La Syrie arrivera-t-elle à juger les crimes de Bachar al-Assad ? Alors que son peuple célèbre le premier anniversaire de la chute du régime, mettant fin à la guerre civile qui aura duré plus de dix ans, l’ancien dictateur syrien reste exilé en Russie. Peut-il craindre d’être un jour livré aux autorités syriennes ? Certes, Moscou conserve des intérêts dans le pays et tient à nouer de bonnes relations avec les nouvelles autorités menées par Ahmed al-Chareh. Mais le Kremlin n’a aucun intérêt à livrer son ancien allié.
« Cela enverrait un message contreproductif à tous ses autres pays partenaires, notamment en Afrique », assure Taline Ter Minassian, historienne spécialiste de l’URSS et codirectrice de l’Observatoire des Etats post-soviétiques. « Il y aurait un préjudice réputationnel très important », abonde Igor Delanoë, chercheur sur les intérêts russes au Moyen-Orient associé à l’Iris (Institut des relations internationales et stratégiques).
Des intérêts russes à sauver
Ce serait impensable, aux yeux de son opinion publique, qu’Ahmed al-Chareh ne demande pas l’extradition de l’ancien dictateur, responsable de plus de 500.000 morts et du déplacement forcé de plus de la moitié de la population syrienne.
Cela pourrait être un levier de négociation, d’autant que la Russie, on l’a dit, doit préserver certains intérêts en Syrie. Notamment deux bases stratégiques : une navale à Tartous, et une aérienne à Hmeimim, soit « le cœur des intérêts russes en Syrie », selon Igor Delanoë. Cette dernière « permet à Moscou d’agir dans la région avec des avions ou des hélicoptères, mais elle est surtout une base de transit. Pratiquement tous les mouvements aériens russes vers l’Afrique passent par elle », expliquait à 20 Minutes en décembre 2024 Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine, historien militaire et stratégiste.
Des cartes financières en Russie
Lors de sa visite officielle en Russie en octobre dernier, accueilli par Vladimir Poutine en personne, Ahmed al-Chareh a bien demandé que Bachar al-Assad soit livré à la Syrie, mais plus par principe. « C’est hors de leur portée », souligne Igor Delanoë, car Damas a plus besoin de Moscou que l’inverse. Les autorités islamistes qui ont sorti la Syrie de son isolement politique cherchent des fonds pour la reconstruction du pays, dont le coût pourrait dépasser 216 milliards de dollars, selon la Banque mondiale.
La Russie a, sur ce plan, différentes cartes en main. Déjà « le paiement d’un loyer » pour ses infrastructures militaires, rappelle Igor Delanoë. Elle est aussi prête à participer à la reconstruction de la Syrie, et peut travailler dans le secteur pétrolier syrien : « Il y a des gisements qui nécessitent d’être développés, d’autres en sommeil et de nouveaux. Nous sommes prêts également à participer », a déclaré le vice-ministre russe Alexandre Novak, cité par l’agence Ria Novosti.
Une présence militaire bien vue
Une partie des besoins alimentaires de la Syrie dépendent de « la production russe » et « de nombreuses centrales » électriques syriennes ont besoin de « l’expertise russe », a encore fait valoir le président syrien par intérim. La guerre civile (et les bombardements russes) a gravement endommagé les infrastructures électriques, entraînant des coupures pouvant durer plus de 20 heures par jour. Et la colère du peuple gronde face à l’augmentation des prix de l’électricité.
Et puis la présence russe en Syrie n’est pas malvenue, au contraire. Cette « empreinte militaire russe sert de force tampon à l’égard d’autres acteurs en Syrie », explique Igor Delanoë. Les autorités syriennes ont ainsi demandé aux Russes de retourner dans le sud du pays, dans la région du Golan, face à Israël. « Pour éviter les clashs possibles comme on en a vu en décembre dernier » entre l’arme, ajoute le chercheur.