Château de Windsor, janvier 2022. Elizabeth II, bouleversée, se prépare à annoncer à son fils Andrew, l’humiliante décision à laquelle elle s’est résolue. Accusé de viol outre-Atlantique, le cadet des Windsor va perdre ses titres royaux et militaires. C’en est fini de « son Altesse royale » pour le prince Andrew. Pour ce douloureux tête-à-tête, la reine veut choisir ses mots, mais deux hauts fonctionnaires vont l’en empêcher.
Des « hommes en gris » comme on surnomme ces bureaucrates de la couronne, qui s’incrustent dans le salon royal, au cœur de cette réunion mère-fils : « Le palais était parfaitement conscient de l’importance du moment », révèle aujourd’hui le journaliste Robert Jobson, auteur de « L’héritage des Windsor ». « Il fallait des témoins, s’assurer que ce qui allait être dit respecte la loi ».
Officiellement, Andrew a toujours juré qu’il n’a jamais rencontré Virginia Roberts-Giuffre, l’Américaine qui l’accuse de viol, en dépit de l’existence d’une photo ou tous les deux sont enlacés.
« Comme une plaie qui suinte et ne veut pas guérir »
Officiellement, la reine le croit. Et c’est elle qui rédige un chèque de 12 millions de livres pour que Virginia Roberts renonce aux poursuites judiciaires, espérant voir ainsi le scandale se dissiper. Mais l’affaire Andrew n’a jamais disparu, « comme une plaie qui suinte et ne veut pas guérir », décrit Jobson. Elle revient hanter les Windsor et même entacher la figure auréolée de la reine. « Les hommes en gris » ont-ils soupçonné la souveraine de 95 ans de vouloir protéger son fils préféré ?
Aujourd’hui, les Britanniques se posent la même question. Et bien d’autres encore. Où sont passés les carnets des officiers de protection d’Andrew dans lesquels chaque rencontre, chaque rendez-vous, doit être consigné et transmis à Scotland Yard ? « Ces hommes sont payés par le contribuable, pourquoi ne pas les interroger ? » questionne Robert Jobson.
Démis de ses fonctions, de son titre de duc puis de prince, Andrew devenu M. Mountbatten-Windsor, n’a jamais répondu à aucune des sollicitations des victimes du dossier Epstein ni à l’invitation à témoigner devant le congrès américain. Aucune enquête n’a été ouverte dans son propre pays. Une impunité qui scandalise l’opinion britannique. Mais si personne ne peut obliger un membre de la famille royale à parler, il est possible désormais de s’en prendre à son porte-monnaie !
Sous la pression du public, les députés ont osé ce qui aurait été impensable du vivant d’Elizabeth II. La commission parlementaire des finances publiques a voté ce mardi le lancement d’une enquête sur les comptes du Crown Estate, cette entité qui gère le portefeuille de propriétés des Windsor, soit la bagatelle de 15 milliards de livres.
Les révélations du montant du loyer symbolique payé par Andrew pour sa demeure de 30 pièces à Windsor, vite devenu le scandale du Royal lodge, ont choqué. Depuis, les Britanniques ont appris que son frère Edward bénéficie lui aussi de conditions particulièrement avantageuses. Figure de proue de cette campagne contre l’opacité du système, le député Norman Baker dénonce les « privilèges exorbitants » accordée à la Firme.
« La famille royale coûte 10 fois plus que n’importe quelle autre monarchie européenne »
Non contrainte d’appliquer les lois sur la parité, la diversité ou le harcèlement et, surtout exemptée d’impôts. « La famille royale coûte environ un demi-milliard de livres par an, soit plus de dix fois celle de n’importe quelle autre monarchie européenne », assène Baker. Charles III est le seul roi milliardaire.
Impensable aussi ce documentaire diffusé en ce moment sur la BBC, intitulé « A quoi sert la monarchie ? ». Un audit télévisé de trois épisodes en forme de point d’interrogation et qui pourrait s’appeler « Tout ce que vous ignorez sur la monarchie » : en somme, une institution qui considère qu’elle n’a pas de comptes à rendre sur ses finances, sa communication ou sa diplomatie et avec à sa tête, « un chef d’État que personne n’a élu ».
« C’est vrai que c’est une façon irrationnelle de diriger un pays, reconnaît Robert Hardman, célèbre biographe de la famille royale. Et ils en ont conscience ». Et le biographe d’ajouter : « Imaginez si on devait créer un nouveau pays aujourd’hui. On prendrait une famille, qu’on mettrait dans un château et on lui donnerait absolument tout ce qu’elle veut, pareil pour ses enfants et les enfants de ses enfants… ça ne viendrait à l’idée de personne de faire ça ! Et pourtant, c’est un système qui fonctionne ».
La royauté dégringole dans les sondages
Mais elle fonctionne de moins en moins selon les Britanniques. L’érosion est lente mais réelle. Dans les années 1980, près de 90 % de la population jugeait la royauté « importante », ils sont tout juste 51 % aujourd’hui. « Clamer que la monarchie va durer éternellement est tout simplement arrogant », estime Robert Jobson. « Les jeunes générations ne s’intéressent pas à la monarchie ou alors, ils la remettent en question. C’est eux que William et Kate doivent séduire ».
Un quadragénaire qui se déplace en trottinette sur son lieu de travail : c’est ainsi que le prince William déambule dans les allées de Windsor dans un récent documentaire diffusé sur Apple et consacré à la monarchie. Une opération de communication bien rodée, où le fils de Charles III joue les châtelains et se pose en futur « réformateur » de l’institution.
La révolution William se prépare
« Le changement est à mon programme, un changement durable. Et je n’en ai pas peur », assure le prince de Galles, avec roulements de tambour. Selon le tabloïd américain le New York Post, c’est même en élagueur que William s’imagine. Tandis que le Post lui prête le projet de réduire le personnel de moitié… -adieu les « hommes en gris »- et de supprimer titres et duchés inutiles… Hello Harry Mounbatten-Windsor ! À la cave donc, manteaux d’hermine et sceptre de 20 kg. Promis, on ne verra pas William en kilt…
« On verra ça quand il régnera » relativise Robert Jobson. C’est toujours facile de fourmiller d’idées quand on n’est pas sur le trône ». La presse britannique rappelle que William, inspiré par les modèles de royauté scandinave fondés sur la transparence, est celui dont les finances figurent parmi les plus inaccessibles de la Couronne. Quels que soient les changements envisagés par le prince, l’avenir de la monarchie n’appartient pas à la famille royale, mais au peuple. C’est la leçon que l’affaire Andrew est venue rappeler.