Homme en costume sombre et cravate rouge prenant la parole devant un drapeau de l’OTAN, expression sérieuse dans un contexte diplomatique ou sécuritaire.Capture d’écran

Par Jean Daspry, pseudonyme d’un haut fonctionnaire, Docteur en sciences politiques

La ferveur des convertis 

« Les convertis forment avec les repentis l’espèce la plus dangereuse qui soit: ils mettent tout leur zèle à montrer la fermeté de leur nouvelle conviction » (Charles Dantzig, Dictionnaire égoïste de la langue française).

C’est le moins que l’on puisse dire du jeune Jens Stoltenberg, militant socialiste norvégien manifestant une grande hostilité à l’endroit des armes nucléaires et de l’OTAN qui devient quelques décennies plus tard le zélé défenseur de la cause atlantistes en sa qualité de Secrétaire général de l’OTAN de 2014 à 2024. Le titre de son ouvrage sur son long passage à Bruxelles est révélateur de l’imperium de l’OTAN – des États-Unis, en vérité – sur le monde[1].

La voix de son maître. Jens Stoltenberg nous livre une somme conséquente (500 pages environ) où tout y passe des prémisses de sa nomination au poste très convoité de Secrétaire général de l’OTAN à son départ de Bruxelles après deux mandats et plusieurs prolongations. De toute évidence, ce récit est parfaitement documenté, parfois trop et nous fait pénétrer dans les arcanes de ce haut lieu de la relation transatlantique au fil des crises qui secouent le monde (Afghanistan, Ukraine …) et des successions de Présidents aux États-Unis (Barack Obama, Joe Biden dont il nous décrit les défaillances et Donald Trump) sans parler des élargissements de l’OTAN à la Finlande et à la Suède. À ce titre, il constitue un voyage intéressent et utile pour comprendre le fonctionnement de la lourde machine otanienne. Il traduit également l’impossible émancipation européenne des États-Unis en matière de sécurité.

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Un voyage intéressant et utile au bout de l’OTAN 

Cet ouvrage particulièrement documenté (archives écrites et audios réunies par l’auteur tout au long de la décennie) présente de multiples intérêts pour l’historien moderne et pour l’amateur de relations internationales. Autour de huit chapitres organisés chronologiquement (Les préparatifs de 2013 à 3014 ; les débuts de 2014 à 2016 ; Les fardeaux de 2016 à 2018 ; L’amitié de 2018 à 2019 ; La Démocratie de 2019 à 2021 ; La guerre de 2021 à 2023 ; Partenariat de 2023 à 2024 ; Le départ de mars à octobre 2024), nous avons droit à un panorama des relations internationales utile pour nous rafraîchir la mémoire sur tous les grands évènements marquant de la période considérée. La présentation du conflit russo-ukrainien est bien documentée très en amont dans le temps par de multiples rapports des services de renseignement américains qui avaient bien anticipé l’arrivée d’une guerre.

Le Secrétaire général de l’OTAN nous fournit une documentation originale et inhabituelle permettant de mieux appréhender la problématique de la montée aux extrêmes entre les deux frères ennemis. Par ailleurs, Jens Stoltenberg livre des verbatim de ses entretiens avec les grands de ce monde tels les trois derniers présidents américains (tous insistent sur la nécessité pour les Européens de consacrer plus à leurs efforts de défense) ; Vladimir Poutine et son indéboulonnable ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov (devenant de plus en plus intransigeants et difficiles au fil des ans) ; le Président Voldymyr Zelensky (énergique, dynamique et plein d’humour) ; les responsables de l’Union européenne et de ses États membres (très moutonniers et peu enclins au conflit avec Washington), le président turc Erdogan (toujours inflexible), le président afghan avant la chute de Kaboul (toujours dépassé par la situation) … Il insiste régulièrement sur son désir de « ne pas humilier les Russes ». Ne boudons pas notre plaisir, en dépit de l’abondance de détails inutiles, à la lecture de cet ouvrage exhaustif même s’il n’est pas exempt d’une approche atlantiste évidente. Pouvait-il en être autrement pour un Secrétaire général de l’OTAN choisi et porté par ses mandataires américains ? 

