– Quelle est votre réaction après votre élection surprise à la tête de la Commission des îles ?
– Je suis très heureuse d’avoir été élue présidente de la Commission des îles de la CRPM lors de l’assemblée générale de toutes les îles qui s’est tenue à La Palma aux Canaries, ces deux derniers jours. Les représentants des îles cherchaient un président connaissant bien les réseaux européens et en capacité de porter haut et fort tout le travail que nous avons réalisé depuis des années sur l’insularité. Il semblerait que ma candidature ait fait florès, j’en suis très honorée. Je vais continuer le travail que nous avons initié avec Gilles Simeoni, qui a été président de cette Commission de 2017 à 2021, mais aussi avec nos amis de Méditerranée, de Sardaigne, de Sicile, des Baléares, et au-delà, puisqu’il s’agit de défendre les intérêts de toutes les îles européennes, y compris des régions ultrapériphériques que je connais bien par mes travaux scientifiques. Ce sont des perspectives importantes dans un contexte complètement nouveau à l’échelle l’européenne.
 
– C’est rare qu’un représentant d’une même île soit élu à ce poste à si peu d’années d’intervalle ?
– Tout à fait ! Il y a beaucoup d’îles en Europe, donc une alternance est demandée et souhaitable, mais nous avons bien travaillé et su tisser des liens forts que j’ai pu aussi valoriser à travers le Comité européen des régions. Et puis, je réponds toujours présente lorsque d’autres îles me sollicitent sur certaines problématiques ou certains dossiers. J’ai toujours introduit et défendu des amendements en faveur de l’insularité dans les propositions de la Commission européenne, notamment à travers mon travail et les avis que j’ai fait voter au Comité européen des régions. Je n’oublie jamais la dimension insulaire qui est véritablement ma priorité et qui le sera encore plus puisque je suis élue pour deux ans.
 
– Justement quelle sera votre priorité ?
– Ma priorité est de faire valoir la voix des îles auprès des institutions européennes. Qu’il s’agisse de l’application de l’article 174 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne qui préconise une prise en compte spécifique de l’insularité, mais aussi l’article 349 qui concerne les territoires ultrapériphériques ultramarins. Le contexte est très particulier, difficile au niveau européen, tant sur le plan diplomatique, géopolitique, que sur le plan économique. L’Europe est confrontée à des défis majeurs dans un contexte mondial où les cartes sont rebattues. Il va falloir mettre en œuvre une stratégie bien précise sur la base d’une dynamique collective avec l’ensemble du bureau de la Commission pour que l’Union européenne, dans la définition de sa prochaine politique de cohésion, mais également dans le prochain cadre financier pluriannuel pour sept ans, n’oublie pas l’insularité.
 
– Tous les travaux et les avis, que vous avez déjà fournis, ont-ils payé ?
– Oui ! Nos travaux, menés au Comité des régions depuis une dizaine d’années, commencent à payer, y compris ceux du Parlement européen. Le député Younous Omarjee a brillamment défendu la cause insulaire au Parlement européen, il y a quelques mois, avec un vote très important pour un pacte des îles. Aujourd’hui, grâce au travail réalisé au cours des dernières années au Comité européens des régions, nous défendons la prise en compte de l’insularité dans toutes les politiques publiques européennes. C’est toujours sur ses priorités-là que nous nous positionnons. Si la politique de cohésion est très importante, il s’agit aussi, pour les îles, de défendre une politique des transports spécifiques, un régime des aides d’État particulier ou encore la connectivité numérique, notamment tous les câbles qui permettent la connectivité à un territoire insulaire. Défendre également un soutien à la transition écologique que doivent mettre en œuvre les îles qui sont des territoires beaucoup plus protégés que ne l’ont été les territoires continentaux. L’insularité a protégé les îles sur le plan environnemental, même si, aujourd’hui, avec le changement climatique, les pressions foncières et immobilières liées au tourisme, les îles sont confrontées à de véritables défis. Il faut donc défendre les projets de développement durable des territoires insulaires.
 
