Par

Zoe Hondt

Publié le

7 déc. 2025 à 18h10

SpiderMass. C’est le nom de la technologie développée par la chercheuse Isabelle Fournier et ses équipes. Seule au monde « en ce type », son but est de guider la chirurgie du cancer. Professeure de chimie bioanalytique à l’Université de Lille (Nord), Isabelle Fournier a consacré plus de quinze ans à ce projet innovant. À ce titre, elle sera récompensée ce lundi 8 décembre par la Fondation pour la Recherche Médicale, aux côtés de 19 autres scientifiques français. Quelques jours avant de recevoir son Prix, elle s’est confiée à Lille Actu sur ce projet « un peu fou ». Entretien.

Comment fonctionne SpiderMass concrètement ?

Le dispositif utilise un laser, couplé à la fibre optique. Le chirurgien peut tenir la fibre et balayer n’importe quelle surface qu’il souhaite avec le faisceau laser. Ça agite des molécules d’eau, et provoque le retrait d’une petite partie de tissu. Le micro échantillonnage de tissu est ensuite aspiré par un tube en plastique. Le tissu est envoyé au spectromètre de masse, qui analyse ce que contient l’aérosol. Il récupère en particulier toutes les molécules et les sépare suivant leurs poids moléculaire. Le résultat de cette technologie nécessite d’être interprété, et pour cela on passe par l’intelligence artificielle. Il faut donc qu’on entraine l’intelligence artificielle à interpréter et à reconnaître des cellules cancéreuses ou non, ou certains sous-types de cancer.

Depuis combien de temps travaillez-vous sur ce dispositif ?

En 2010, on a été sollicité par un chirurgien membre de notre laboratoire. Il travaillait au centre de lutte contre le cancer de Lille, et il nous a demandé si on pouvait développer une technologie pour l’aider pendant la chirurgie des cancers. Il nous a fallu quelques années pour réunir les fonds, assembler le premier dispositif et avoir les premières formes de concept. On a perdu un peu de temps à ce moment-là, parfois la France est frileuse à financer l’innovation un peu risquée. On a donc attendu plusieurs années pour avoir le matériel, notamment le laser et le spectromètre de masse. Grâce à cette preuve de concept, on a pu déposer notre brevet en 2014. En 2020, nous avons fait des premiers essais en environnement réel au bloc vétérinaire sur des patients chiens. Depuis, on travaille sur l’amélioration du prototype et on a créé la startup CELEOS, qui prend en charge l’industrialisation.

Le dispositif SpiderMass est-il déjà implanté et utilisé en milieu hospitalier ?

Le dispositif est encore à l’état de prototype, mais on a deux prototypes démonstrateurs déjà installés. Le deuxième est au centre de lutte contre le cancer Oscar Lambret à Lille. On commencera en début d’année les phases de comparaison pour vérifier qu’on a bien des résultats supérieurs à ceux actuels. Une fois qu’on aura franchi cette étape de validation, on déplacera le prototype au bloc opératoire pour travailler directement sur des patients.

Avant, on veut aussi être sûr qu’on ne développe pas quelque chose qui soit super bien technologiquement mais qui fasse peur aux gens. On va travailler avec des collègues spécialistes de l’ergonomie et de la psychologie. Il va y avoir des allers-retours entre les chirurgiens, les infirmiers, les pathologistes et les patients, pour que l’appareil soit développé de façon à être accepté de tous. On va également travailler sur le design pour que l’appareil mette en confiance, aussi bien les utilisateurs que les usagers.

En quoi votre technologie changera-t-elle la pratique des chirurgiens au bloc opératoire ?

Actuellement, certains chirurgiens n’ont que leurs yeux. Celui qui nous avait sollicité était convaincu qu’il ne faisait pas au mieux pour les patients, car il n’avait pas d’informations moléculaires. Il devait donc se fier à son expérience et à ses yeux, ce qui n’était pas suffisant pour être sûr des marges à prendre autour des tissus. Soit on retire très large, mais il y a beaucoup d’effets secondaires et ça baisse la qualité de vie des patients ; soit on essaie de prendre moins, mais il faut être sûr de ne pas laisser de cellules cancéreuses. Il y avait donc un vrai besoin clinique de savoir la nature des tissus avant de choisir la meilleure chirurgie. On a essayé de développer une technologie pour y répondre. 

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Sur quels types de cancers cette technologie est-elle effective ? 

Il a fallu qu’on fasse des choix. On va d’abord se focaliser sur les cancers tête et cou, le cancer du poumon et les sarcomes. C’est vraiment sur les tumeurs solides puisqu’on travaille sur des tissus et pas du sang, donc ce n’est pas possible pour les cancers liquides. Plus tard, on envisage aussi d’étendre à d’autres chirurgies. Le dispositif serait particulièrement intéressant pour les chirurgies digestives, pour les gens atteints de la maladie de Crohn par exemple.

Que représente pour vous le Prix qui vous sera décerné par la Fondation pour la Recherche Médicale ?

C’est vraiment important parce qu’on travaille sur ce projet depuis quinze années. C’est un aboutissement et une reconnaissance. C’était un projet un peu fou, où la technologie qu’on a développée n’existait nulle part. On est vraiment parti de rien. Des collègues nous ont dit que le projet ne marcherait pas. Aujourd’hui, ce qu’on a développé fonctionne bien, et est arrivé à un certain niveau. Ça fait plaisir de voir que les gens croient en la technologie maintenant, et qu’elle est prête à être utilisée.

Vous allez recevoir 40 000 euros grâce à votre Prix, comment cet argent va vous aider dans vos futurs travaux ?

On va continuer à améliorer la technologie du prototype. Ce qui nous intéresse dans le futur, c’est aussi d’avoir un dispositif qui permet d’adresser des chirurgies mini-invasives. Elles sont de plus en plus développées et beaucoup mieux pour les patients, parce que ce ne sont que des petites incisions qui sont faites grâce à des outils miniaturisés. On va utiliser l’argent pour acheter tout ce dont on va avoir besoin pour miniaturiser notre dispositif. L’idée est de pouvoir l’implémenter dans un système d’endoscopie. À terme, l’objectif est d’implanter des démonstrateurs en France, puis progressivement en Europe. On est tous très impatients de voir les bénéfices que ça va vraiment apporter, autant aux chirurgiens qu’aux patients.

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