l’essentiel
La stratégie nationale de sécurité des États-Unis marque un tournant idéologique majeur. Inspirée du Projet 2025, elle redéfinit la souveraineté et cible la Chine comme menace centrale. Cette approche assure-t-elle une stabilité ou un défi géopolitique accru ?

En dévoilant leur stratégie nationale de sécurité (National Security Strategy, NSS), signée par Donald Trump en personne, les États-Unis ne publient pas seulement un document d’orientation mais actent une bascule idéologique.

La stratégie nationale de sécurité (National Security Strategy, NSS)

La stratégie nationale de sécurité (National Security Strategy, NSS)
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Et derrière les formules présidentielles et les promesses de « restaurer la force américaine », on devine nettement l’architecture doctrinale du Projet 2025, ce programme de 900 pages concocté par la Heritage Foundation, un cercle de réflexion ultraconservateur, dont Donald Trump avait pourtant assuré qu’il ne constituait pas son programme électoral. La NSS a pourtant bel et bien absorbé ses principales propositions…

Un recentrage stratégique sous couvert de souveraineté

Officiellement, la NSS prétend corriger des décennies d’errance diplomatique. En réalité, elle consacre un retour méthodique à la souveraineté nationale, présentée comme le socle d’un État fragilisé par le multilatéralisme et par une bureaucratie jugée tentaculaire.

Le texte reprend un argument clé du Projet 2025 : trop d’engagements, trop de normes, trop de dépendances ont dilué la capacité américaine à hiérarchiser ses priorités.

La Chine, pivot autour duquel tout se réorganise

Rien n’est laissé au hasard : technologies critiques, routes maritimes, chaînes d’approvisionnement, opérations d’influence, etc. Pékin devient la clé de lecture de l’ensemble de la politique étrangère américaine.

Cette centralité n’est pas nouvelle, mais la NSS lui donne un caractère systémique, conforme au Projet 2025, qui érige la Chine en menace totale – économique, militaire, normative. Officiellement, Washington veut « un Indo-Pacifique libre et ouvert ». Implicitement, il s’agit d’un affrontement structurant pour les décennies à venir.

La frontière comme impératif stratégique

La partie de la NSS sur les frontières est l’un des glissements les plus significatifs. Pour la première fois depuis la fin de la Guerre froide, une stratégie nationale américaine intègre la gestion des frontières au cœur de la sécurité extérieure. Migration, trafic, influence étrangère : la NSS reprend presque littéralement la logique du Projet 2025, qui fusionne sécurité intérieure et politique internationale.

L’objectif affiché – « reprendre le contrôle » – traduit surtout la conviction qu’une nation vulnérable chez elle ne peut projeter sa puissance ailleurs. Le message est désormais clair et assumé.

Alliances : entre réaffirmation et mise en demeure

La NSS ne renonce pas aux alliances, mais elle les requalifie. Officiellement, Washington « soutient la liberté et la sécurité de l’Europe ». Mais cette formule prudente masque une condition : chaque engagement doit désormais prouver son utilité stratégique. L’Europe n’est plus un partenaire naturel, mais un acteur sommé de contribuer davantage. Sur l’Ukraine, la NSS reflète les hésitations du camp conservateur : soutien limité, responsabilité accrue des Européens, refus d’un engagement sans bornes.

La NSS est-elle finalement une stratégie ou un projet politique ? C’est toute la question. Derrière les objectifs annoncés – restaurer la puissance, garantir la paix, protéger l’Amérique – se dessine une cohérence plus profonde : celle d’un pays qui redéfinit ses priorités en fonction d’un projet idéologique structuré. La NSS devient alors plus qu’un document stratégique mais un manifeste ordonné, inscrit dans une vision unifiée de la souveraineté, de la puissance et de la menace.

Reste l’interrogation centrale : cette reprise presque intégrale des thèses du Projet 2025 marque-t-elle le retour d’une Amérique sûre d’elle ou l’installation durable d’une géopolitique de la défiance ? Au fond, c’est une autre manière de poser la question qui traverse tout le texte : qu’advient-il d’une puissance qui se replie pour mieux s’affirmer ? Une promesse de stabilité. Ou un pari risqué sur l’avenir de l’ordre international.