De notre envoyée spéciale à Vilnius (Lituanie),
De l’excitation des enfants fébriles, poches à douille en main, ne reste qu’une myriade de cookies bariolés qui s’étendent (presque) à l’infini. Ce samedi, au Centre ukrainien de Vilnius, en Lituanie, des dizaines de petits doigts potelés se sont attelés à la décoration de cookies en pain d’épice, à l’occasion de la Saint-Nicolas. Heureux hasard du calendrier 2025, il tombe le même jour que la Journée des Forces armées de l’Ukraine.
Les biscuits seront acheminés par l’association Blue/Yellow jusqu’à la ligne de front dans la région de Zaporijjia. Là, les hommes et les femmes qui combattent l’invasion russe pourront les déguster. Nataliia Vasyalieva, responsable de l’engagement au Centre, est à l’initiative de cette journée thématique. « C’est devenu une tradition au fil des ans » au sein de la diaspora ukrainienne de Vilnius, explique-t-elle en attrapant un cookie recouvert d’arabesques roses pour le mettre en carton.
De l’autre côté de la table jonchée de biscuits, Maria, jeune réfugiée ukrainienne de 16 ans s’exclame : « J’espère que ces cookies réchaufferont le cœur de nos soldats et leur apporteront un peu de bonheur alors que l’hiver arrive. » Sa famille a quitté la région de Kiev il y a deux ans, après qu’un missile a frappé l’hôpital où elle est née, à quelques encâblures de chez elle. « Ça me fait du bien d’aider les soldats du front, ce sont eux qui protègent notre pays », ajoute avec un sourire triste cette adolescente dont les longs cheveux bruns sont retenus par un joli nœud blanc. « Ils ont besoin d’autant de soutien que faire se peut », abonde Anastasiia, 17 ans. L’ado, qui a quitté Tchernihiv, alors assiégé par les Russes, assure que même les plus petits comprennent l’intention : « Une petite fille m’a confié : « J’espère que les soldats seront heureux de recevoir nos cookies ! » »
Une fête adorée des enfants
Au total, environ 400 cookies ont été confectionnés, accompagnés de dessins d’enfants et de petits talismans. « Pour les soldats, c’est comme si un ange veillait sur eux », glisse Yevheniia Bessmertna, en charge des relations internationales pour le Centre. « Mais c’est dur de savoir exactement combien il y a de cookies, chuchote-t-elle avec un sourire complice. Les enfants en mangent quelques-uns ! »
Longtemps plus populaire que Noël dans de nombreux pays d’Europe de l’Est, la Saint-Nicolas est particulièrement aimée des plus petits. « Ils adorent trouver un petit cadeau sous leur oreiller, à leur réveil », sourit Yevheniia Bessmertna. « C’est une tradition ukrainienne ancienne. Pour moi, c’est un souvenir chaleureux de mon enfance, cette sensation qu’un miracle est possible », assure Maria. Un baume au cœur sucré pour un peuple déchiré par la guerre depuis près de quatre ans.
Les enfants ont préparé des centaines de cookies au pain d’épice décorés avec tendresse pour les soldats du front, au Centre ukrainien de Vilnius, en Lituanie. - Diane Regny / 20 MinutesLa bataille culturelle de Saint-Nicolas et du père Gel
Depuis 2014, cette fête chrétienne est aussi devenue un symbole de la « dérussification » de l’Ukraine, et sa figure, « Sviatyï Mykolaï », s’est muée en emblème patriotique. Traditionnellement, le pays célébrait cette fête le 19 décembre, comme la Russie. Mais depuis l’invasion russe à grande échelle en 2022, la date a été avancée au 6 décembre. « Désormais, on veut coller aux traditions d’Europe de l’Ouest », assure Anastasiia en tirant sur sa marinière.
Saint-Nicolas se distingue aussi de son homologue laïc russe, « père Gel » ou « Ded Moroz », qui apporte des cadeaux le soir du Nouvel An et qui a été « poussée durant l’ère Soviétique », selon le Centre Saint-Nicolas. Dès 2014 et l’invasion russe de la Crimée, la figure soviétique s’est marginalisée en Ukraine. Cette même année, l’administration de Kiev avait annoncé que les célébrations du Nouvel An seraient pour la première fois placées sous l’égide de Saint-Nicolas plutôt que du père Gel.
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Après l’invasion à grande échelle de 2022, cette tension culturelle s’est accentuée, au point que des affiches de propagande anti-père Gel ont parfois été installées dans le pays. Dans un rire, Maria propose toutefois une solution pour contenter tout le monde : « On peut recevoir les cadeaux deux fois, ceux de Saint-Nicolas le 6 décembre et ceux du père Gel au Nouvel An. » Une idée qui devrait ravir les tout-petits autant que ces biscuits réjouiront les soldats ukrainiens.