Après Alès et Moussac en 2020 et 2022, Vendargues a reçu le prix de « La France Moche » 2025, pointée du doigt cette année par l’association Paysages de France pour « sa forêt de panneaux publicitaires ». À l’occasion de son Dossier du dimanche, Midi Libre revient sur cette France dite « moche » en trois épisodes. Premier acte : retour sur l’objectif d’un tel prix, qui n’est pas, selon Paysages de France, « de stigmatiser telle ou telle commune, mais de limiter les atteintes à la dégradation des paysages ».
L’essentiel
- En 2010, Télérama avait qualifié les zones périurbaines de « France moche » et ce, pour décrire l’étalement de zones commerciales inesthétiques. Le concept est resté.
- En octobre, l’association Paysages de France a dévoilé son palmarès 2025 du Prix de la France Moche. Un concours basé sur les photos envoyées tout au long de l’année par ses adhérents, heurtés par un choix d’urbanisation. Le grand gagnant dans la catégorie « forêt publicitaire »? Un paysage bien connu des habitués de la route nationale 113 dans l’Hérault : l’entrée de la ville de Vendargues.
- À l’occasion de son Dossier du dimanche, Midi Libre revient sur cette France dite « moche » en trois épisodes. Entre zones commerciales, Ode à la Mer et la « verrue de Canet ».
C’est un prix que pas une commune ne souhaite recevoir. D’ailleurs, mi-octobre, lorsqu’il a appris que Vendargues venait d’être désignée « ville moche » par l’association Paysages de France dans la catégorie « forêt publicitaire » pour une série panneaux implantée le long de la RN 113, le maire Guy Lauret n’a pas caché son « courroux ». « On oppose la France moche à la France qui travaille, celle qui se lève le matin et créé des richesses. Depuis la nuit des temps, s’il n’y a pas de communication, il n’y a pas de business. Ce “prix” est d’autant biaisé que la photo a été prise à l’entrée d’une zone d’activités et cadrée uniquement sur quelques panneaux. J’invite l’association à venir voir que Vendargues, c’est loin d’être la France moche », s’est agacé l’élu auprès de Midi Libre.
Jean-Marie Delalande, président des Paysages de France, l’admet : « Vendargues est une très jolie ville avec un cœur de village agréable. Il y a juste, comme dans de nombreuses autres communes, des lieux particulièrement dégradés, donc moches », précise-t-il d’emblée. C’est d’ailleurs à la sortie de la ville, en direction du Crès, que la photo qui justifie ce “trophée” a été prise.
RLPI et pouvoir de police
« Notre objectif n’est évidemment pas de stigmatiser telle ou telle commune, mais de faire prendre conscience, à la fois aux élus et au grand public, que leur environnement est régi par des lois et règlements et que les publicités ne peuvent être installées n’importe où et n’importe comment. Il y a en France beaucoup de publicités et d’enseignes illégales qui dégradent le paysage alors même que ces panneaux n’apportent pas grand-chose à l’attractivité des territoires, voire des entreprises. Ce n’est pas parce qu’il y en a vingt autour d’un supermarché qu’il y aura plus de clients », pointe Jean-Marie Delalande. Il considère son association comme « un aiguillon » pour contribuer à gommer ces affichages disgracieux trop nombreux.
Souvent, cela fonctionne. Avant Vendargues, deux communes gardoises ont été “honorées” : Moussac en 2022 pour un mur couvert de douze panneaux publicitaires et Alès en 2020 pour son « fleurissement publicitaire » le long de la rocade. Et depuis, le maire alésien Christophe Rivenq, qui admet qu’il y avait « trop de panneaux », dit avoir pris « des mesures fortes ». »On a supprimé une quarantaine de dispositifs, on en a remis aux normes. Et il y a encore du travail, mais il faut réussir à allier dynamique commerciale, économique et qualité de vie », soupèse l’élu. La ville de Moussac a fait de même, nettoyant son mur quatre mois après avoir reçu le prix.
« Une verrue à la sortie de la ville »
La “France moche”, ce n’est pas que des zones commerciales. C’est parfois aussi des entreprises abandonnées parce que leur activité a cessé et que la requalification du site s’avère très complexe. C’est particulièrement vrai avec d’anciennes industries, comme à Canet, non loin de Clermont-l’Hérault, exemple parmi tant d’autres. « C’est une verrue à la sortie de la ville », déplorent régulièrement les habitants, en montrant la friche d’Agrocanet qui sommeille depuis trente ans à l’orée de la commune. C’était à l’époque » le plus gros producteur de sucre de raisin d’Europe. Un site où on traitait 550 000 hectolitres de moût de raisin par an. On essayait de développer des techniques pour valoriser les effluents de la cave coopérative de Canet », se souvient un ancien salarié. Mais en 1995, c’est la faillite et depuis, les installations ont été taguées, squattées, pillées, détruites, triste paysage que voient des milliers d’automobilistes chaque jour. Le maire, Claude Revel, a donc imaginé un nouveau dessin à ce site : un hôtel, un restaurant et un théâtre de verdure, notamment, qui devraient permettre de tourner la page. Problème, à la rentrée, le projet a reçu un avis défavorable de la DDTM, ce qui illustre les difficultés de requalifier ces sites. Le plan devrait donc être modulé pour coller aux observations, mais cela implique de relancer des études. En attendant, c’est toujours moche à la sortie de Canet. Jusqu’à quand ?
