Par

Glenn Gillet

Publié le

7 déc. 2025 à 6h50

« On est un peu affolés de voir tous ces commerces, ces restaurants qui ferment », confie Carmen Espagnon. Cela fait plus de 20 ans qu’elle travaille comme employée dans la librairie Loisir & Culture, avenue du Général-Leclerc, un axe central pour le 14e arrondissement, puisqu’il relie Denfert-Rochereau à la Porte d’Orléans. Depuis sa petite boutique, elle a été témoin de nombreux départs cette année : un opticien et une boulangerie au cours des derniers mois, le seul Buffalo Grill de Paris fin octobre ou encore la brasserie Paris Orléans, ouverte depuis plus de 70 ans, il y a deux semaines. Avant cela, de nombreuses marques de prêt-à-porter (Minelli, Zara, Maje, Naf Naf…) avaient elles aussi quitté le secteur.

« On commence à se demander quand ça va être notre tour »

La fermeture de cette brasserie, brutale, est liée à des problèmes d’impayés de loyers qui ont abouti à une fermeture imposée sur ordre d’un huissier. Depuis l’extérieur, Jean-Bernard Alonzo, 71 ans, colle presque son visage à la vitre pour regarder à l’intérieur de l’établissement, où les menus trônent toujours sur les tables, comme si le restaurant était bloqué dans le temps. « Ah, ça aussi, ça a fermé », soupire-t-il.

La brasserie Paris-Orléans, installé depuis plus de 70 ans porte d'Orléans, a fermé ses porte mi-novembre 2025
La brasserie Paris-Orléans, installée depuis plus de 70 ans porte d’Orléans, a fermé ses portes mi-novembre 2025 (©GG/actu Paris)

Habitant du quartier depuis 30 ans, le septuagénaire a longtemps tenu un food-truck de crêpes et de beignets porte d’Orléans. « Ici, ce n’est plus vivant comme avant, tout s’est perdu. Ça fait drôle de voir que plus ça va, plus ça ferme. Même les magasins qui ouvrent, comme le vendeur de lunettes là, ils ne tiennent pas longtemps ! », observe-t-il.

Les commerçants rencontrés par actu Paris décrivent tous une fréquentation qui s’est tassée au cours des dernières années, alors que les loyers ont eux tendance à augmenter. « Nous, c’est environ 5 à 7 % d’augmentation chaque année », assure Xao Wui, gérant avec son épouse du magasin de chaussures Bel Chou’s depuis 10 ans, « pour nous ça va encore, on arrive à payer, mais c’est vrai que ça devient de plus en plus difficile ».

« Nous, on a la chance de ne pas payer trop cher, c’est sans doute pour ça qu’on est encore là », partage Carmen Espagnon, « mais à force de voir les fermetures qui s’enchaînent aussi rapidement autour, on commence à se demander quand ça va être notre tour ».

Bientôt une rencontre avec les bailleurs organisée par la mairie

Les inquiétudes se confirment par les chiffres : 29 locaux commerciaux sont aujourd’hui vacants sur les 1250 mètres l’artère. « Ça fait mal au cœur », confie Thierry Véron, président de l’Association des commerçants et artisans de l’avenue du Général-Leclerc, ainsi que de la fédération des associations parisiennes de ces secteurs d’activité (Facap). « Aujourd’hui, ce qu’il faut c’est vraiment agir au niveau de l’accessibilité, en permettant aux voitures de circuler à nouveau plus facilement, mais aussi au niveau des loyers en contactant les bailleurs pour les inciter à baisser le montant qu’ils demandent », fait-il valoir.

De son côté, la mairie du 14e arrondissement rappelle que l’avenue du Général-Leclerc ne souffre pas d’une vacance commerciale aussi importante que d’autres grands axes de la rive gauche, comme les boulevards Saint-Michel et Saint-Germain ou encore la rue de Rennes. Le taux de vacances de l’avenue est même de 10,2 %, dans la moyenne des 10,3 % observés dans l’ensemble de la capitale.

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La maire d’arrondissement Carine Petit (Génération. s) récuse, elle, tout lien entre les conditions de circulation des véhicules et une potentielle baisse de la fréquentation sur l’avenue. Elle annonce toutefois à actu Paris que la mairie d’arrondissement vient de récupérer l’intégralité des contacts des différents bailleurs des locaux commerciaux vacants et qu’elle va les contacter très prochainement : « Nous allons leur écrire en leur demandant s’ils souhaitent participer à une rencontre sur l’avenue, pour voir comment ils peuvent participer à ce qu’on puisse rouvrir ces surfaces », détaille Carine Petit.

Concrètement, la maire souhaite demander aux propriétaires de baisser le montant des « loyers faramineux » qui sont parfois demandés aux commerçants, et qui découragent ceux qui souhaiteraient reprendre les locaux vides, tout en s’ouvrant à des « expérimentations » : plutôt que d’accueillir majoritairement de grosses enseignes qui peuvent fermer du jour au lendemain sur décision de leur siège, l’idée serait d’accueillir des « propositions alternatives » ancrées localement comme des espaces d’exposition ou encore des structures de réemploi. « Il y a des structures de l’économie sociale et solidaire qui ont les moyens, ce ne sont pas des punks à chiens du commerce ! Mais ils ne peuvent pas pour autant payer un loyer de 30 000 euros par mois », tranche-t-elle.

Carine Petit rappelle toutefois que les leviers d’action restent faibles pour la municipalité, notamment face aux grandes foncières que la spéculation immobilière dérange souvent peu. « La loi ne nous permet pas d’agir face à ça. La régulation des loyers des structures commerciales, ça n’existe pas », contrairement à ce qui existe pour les logements, regrette-t-elle. Une proposition de loi en ce sens a été déposée mi-octobre par le député socialiste Laurent Lhardit (PS) et plusieurs municipalités de grandes villes comme celles de Lyon ou encore de Bordeaux demande la mise en place d’une telle législation.

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