La campagne ukrainienne contre les infrastructures pétrolières russes rogne depuis plusieurs mois la capacité de Moscou à exporter son or noir, entre mises hors service temporaires de raffineries et attaques contre des terminaux ou des navires de la flotte fantôme passant à portée des drones de Kiev.

Mais un autre pays subit de plein fouet les attaques ukrainiennes, malgré sa neutralité affichée : le Kazakhstan, dont les exportations d’hydrocarbures dépendent du réseau d’oléoducs russes pour atteindre leurs clients.

80 % du pétrole dépendant d’un seul oléoduc

La frappe du 28 novembre contre Novorossiïsk, principal port russe sur la mer Noire, a rappelé cette dure réalité à Astana. Kiev a cette fois-ci attaqué un « point d’amarrage unique », autrement dit une bouée installée au large du port permettant de transférer des produits pétroliers entre la terre ferme et un navire. Avec des résultats dévastateurs : selon Vlad Paddack, chercheur chez Nightingale Intelligence, une firme d’analyse politique interrogée par Radio Free Europe, les dégâts causés réduisent de deux tiers la capacité de chargement de pétrole depuis le port de Novorossiïsk.

De quoi impacter aussi bien la Russie, qui exporte une partie de son or noir depuis la ville côtière, que le Kazakhstan, dont 80 % du pétrole passe par un pipeline reliant le gisement de Tengiz à Novorossiïsk. L’attaque a ainsi poussé le Caspian Pipeline Consortium, qui gère l’oléoduc, à interrompre ses activités, dénonçant une « attaque terroriste délibérée ».

Selon Reuters, le ministre de l’énergie kazakh a également enclenché un plan pour rediriger les exportations de pétrole du pays via des routes alternatives. Cet effort est vital pour le Kazakhstan, étant donné la dépendance complète d’Astana aux revenus tirés d’hydrocarbures, qui représentent plus de 30 % de son PIB d’après Forbes.

La principale route alternative consiste à transporter le pétrole à travers la mer Caspienne jusqu’à l’Azerbaïdjan, d’où part l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC). Mais comme le souligne Radio Free Europe, l’oléoduc BTC n’a permis d’exporter qu’1,5 million de tonnes de pétrole kazakh en 2024, contre 63 millions via le pipeline passant par Novorossiïsk. Augmenter drastiquement cette capacité à court terme est une tâche complexe, tandis que la mise en place de nouvelles infrastructures tel que des oléoducs ou gazoducs nécessiterait des dépenses colossales. Le Kazakhstan reste donc dépendant, pour le futur proche, d’un oléoduc que Kiev peut cibler à loisir.

Crise diplomatique

Cette situation n’est pas du goût d’Astana : le ministre des affaires étrangères kazakh a dénoncé une « attaque ciblée contre une infrastructure civile stratégique » et exprimé une « protestation officielle” à l’égard de l’Ukraine. La frappe marque, du point de vue du Kazakhstan, la troisième attaque cette année contre le Caspian Pipeline Consortium, qui a essuyé une frappe de drone contre une station de pompage ainsi qu’une attaque contre ses locaux de Novorossiïsk.

La réponse de Kiev a été glaciale, affirmant que son armée visait avant tout à affaiblir « systématiquement le potentiel militaire et industriel de l’agresseur » et rappelant « l’absence de toute déclaration antérieure de la partie kazakhe condamnant les frappes de la Fédération de Russie contre les civils en Ukraine ».

Le Kazakhstan reste dans une position politique délicate, l’empêchant de prendre décisivement position dans le conflit ukrainien : Astana a dû faire appel aux troupes russes pour réprimer des manifestations en janvier 2022, quelques semaines avant l’invasion de l’Ukraine, mais une aide militaire au régime russe risquerait d’attirer l’ire de l’Occident, qui absorbe l’essentiel des exportations de pétrole kazakh. Ce dernier pourrait cependant permettre au Kazakhstan de résoudre la crise : troisième plus grand exportateur d’or noir auprès de l’Union Européenne, Astana pourrait faire appel à Bruxelles pour forcer la main de Kiev et empêcher de futures frappes, à même de priver les pays européens d’une source alternative au pétrole russe.