Elles étaient prévues par la loi d’orientation agricole de mars 2025 : la ministre de l’Agriculture Annie Genevard doit donner le coup d’envoi ce lundi, depuis le marché de gros de Rungis, près de Paris, des Conférences de la souveraineté alimentaire. Selon le ministère de l’Agriculture, il s’agit à la fois de « reconquérir le marché intérieur », tout en « renforçant les capacités exportatrices de l’agriculture française ». « Un défi colossal », note Thierry Pouch, économiste, responsable du service études économiques et prospective des Chambres d’agriculture.

Avec une surface agricole de 28,3 millions d’hectares en 2022, la France est la plus grande ferme d’Europe. Mais pour de nombreux produits, la production nationale ne couvre pas la consommation. Nous importons ainsi plus d’un poulet sur deux, un fruit sur trois, 10 % de notre farine, 60 % de notre miel, 65 % de nos pâtes alimentaires, 80 % de nos produits de la mer.  Quant à notre balance commerciale, elle ne cesse de s’effondrer. La France est ainsi passée de deuxième exportateur agroalimentaire mondial en 2000 à sixième aujourd’hui. En 2025, elle a déjà enregistré cinq mois de soldes déficitaires et pourrait finir dans le rouge à la fin de l’année, ce qui serait une première depuis 50 ans.

Manque d’outils industriels

La faute à la flambée des prix du café et du cacao, à la parité euro-dollar, aux tensions commerciales avec la Chine et les États-Unis, aux mauvaises récoltes et parfois aussi au manque d’outils industriels sur le sol national. « Nous sommes encore excédentaires sur les animaux vivants, et en particulier sur les broutards qui partent à l’engraissement en Italie, en Espagne ou en Grèce.

En revanche, on importe de plus en plus de viande transformée, de carcasses et de morceaux parce qu’il y a de moins en moins d’abattoirs en France », cite Thierry Pouch à titre d’exemple. C’est la même chose pour le blé dur, que l’on exporte pour ensuite importer des pâtes alimentaires par manque d’usines de transformation. En travaillant avec toutes les filières (voir ci-dessous), le ministère de l’Agriculture espère aboutir à un grand plan national d’objectifs de production et de transformation pour les dix prochaines années, avec des déclinaisons territoriales. En clair, que va-t-on produire à l’avenir, où exactement sur le territoire et comment ?

L’État devra arbitrer

Mais attention, prévient Aurélie Catallo, directrice Agriculture France à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), « il est faux de considérer que l’on peut augmenter toutes les productions. Il faudra arbitrer ». Elle explique : « Pour certaines filières, comme les fruits et les légumes frais ou les légumineuses, il y a vraiment un consensus entre les acteurs agricoles et les ONG pour dire qu’il faut relancer la production, car c’est bon pour la transition du modèle agricole. Mais dès lors que l’on produit plus de quelque chose, il faut produire moins d’autre chose, car on ne peut pas agrandir la surface agricole utile. Doit alors faire moins de blé, moins de maïs, moins de betteraves ? » L’État devra arbitrer. Car « au final, la souveraineté, c’est une décision politique », insiste Thierry Pouch.

L’économiste pointe également des nombreux « facteurs limitants », comme la nécessité de stopper l’artificialisation des sols en renonçant, par exemple, à des projets d’autoroute ou de ligne ferroviaire. Mais aussi aux problèmes de main-d’œuvre et de renouvellement des générations, aux arbitrages des consommateurs vers des produits moins chers et donc importés, ou encore aux moyens donnés à la recherche pour développer plus rapidement des alternatives aux produits phytosanitaires.

Six mois pour repenser l’agriculture

Toutes les filières sont représentées dans les Conférences pour la souveraineté alimentaire. Sept groupes sectoriels ont été constitués sous l’égide de France Agrimer : grandes cultures, fruits et légumes, viande blanche, ruminants, viticulture, productions végétales spécialisées et pêche et aquaculture. Dans chaque groupe siégeront des représentants des principales professions agricoles, de tous les maillons de la chaîne des producteurs aux transformateurs, ainsi que les instituts techniques et l’Inrae pour la recherche. Aucune association de consommateur n’a en revanche été conviée.

Afin d’arriver à une « vision cohérente de ce qui sera fait demain sur les territoires », le ministère de l’Agriculture veut « capitaliser » sur les différents plans déjà établis par les filières, pour les réactualiser au regard de l’évolution des marchés et des attentes des consommateurs, des impacts du changement climatique et des contraintes géopolitiques et économiques mondiales. En parallèle, les préfets piloteront une déclinaison territoriale. Le rapport final sera rendu à la fin du premier semestre 2026. Il devra intégrer une vision interfilière et respecter les stratégies interministérielles déjà validées comme le Plan Ecophyto, la Stratégie nationale bas carbone ou encore la Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat.