Charité bien ordonnée…
En France, Teresa est forcément attendu avec méfiance. Comment ne pas penser à notre icône de charité locale, dont le vrai visage a été révélé en 2024, quelques mois à peine après la sortie d’un biopic entièrement à sa gloire ? L’Abbé Pierre – Une vie de combat est désormais un véritable cas d’école, démontrant malgré lui les grosses limites des hagiographies que les studios affectionnent tant. Clairement, le cinéma a plus intérêt à s’intéresser aux humains qu’aux grands hommes. Ou aux grandes femmes.

Tu es pauvre ? Arrête.
Heureusement, le film consacré à mère Teresa n’est pas du tout du même tonneau. Pas question ici de conforter le spectateur dans son admiration aveugle d’une figure quasi mystique. Et heureusement, car derrière cette figure, il y a une personnalité dont les méthodes ont été très critiquées, y compris par des volontaires choqués de constater l’absence de soins prodigués dans ses fameux mouroirs. La souffrance, aurait-elle considéré, est une épreuve nécessaire. Son confesseur aurait peut-être su absoudre ses fautes s’il n’était pas lui-même un agresseur sexuel pédophile, qu’elle s’évertua à défendre avant qu’il n’écope de 25 ans de prison.
À vrai dire, la démarche de Teona Strugar Mitevska n’est ni de la porter aux nues ni de clouer au pilori une femme qui a inspiré tant de vocations, comme l’a fait Christophe Hitchens en 1998. Elle choisit plutôt d’affabuler sur l’un des tournants de son existence : le moment où l’Église lui a permis de lancer son propre ordre, celui-là même qui en a fait une superstar de la charité. À travers elle, et une histoire plus dérivée que véritablement inspirée de la vie de la religieuse, elle s’approche de l’instant où le dévouement et l’ambition s’entrechoquent.

Vous allez vous aimer les uns les autres, bordel de merde ?…commence par soi-même
Pendant la première partie, le film se montre assez pertinent dans son examen, bien aidé par la performance impeccable de Noomi Rapace. Évitant les gesticulations des acteurs en quête d’Oscar, l’actrice affiche aussi bien sa fermeté que son orgueil. Teresa parvient à concilier l’ascèse qu’elle impose à ses sœurs, et qu’elle confond parfois avec l’exploitation quand elle cesse de les appeler par leur prénom, avec son envie profonde de s’émanciper des murs de son couvent pour voler de ses propres ailes.
L’évènement qui vient perturber son numéro d’équilibriste moral – sa potentielle successeuse est enceinte – n’est pas choisi au hasard : à Washington, mère Teresa avait qualifié l’avortement de « plus grande menace pour la paix ». Le scénario ne cesse de mettre en scène l’obsession contradictoire de la religion catholique pour la maternité, qui vient encore embrouiller la vocation de notre héroïne. D’ailleurs, le titre original (Mother), certes moins évocateur, fait référence à ce désir de maternité plus ou moins larvé, ironiquement refusé à celle qu’on appelle « mère » à longueur de journée.

Deux mondes qui se supportent, puis se heurtent
Qu’il prenne la forme d’une protégée servile, de nécessiteux nourris à la main ou d’un nouvel ordre qu’elle pourra éduquer à coups de préceptes rigoristes, mère Teresa est ici en quête d’un enfant sur lequel exercer son autorité. Exposés dans toute l’horreur de leur précarité, les pauvres dont elle s’occupe disparaissent peu à peu de l’équation, écrabouillés par le paternalisme non pas seulement d’une religieuse, mais de la hiérarchie au sein de laquelle elle évolue péniblement.
Des idées ressassées en long, en large et en travers à partir de la seconde partie, qui en rajoute huit couches plutôt que de creuser un peu plus loin. Ce qui alors se lisait sur le visage faussement impassible de Rapace est étalé sur l’écran à grands coups de procédés un poil lourds (contrepoints musicaux, décors qui rétrécissent…). Coincée par sa fenêtre temporelle très réduite, la cinéaste s’y enferme et se débat un peu avec ses effets de style. On salue toutefois l’effort, qui n’a jamais revendiqué une quelconque subversion, n’en déplaise à ceux qu’il a irrités.