Jérôme Mouillot
Ce mouvement s’esquisse un peu partout, surtout depuis que l’État a décentralisé cette gestion aux collectivités dans les années 2010 en leur laissant le soin de rédiger un règlement local de publicité (RLP) qui définit ce qu’il est possible ou non d’apposer, sur la base du règlement national. Vendargues dépend du RLPI (pour intercommunal) de la Métropole de Montpellier, finalisé en 2021 avec l’ambition de « réduire de 25 % la publicité », rappelle Bruno Paternot, élu délégué en charge du dossier. Selon lui, cet objectif a été atteint, mais pas forcément de façon homogène.
« En 2024, les maires ont fait le choix de conserver leur pouvoir de police en matière de respect de règle de la publicité, pour garder la maîtrise de l’image de leur ville, ce que l’on peut comprendre. Mais, de fait, on a vu se mettre en place des politiques très différentes, entre ceux qui ont fait le choix d’y aller à la disqueuse, d’autres qui ont opté pour la pédagogie en se saisissant des outils mis à disposition par la Métropole comme nous l’avons fait sur la ville de Montpellier ou les derniers, minoritaires, qui ont privilégié le laisser-faire », résume l’écologiste. Il faut dire que ces élus doivent parfois aussi faire face à « la pression publicitaire », ainsi que l’appelle Jean-Marie Delalande, sur les grands axes qui amènent dans les zones d’activités ou commerciales. La RN 113, entre Saint-Brès et Castelnau-le-Lez en passant par Le Crès et… Vendargues, en est l’illustration.
Des boîtes à chaussures en tôles et des parkings
Le concept de “France moche”, mis en avant chaque année par l’association France Paysages, avait d’ailleurs été théorisé par l’hebdomadaire Télérama en 2010 pour dénoncer surtout les zones commerciales et pavillonnaires vieillissantes, héritage de l’étalement urbain des années 60 et 70 facilité par la démocratisation de la voiture. « Elles se caractérisent par ces boîtes à chaussures faîtes de tôles et de parkings, autour desquelles forcément, ont pullulé des forêts de panneaux publicitaires. Comme d’autres grands équipements qui portent atteinte au paysage, c’est horrible d’un point de vue urbanistique, mais on a déjà tant de travail avec les dispositifs de publicité qu’on y concentre notre action », soupire Jean-Marie Delalande.
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La plupart du temps, ces zones se situent en entrée d’agglomération, à l’image dans notre belle région – qui n’échappe donc pas aux affres de la France moche – de la route de Montpellier, à Nîmes, là-aussi sur la RN113, une porte pourtant tant empruntée pour se rendre dans la ville. La rocade d’Alès, malgré les efforts entrepris, est loin d’avoir gagné le charme retrouvé du cœur de ville. Comme la zone commerciale de Balaruc que l’on peut traverser pour rejoindre Sète depuis l’autoroute A9, malgré la proximité de l’étang de Thau. Ou l’entrée de Bagnols-sur-Cèze, par la RN86, en venant de Pont-Saint-Esprit.
La notion de beauté ou de laideur reste évidemment très subjective, mais les projets de requalification lancés çà et là, à Nîmes justement avec cette Zac du Marché gare sur la 113 ou aux entrées de Sète par exemple révèlent une prise de conscience. Le maire de Vendargues, d’ailleurs, qui s’attache à soigner l’esthétique de tout nouveau projet, a admis, à propos de cette forêt de panneaux : « On travaillera dessus ».
Des règles strictes… mais complexes
Si Paysages de France médiatise son action chaque année en distribuant quatre prix de la France moche, elle ne fait pas que distribuer les mauvais points. D’abord, lorsque les villes pointées du doigt ne réagissent pas aux signalements opérés par ses correspondants locaux, elle porte les dossiers au tribunal administratif. « Nous avons eu déjà 104 jugements positifs », dénombre le président Delalande. Elle propose aussi aux collectivités d’apporter son expertise, tant le code de l’environnement qui régit l’affichage publicitaire et les enseignes est « complexe ». « Nous avons par exemple participé à la rédaction du Règlement Local de Publicité Intercommunal (RLPI) de la Métropole de Montpellier », dévoile-t-il. Ainsi, dans le cas de Vendargues, il est formel : « Sur la zone que nous avons montrée, il y a une dizaine de pré-enseignes situées au bord d’une vigne, ce qui est illégal car c’est situé hors agglomération. Les autres panneaux, montrés sur la photo, ne sont pas pour l’heure pas en infraction – même s’ils constituent une atteinte au paysage à nos yeux –, mais ils devront être regroupés sur un seul et même dispositif présentant l’ensemble des activités de la zone dès 2027 », une règle imposée par le RLPI local qui ne vaut pas forcément dans les autres collectivités.
Voilà qui illustre la complexité en la matière et qui explique, parfois, le laissez faire en matière de police, même si la taille du dispositif ou sa localisation n’est pas respectée. « Et puis, c’est aussi une source de revenus pour la commune », rappelle Jean-Marie Delalande. Faire enlever un panneau en infraction n’est pas simple non plus car il faut d’abord établir un procès-verbal, avant de pouvoir prononcer une astreinte de 240 € par dispositif et par jour. Il vaut mieux privilégier la pédagogie.