Dans « FutureGuessr », les joueurs s’amusent à reconnaître des lieux du monde avec une simple photo. A une différence près… les voilà en 2100. Un dispositif ludique qui espère sensibiliser le grand public aux conséquences du réchauffement climatique.
Sur la photo, le paysage est désertique. Sur ce dernier sommet d’Afrique enneigé, la neige a fondu pour laisser la place au gravier et aux roches qui ressemblent à du charbon. On se croirait presque sur la lune. Pourtant, ce qui apparaît à l’écran n’a pas été pris dans l’espace. Il s’agit du Kilimandjaro. Ou du moins ce à quoi il pourrait ressembler en 2100, dans un futur 2,7 °C plus chaud.
Le Kilimandjaro maintenant VS en 2100. © FutureGuessr
Sur un autre cliché, on reconnaît facilement les chutes d’Iguaçu… sauf qu’il n’y a plus de chute. Un autre montre un océan bleuté. Il s’agit en réalité de l’île des Maldive, sauf qu’elle n’est plus là, totalement engloutie par les eaux. Sur une autre photo, on reconnaît au premier coup d’œil l’Île de Pâques. Sauf que ses célèbres statues sont recouvertes au trois quarts d’eau, seule le haut de leur corps massif de pierre émerge. La forêt amazonienne s’est quant à elle transformée en savane. On pourrait continuer ainsi, poursuivre la liste de ces visions choquantes.
L’Île de Pâques maintenant VS en 2100. © FutureGuessr »Une version parodique de GeoGuessr »
Ces photos ne sont pas issues d’un manuel scolaire mais de FutureGuessr, un jeu en ligne qui s’intéresse aux conséquences du réchauffement climatique. Développé par l’agence créative Artefact en partenariat avec le Réseau Action Climat, il reprend les codes du célèbre jeu GeoGuessr, où le joueur est placé aléatoirement dans un endroit du monde dont il ignore l’emplacement. Il doit ensuite reconnaître d’un simple coup d’œil et dans un temps record là où il se trouve grâce aux images issues de Google Street View. Le tout, uniquement à partir des données topographiques. Sauf que cette fois-ci, les utilisateurs sont plongés dans le futur.
« C’est une parodie, une version un peu cynique de GeoGuessr. On est lâchés dans un endroit sur Terre et à nous de deviner où on se trouve », confirme à Tech&Co Charles Antoine de Sousa, directeur de création chez Artefact, la société derrière ce projet. Mais dans cette version, « le joueur est en 2100, dans un monde qui a bien changé à cause du réchauffement climatique. »
Si le succès de GeoGuessr, apprécié par 134 millions de joueurs, a sans aucun doute motivé la création du jeu, l’idée est surtout partie d’un constat simple: une image vaut mille mots. « On entend tout le temps parler des rapports du GIEC, des chiffres sur la montée des températures et des océans. Mais au final, on voit bien qu’on a du mal à visualiser concrètement les effets », note le directeur de création.
Val Thorens maintenant VS en 2100. © FutureGuessr
Grâce à l’intelligence artificielle, FutureGuessr a « donné vie » à ces rapports, parfois un peu arides. « L’IA a résumé, avec des photos saisissantes de réalisme, des milliers de pages. C’est très efficace pour sensibiliser un large public au réchauffement climatique », complète Benjamin Sultan, climatologue à l’IRD, l’Institut de Recherche pour le Développement, au sein du laboratoire Espace-Dev et auteur contributeur du 6e rapport du GIEC. « On a beau dire que les pluies vont augmenter, que le niveau de la mer va augmenter… Le voir sur une image, c’est plus concret. »
Hallucinations et réticences
Le GIEC a joué le rôle de caution scientifique du projet. C’est Benjamin Sultan lui-même qui a vérifié une à une les images pour s’assurer que les projections n’étaient ni exagérées, ni minimisées.
« Quand on lui a montré les premières images, on s’est rendus compte qu’on n’était pas allés assez loin », sourit Charles Antoine de Sousa.
La forêt Amazonienne maintenant VS en 2100. © FutureGuessr
Impossible au départ, par exemple, de mettre en image une montée des eaux de 3 mètres comme décrit dans le rapport. « L’eau ne dépassait pas le seuil des portes », se rappelle Farouk Khelifi, directeur artistique chez Artefact. Même constat lorsque l’algorithme a fait apparaître des chênes au milieu d’une oasis, parce qu’il fallait entraîner le modèle open source utilisé à connaître les palmiers plus exotiques. « Pourtant, ce ne sont pas les scénarios les plus extrêmes », note Benjamin Sultan.