– Dans le contexte actuel de conflits et de guerre commerciale, ne craigniez-vous pas que l’Union européenne ait autre chose à faire que de s’occuper des îles ?
– Il est vrai qu’au vu de la guerre commerciale avec les États-Unis, de la nécessité de monter une défense européenne dans le contexte de la guerre en Ukraine, de la raréfaction des budgets européens, on peut se poser la question. En fait, nous pensons que c’est véritablement le moment d’agir et surtout de faire valoir nos arguments. Pour plusieurs raisons. La première est que de nombreuses îles sont situées sur des routes stratégiques à l’échelle mondiale, que ce soit dans le Pacifique, l’Atlantique ou la Méditerranée. Si Donald Trump s’intéresse au Groenland, par exemple, ce n’est pas pour rien ! Deuxièmement, les îles ont des ressources stratégiques. Certaines ont une biodiversité particulièrement exceptionnelle, d’autres ont des réserves naturelles, la plupart permettent d’avoir des zones économiques exclusives, donc des milliers de kilomètres carrés autour de la côte insulaire, qui sont particulièrement importants pour les Etats-membres. Je reste persuadée que si les îles ont besoin de l’Europe, besoin de fonds structurels, de connectivité, d’une meilleure prise en compte de leurs contraintes, l’Union européenne ne peut pas se passer des territoires insulaires qui sont les siens sur tous les océans. Enfin, c’est le moment aussi parce que le commissaire Fitto, qui est vice-président de la Commission européenne, a, dans sa dernière publication qui date du 1er avril concernant le futur de la politique de cohésion, intégré tout un paragraphe concernant la réouverture d’une stratégie pour les îles. Cela signifie que le commissaire Fitto nous a entendus. Il attend nos propositions. Des échanges auront lieu très prochainement. Être présidente de la Commission des îles est un atout majeur dans le contexte que je viens d’évoquer.
 
– Les îles pâtissent-elles plus que les territoires continentaux de la crise mondiale ou sont-elles plus protégées ?
– Cela dépend. Certaines îles tirent leur épingle du jeu des difficultés que connaît aujourd’hui le commerce mondial parce qu’elles sont situées sur des routes commerciales. D’autres en pâtissent à cause de leurs exportations qui risquent d’être fortement taxées par l’administration américaine. Les îles, qui exportent beaucoup vers les États-Unis, risquent d’être pénalisées, notamment celles qui ont des productions agricoles ou halieutiques, puisque beaucoup d’îles, notamment dans l’Atlantique, ont une activité de pêche intense. Ceci dit, les îles partagent toutes un certain nombre de contraintes liées à la discontinuité géographique. Les coûts de transport sont un problème pour toutes. La question de l’accessibilité également. Ensuite, les situations sont singulières : des îles sont très agricoles, d’autres dépendent fortement du tourisme. D’autres encore sont spécialisées dans la diplomatie ou les activités de services bancaires. Cela dépend de leur situation et de leur trajectoire économique passée et actuelle.
 
– Quel est l’impact pour la Corse ?
– La Corse partage avec les autres îles un certain nombre de difficultés et de contraintes. En particulier, elle partage avec la Sardaigne et les Baléares, le fait d’être périphérique. La discontinuité géographique la soumet à des coûts importants de transport. Elle partage aussi désormais, avec d’autres îles, la pression sur le logement, la spéculation immobilière et foncière. Aux îles Canaries où je suis actuellement, il y a un gros débat qui porte sur la question de la limitation de l’achat de logement par des personnes qui ne sont pas des insulaires. La spécificité de la Corse, c’est qu’elle n’a pas de compétences législatives en propre, c’est-à-dire la possibilité d’établir des lois qui lui permettraient de réguler les choses, comme peuvent le faire les Baléares, les Canaries ou la Sardaigne. Il faut véritablement que nous associons ces opportunités élevées de parole et d’action au niveau européen avec notre demande d’autonomie. Je pense que, dans le contexte actuel, cette combinaison entre ces deux opportunités peut être très favorable dans les mois ou les années à venir.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.