THÉÂTRE – Johanna Boyé a réactualisé avec Elisabeth Ventura le conte de Hoffmann au Vieux-Colombier. Un spectacle bien joué, mais au rythme inégal.
C’est le soir de Noël, les parents (Véronique Vella et Nicolas Chupin parfaits) de Clara (Mélissa Polonie, gamine à souhait) attendent la visite de son parrain Drosselmeyer, un horloger spécialiste en automates (Yoann Gasiorowski). Depuis un accident, leur fille a une cicatrice sur le visage et se déplace avec une attelle à la jambe. Elle pourrait l’enlever mais s’y refuse. Elle refuse aussi de sortir de la maison au grand désespoir de sa mère qui espère rencontrer le maire de la ville grâce à Drosselmeyer. Ce dernier débarque avec un cadeau qui va bouleverser le quotidien de l’enfant : un soldat grandeur nature, dont la bouche sert de casse-noisettes (impeccable Baptiste Chabauty). Mais son paternel casse le jouet.
Dans le même esprit que La Reine des neiges, l’histoire oubliée, d’après le conte d’Andersen, déjà au théâtre du Vieux-Colombier, Johanna Boyé et Élisabeth Ventura ont réactualisé Casse-Noisette et le Roi des souris, le conte d’E. T. A. Hoffmann dans la traduction d’Alexandre Dumas. « Très librement », il est d’ailleurs rebaptisé Casse-Noisette ou le royaume de la nuit (Éditions Avant-scène théâtre).
Le Roi Lion, Notre-Dame de Paris, Bigre… Les spectacles à voir pour les fêtes de fin d’année
Ministre de la Dissolution
Le frère de la fillette a disparu au profit de cette dernière qui prend son courage à deux mains pour suivre le soldat dans un univers inconnu : « À cœur vaillant, rien d’impossible », assure son protecteur. Pour les deux autrices, il s’agit moins de croire en ses rêves que de raconter une histoire de résilience. À l’instar de Casse-Noisette, Clara doit se « réparer », surmonter ses peurs, faire la paix avec elle-même.
« Un peu d’audace », lui conseille Drosselmeyer. Johanna Boyé et Elisabeth Ventura n’en manquent pas. Clara et son compagnon pénètrent dans le monde de la nuit gouverné par un dictateur aux accents mélenchonistes. On n’est plus au royaume des poupées et de la gourmandise, mais au pays du roi Pirlipat en guerre avec la reine des souris, la méchante Dame Mauserink. On croit entendre le mot « misogynie », Clara est nommé ministre de la Dissolution. Sa mère entend briller en société, son père est ridiculisé.
Ce qui n’empêche pas les adaptatrices de montrer le coup de foudre entre la princesse Pirlipat (Charlotte Van Bervesselès) et Casse-Noisette. Les sept acteurs de la Comédie-Française jouent avec brio souvent plusieurs rôles, chantent et dansent, se démènent pour nous entraîner dans des aventures inédites. Mais qui manquent d’harmonie et de fluidité.
Car, est-ce parce que c’était un vendredi soir, on a trouvé le temps long – la durée de la pièce est « estimée » à une heure trente-cinq. Malgré les effets de lumière et de musique, la magie n’est pas toujours au rendez-vous et le rythme de la mise en scène en souffre. Ce qui n’a pas l’air de déranger les têtes blondes installées sur des rehausseurs.
Par bonheur, dans la troisième partie, l’insolente Fée Dragée (Pétillante Coraly Zahonero) a relancé notre intérêt. « Tu es moche ! », a-t-elle balancé à Clara. Libérée, elle confie qu’elle préfère conseiller un chef d’État que s’occuper d’enfants ou d’adolescents. Tel est sans doute le message du spectacle : vivre sa vie sans tenir compte des diktats de toutes sortes. Si tel est le cas, Johanna Boyé et Elisabeth Ventura atteignent leur but.
» Casse-Noisette ou le royaume de la nuit, au théâtre du Vieux-Colombier (Paris 6e), jusqu’au 4 janvier 2026.