Très jeune, Agnès Varda, avait décidé de réinventer le cinéma, après avoir révolutionné la photo de théâtre et celle du Théâtre National Populaire auprès de Jean Vilar. Son premier film, La Pointe Courte, date de1954 et bouscule le cinéma bien avant l’arrivée de la Nouvelle Vague, « parce qu’à ses débuts, Agnès ne se contentait pas de faire des films qu’aucune femme n’avait jamais mais des films que personne n’avait jamais fait avant elle ! » souligne l’amie Angelina Jolie.

A la fois underground et capable de refleurir en majesté comme les patates germées qu’elle a présentées à la Biennale de Venise et dans Les Glaneurs et la glaneuse, Agnès Varda paraît toujours immortelle.

Les photos, les films et les installations qu’elle a réalisés en plus de 80 ans de carrière se confondent avec sa vie. Et lorsque l’on fréquente ses œuvres, on réalise à quel point la vie donne raison aux intuitions : être là au bon endroit, au moment, avec un mélange d’intelligence et de confiances en ses tripes.

C’est probablement ce qui pousse Agnès Varda à se réinventer quand elle décide, en 1967, de suivre son compagnon, le cinéaste Jacques Demy, invité par les studios d’Hollywood, à vivre et travailler à Los Angeles, après le succès des Parapluies de Cherbourg.

Dans cette ville extravagante et extravertie où Demy a un bureau aux studios de production Columbia, Agnès Varda, elle, se laisse séduire par cette « odeur de cinéma » qu’elle renifle dans l’air du temps. Elle apprend l’anglais, fréquente les héros de la contre-culture américaine et regarde ce que d’autres ne voient pas à Hollywood : les marges et l’envers du rêve américain.

Toujours en équilibre entre les mystères du bonheur, les rêveries et l’ombre du dramatique, Varda y fait des films. Elle regarde la politique, le « star system », les murs, les peintures géantes, les mythes et les légendes d’Amérique, et elle découvre même un « oncle d’Amérique », Yanco Varda, avec qui elle fait un film en 1967.

Elle fait de la gym avec Jane Fonda, écoute les Jefferson Airplanes, parle cinéma avec Jim Morrison ou le jeune Harrison Ford, alors encore menuisier. Et dans la ville des super productions XXL, Agnès Varda se met au documentaire, « l’école de la modestie », explique-t-elle en recevant son Oscar d’honneur en 2017.

L’Océan Atlantique met une distance entre Varda et les évènements de mai 1968 qu’elle va « louper » en France, mais elle se plonge, cette année-là dans l’univers des « Black Panthers » et réalise deux documentaires, Black Panthers et Huey, deux films qui rendent hommage à ce qui est alors encore un tout jeune mouvement de conscience noire en Amérique.

Pendant ce temps, la table est ouverte à la maison des Varda-Demy, Jim Morisson est invité à fêter l’anniversaire de Rosalie – la fille d’Agnès Varda. Varda barre son miroir d’un poème de Baudelaire en regrettant l’absence de l’automne dans cette ville où la lumière brille pour habiller les stars.

Elle capte l’heure hippie d’Hollywood dans Lions Love and Lies, une fiction qui réunit Viva, l’égérie d’Andy Warhol, Rado et Ragnni, les acteurs de la comédie musicale culte Hair, et la réalisatrice Shirley Clarke. Puis, Agnès Varda revient en France, avant de repartir à nouveau aux Etats-Unis, en 1980, avec son fils, le tout jeune Mathieu Demy. Elle vit alors séparée de Jacques Demy, mais elle le suit à Los Angeles où le cinéaste repart travailler.

C’est là qu’Agnès Varda tourne le fameux documentaire Mur Murs sur les murals de Los Angeles. Et comme « un film peut en cacher un autre », pendant le montage de Mur Murs, avec la complicité de sa monteuse, Sabine Mamou, Varda imagine ce qui va devenir Documenteur, un film à la forme inédite, mi documentaire-mi fiction, dans lequel Agnès Varda est traversée par des sentiments douloureux, elle y regarde les autres et leur solitude. La monteuse d’Agnès Varda y joue le rôle principal, celui d’Emilie, double imaginaire d’Agnès Varda.

Un mur peint par l'artiste JR, sur un bâtiment de Los Angeles, repésentant Agnès Varda Un mur peint par l’artiste JR, sur un bâtiment de Los Angeles, repésentant Agnès Varda © AFP – © Chris Delmas

« C’est un film assez personnel, assez mélancolique, qui a été tourné en 16 mm par Nurith Aviv sur une pellicule Fuji un peu froide. C’est un film qui se passe entièrement à l’ombre et qui met en scène un petit garçon, qui était moi ! Ce film se mélange donc avec mes vrais souvenirs « , explique Mathieu Demy, qui réutilisera des passages de ce film dans son premier long métrage, Americano, sorti en 2011.

La caméra de Nurith Aviv y filme les visages et corps comme des paysages, capte des scènes de fiction, et des vraies scènes documentaires tournée dans les rues de Los Angeles. Quand Aviv filme une scène d’amour entre Sabine Mamou et son propre compagnon de l’époque dans la (vraie) vie, elle s’attarde sur la ligne qui sépare les corps qui se rencontrent « comme la mer et le ciel ».

« Pour moi, c’est le film le plus personnel d’Agnès », explique la cinéaste et cheffe-opératrice Nurith Aviv, parce que c’est comme un autoportrait de peintre. C’est incroyable, les autoportraits de Rembrandt, par exemple. Ca va au-delà de la peinture elle-même, ça va là où est la solitude, là où l’homme est face à lui-même, face à son propre destin. Je crois que dans ce film-là, Documenteur plus que tout autre film, Agnès Varda est allée dans cet intime profond ».

Pour en parlerRemerciements

Merci au Musée Soulages de Rodez, au Forum des Images, à Diana-Odile, à Kristin Krauze, et à Claude-Eric Poiroux.

Filmographie sélective d’Agnès Varda

Aux éditions Arte-Ciné-Tamaris

  • La Pointe Courte, sorti en 1954
  • Cléo de 5 à 7, sorti en 1961
  • Le Bonheur, sorti en 1965
  • Uncle Yanco, sorti en 1967
  • Black Panthers, tourné à Oakland sortie en 1968
  • Lions, Love and Lies, tourné en 1968, et sorti en France en 1970
  • Daguerréotypes, sorti en 1975
  • Mur Murs, tourné à Los Angeles sorti en 1981
  • Documenteur, tourné à Los Angeles sorti en 1981
  • Sans Toi, ni Loi, sorti en 1985
  • Les Glaneurs et la glaneuse, sorti en 2000
  • Les Plages d’Agnès, sorti en 2008
  • Visages Villages, réalisé avec JR, sorti en 2017

Et aussi autres films « glanés »…

  • Serendipity, de Prune Nourry, sorti en 2019
  • Americano, de Mathieu Demy, sorti en 2011

Bibliographie sélectiveLiensGénérique

Un documentaire d’Elodie Maillot, réalisé par Félix Levacher. Prises de son, Christophe Papon, Raymond Albuy, Clément Vuillet et Grégory Vallon. Mixage, Bruno Mourlan. Documentation Radio France, Anne-Lise Signoret et Véronique Lefalher. Archives INA, Clary Monaque. Traductions lues par Marie Constant. Coordination, Emmanuel Laurentin. Chargée de programme et édition web, Sandrine Chapron.