Dans le cadre de notre rubrique « Courrier des lectrices et des lecteurs », Joseph (Côtes-d’Armor) nous livre ce témoignage émouvant sur son enfance en Bretagne et sur sa vie :
« Il en reste encore quelques-uns… Un « plouc » parmi d’autres qui ose enfin utiliser le « je ».
Je me souviens de ce jour où je suis allé chercher Ouest-France pour savoir si j’étais admis au concours d’entrée en 6e et à l’examen des bourses. C’était en 1951. J’allais l’annoncer à ma mère après avoir fait six kilomètres à pied, habitant un village isolé de Bretagne très profonde.
J’étais orphelin de mon père, décédé un mois après ma conception (il a été abattu à la fin de la « drôle de guerre » en mai 1940). « Papa », un mot donc que je n’ai jamais prononcé…
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« J’ai appris à me taire et à écouter »
Élevé par ma mère et par tout un village, j’ai appris le vivre ensemble et la nécessité de s’aider de « l’autre » pour grandir et vivre. J’ai aussi été adopté par une école et ses maîtres. Avant ça, je ne parlais pas un mot de français, seulement le breton. J’y ai appris l’essentiel. Une école de vie où les valeurs étaient aussi importantes que les règles de calcul ou d’orthographe.
Nous étions en période d’occupation allemande. Un camp allemand d’entraînement se situait tout près à vol d’oiseau et nous avions la visite quasi quotidienne de militaires armés en recherche de ravitaillement. J’ai donc appris à deux ans à me taire et à écouter. Un oncle fréquentait le maquis voisin et venait aussi parfois chercher de la nourriture chez nous.
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« Un petit air de revanche »
Baptisé à 9 ans, sans doute pour des raisons économiques, j’ai également fumé ma première cigarette à cet âge-là. Je n’ai pas emprunté l’ascenseur social pour la bonne raison que je n’ai connu l’électricité qu’à 14 ans, mais l’escalier en granit aux marches taillées dans la sueur et le travail.
J’ai connu par contre la honte du « sabot » ou de la « vache » (un symbole que l’on devait porter à la boutonnière, la punition de ceux qui ne parlaient que le breton), ainsi que l’humiliation du pauvre et du « plouc » dans un établissement de ville.
J’ai survécu. Aujourd’hui à 85 ans, je peux enfin « parler » et « écrire » français. Je n’ai pas connu l’université à l’heure où d’autres la fréquentent mais beaucoup plus tard, avec un petit air de revanche. Lorsque j’ai obtenu mon bac, je suis d’abord devenu instituteur suppléant pendant six ans. Puis j’ai poursuivi mes études universitaires à Paris, à Caen (Calvados) et à Rennes (Ille-et-Vilaine), tout en travaillant. Je suis devenu psychologue scolaire, puis conseiller principal d’éducation, et j’ai terminé ma carrière en tant que principal de collège, toujours dans les Côtes d’Armor.
Finalement, comme dirait un de mes petits-enfants naïvement : “Tu es presque un « dinosaure » grand-père”. »
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