 2 ans, tandis
qu’enterrés, ils peuvent se conserver pendant des millions
d’années.