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Dans les rares passages qu’il lui consacre, Jens Stoltenberg égratigne, sans ménagement, Emmanuel Macron, le très tactile Président d’une France toujours en rupture de ban avec l’Alliance atlantique en dépit de sa réintégration de la structure militaire intégrée en 2009. Il lui reproche pêle-mêle de plaider pour une « autonomie stratégique, une « souveraineté européenne » et tant d’autres incongruités alors que la défense de l’Europe est de l’unique ressort de l’Alliance atlantique. L’Union européenne n’a rien à voir dans ces affaires. Crime de lèse-OTAN, Jupiter avait eu l’outrecuidance de prédire que « l’OTAN était en état de mort cérébrale ». Il en a été pour ses frais. L’ex-Secrétaire général lui fait la leçon tel à un gamin mal élevé : « Mon mandat a vu l’alliance contestée, jugée dépassée, en état de mort cérébrale. Pourtant, nous avons tenu bon, quand cela comptait vraiment, et nous avons renforcé notre défense collective comme jamais depuis des décennies. Le monde est devenu plus dangereux. Mais l’OTAN est devenue plus forte » (p. 477). Alléluia !

Le Quai d’Orsay en prend aussi pour son grade : « Au printemps 2021, une réunion à Paris de plusieurs de pays membres et un haut fonctionnaire du Quai d’Orsay a révélé un mécontentement profond à l’égard de ma gouvernance … La France déclarait avoir un « sérieux problème avec moi, disait ce diplomate qui m’accusait d’avoir monopolisé le projet OTAN 2030 … J’étais conscient du mécontentement de la France, mais la virulence des critiques et l’attaque personnelle m’inquiétaient … L’hiver et le printemps 2021 ont ainsi vu se déployer une stratégie visant à me rogner les ailes. Pour faire adopter les réformes et endiguer l’opposition française, un impératif stratégique se dessinait : rallier les États-Unis à notre cause …  J’étais véritablement devenu la cible du scepticisme français envers l’OTAN » (p. 314).

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Reconnaissons à Jens Stoltenberg une grande capacité à dresser un tableau réaliste d’un monde instable caractérisé par le retour de l’Histoire, du réarmement, de la méfiance, de la confrontation, de la rivalité entre grandes puissances … Il ajoute que « si le monde est devenu plus dangereux, l’OTAN est devenue plus forte » ! (p. 476). Au même endroit, il écrit « L’histoire ne se laisse pas prévoir. C’est pourquoi je me garde de prophétiser l’avenir. Plutôt que prévoir ce qui nous attend, il nous faut nous préparer à l’imprévu ». Jugement que nous partageons pleinement. Jugement qui devrait inspirer Jupiter.

Bien que souvent rébarbative par l’inflation de détails de la vie quotidienne dans ce genre de littérature, la lecture de l’ouvrage de Jens Stoltenberg est instructive tant elle permet de comprendre le passé et, qui sait, d’entrevoir un futur incertain pour la sécurité en Europe et l’avenir de la relation transatlantique à court et à moyen terme.

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L’indépendance européenne dans la dépendance américaine 

En définitive, Jens Stoltenberg fut « the right man at the right place » durant la décennie dangereuse qui couvre la période allant de 2014 à 2024. Ce politicien norvégien social-démocrate de haut vol fut parfait dans le rôle d’officiant de rang élevé au sein du temple de la religion atlantiste[2]. Les professions de foi qu’il livre dans sa bible décennale ne laissent place à aucun doute à ce sujet. 

Citons quelques morceaux choisis des Saintes Écritures rédigées à Washington et mises en musique à Bruxelles par les « idiots utiles » européens adeptes de la Servitude volontaire chère à La Boétie ! « Appartenir à la famille des démocraties occidentales, protégée par la clause de solidarité de l’OTAN et par les États-Unis, revêt une très grande importance dans un pays où beaucoup se souviennent encore de ce que signifiait faire partie de l’Union soviétique » (p. 437). Ce récit se conclut en apothéose ainsi : « Cela dit, à mes yeux, ce livre, au-delà du récit sur les désaccords et les désunions, met en lumière l’importance de l’unité entre l’Amérique du Nord et l’Europe. Vigie du monde est une déclaration d’attachement à l’OTAN, à la coopération internationale, à la grande communauté que nous formons, mon espoir étant que ce livre contribue, à sa manière, à renforcer cette solidarité dont nous dépendons tous » (p. 483).

Dans la langue otanienne, le terme unité signifie bien évidemment alignement inconditionnel sur les désidératas de l’Oncle Sam. Cela va sans dire mais cela va mieux en le disant. Quelle meilleure conclusion pour tous ceux qui seraient tentés par ce cadeau de bienvenue dans le monde enchanté du Nato First !

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Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur

[1] Jens Stoltenberg, Vigie du monde. À la tête de l’OTAN en temps de guerre (2014-2024), Flammarion, 2025.

[2] Jean Daspry, Les dix commandements de la religion atlantiste, www.lediplomate.media , 31 juillet 2025.

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Jean Daspry