L’entreprise a donc dû entraîner l’IA pour qu’elle respecte les prévisions du GIEC. Autre difficulté, les risques d’hallucinations, ces résultats incorrects ou trompeurs assénés avec assurance par l’IA. L’objectif? « Garder la maîtrise de ce qu’on avait généré et de la topographie des lieux que nous avions présélectionné », détaille-t-il.
« L’avant / après est radical »
Mission réussie. Les 50.000 joueurs uniques de FutureGuessr ont découvert que le Mont Saint-Michel et Shanghaï se font dévorer par les eaux en 2100. Val Thorens ou l’Antarctique se transforment en prairie verdoyante.
Le Mont Saint-Michel en 2100. © FutureGuessr
Les récifs de la grande barrière de corail ne sont plus que des squelettes blanchis. De son côté, une oasis dans le Sahara se transforme en paysage totalement désertique. Dans moins de 75 ans, l’Essex ressemble plus à un vignoble dans le sud de la France qu’à une région rurale anglaise.
Le comté d’Essex maintenant VS en 2100. © FutureGuessr
« L’avant / après est assez radical. La montée des températures va rendre le lieu invivable et l’eau va complètement disparaître », note Charles Antoine de Sousa. Au total, plus d’une cinquantaine de lieux ont été identifiés, dont six en France.
Une fois que l’utilisateur à deviner, plus ou moins précisément, le lieu auquel correspond l’image, un petit texte explique les conséquences du réchauffement climatique. Les sources sont clairement indiquées en bas de chaque paragraphe. Mais l’expérience ne se veut pas purement catastrophiste. Plusieurs solutions sont proposées pour « changer les choses ».
Agir contre le réchauffement climatique
A New-York, pour éviter de voir la statue de la Liberté être submergée, le jeu conseille par exemple de miser sur les énergies renouvelables et sur des bâtiments modernisés. Il suggère également de mettre en place des zones marines protégées au niveau de la Grande barrière de corail. FutureGuessr espère ainsi pousser ses dizaines de milliers de joueurs à « prendre conscience de la situation » et à agir, lance Benjamin Sultan.
La Grande Barrière de corail maintenant VS en 2100. © FutureGuessr
Une méthode au plus près de la réalité scientifique, donc. Seule ombre au tableau: la consommation énergétique de l’IA générative. Selon les chercheurs, l’intelligence artificielle devrait consommet entre 4,2 et 6,6 milliards de mètres cubes d’eau en 2027 pour refroidir les ordinateurs qui la font tourner. Mais à en croire Farouk Khelifi, FutureGuessr tente d’être le plus sobre possible.
« On connaît tous ChatGPT ou Midjourney, mais il y a beaucoup de solutions open-source qui permettent d’utiliser l’IA tout en maîtrisant son bilan carbone », rappelle-t-il. Le développement de Futureguessr n’aurait ainsi pas dépassé la consommation « d’un ordinateur que tout le monde peut avoir chez soi ». L’équipe a entraîné et utilisé son modèle en local, hors connexion. « On a nourri notre propre IA sans internet, uniquement avec les trois derniers rapports du GIEC. » L’ombre du cloud s’éloigne, et le projet est donc aussi vert que possible à son origine.
Le jeu pour reprendre conscience du problème
FutureGuessr est donc la dernière manifestation d’une tendance: utiliser les jeux vidéo comme outil de sensibilisation. Ces dernières années, de plus en plus de titres s’intéressent aux conséquences du réchauffement climatique.
C’est le cas de Terra Nil (2023), un jeu de stratégie qui consiste à changer une terre stérile et sans vie en un écosystème riche et prospère. Dans Alba: A Wildlife Adventure (2020), le joueur tente de sauvegarder la faune d’une île en créant sa propre association de défense de l’environnement. Le tout, alors que la réserve naturelle locale, ravagée par un incendie, risque d’être transformée en hôtel de luxe.
Dès 2011, Fate of the World s’est également intéressé à la crise climatique. L’objectif de ce jeu de stratégie? Éviter l’effondrement de la civilisation tout en gérant les émissions de CO2, la déforestation, les réserves énergétiques, la démographie, les crises humanitaires, les tensions géopolitiques. Un jeu particulièrement difficile qui illustre déjà la complexité des enjeux climatiques. FutureGuessr est bien entendu différent, c’est un site, pas même une application mobile pour l’instant. Néanmoins, l’esprit est le même, incarne un même espoir. En donnant à voir un futur (trop) possible, il appelle une réaction en chacun de nous. A nous de réagir donc, et de tenter d’éviter le pire.
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