Les États-Unis ont annoncé le 5 décembre dernier la signature d’un protocole d’accord avec le Rwanda portant sur une coopération bilatérale en matière de santé pour une durée de cinq ans. L’arrangement prévoit un appui financier total de 196 millions d’euros, combinant des fonds américains et un effort budgétaire accru de Kigali.
Il s’agit du deuxième dispositif de ce type en moins d’une semaine. Un accord distinct a été conclu peu auparavant avec le Kenya et instaure un cadre de coopération sanitaire de 2,1 milliards d’euros sur cinq ans, dont jusqu’à 1,3 milliard d’euros d’appui américain et 730 millions d’euros de cofinancement kényan. Ces annonces confirment que l’Afrique est la première zone de déploiement du nouveau modèle d’aide sanitaire américaine.
Le partenariat avec le Kenya
Washington présente l’accord avec Nairobi comme le premier de ce genre depuis la réorganisation de son architecture d’aide étrangère sous l’administration Trump. Le texte prévoit un soutien à plusieurs programmes considérés comme prioritaires, notamment la lutte contre le VIH/sida, la tuberculose, le paludisme, l’éradication de la polio, la santé maternelle et infantile, la surveillance des maladies et la préparation aux flambées épidémiques.
De son côté, le Kenya s’engage à accroître ses dépenses nationales de santé, avec l’objectif clairement affiché de réduire progressivement la part relative du financement américain. « Le Kenya accueille favorablement ce partenariat et le co-investissement qu’il représente », a indiqué Aden Duale, ministre de la Santé du pays.
Le texte détaille plusieurs mécanismes jugés innovants. L’approvisionnement en médicaments et équipements médicaux doit être progressivement transféré du gouvernement américain vers les autorités kényanes, avec un appui technique pour renforcer les systèmes d’achat et de distribution. Les personnels de santé financés jusqu’ici par des programmes américains (infirmiers, agents communautaires et autres travailleurs de première ligne) seront également progressivement intégrés à la masse salariale publique, une étape présentée comme importante dans la mise en œuvre de la couverture sanitaire universelle.
Le Rwanda, nouveau terrain de coopération bilatérale
Le département d’État présente l’accord avec le Kenya comme un modèle et le partenariat en cours de discussion avec le Rwanda s’inscrit dans la même logique.
En effet, l’arrangement quinquennal de 196 millions d’euros est censé « sauver des vies », « renforcer le système de santé rwandais » et « rendre l’Amérique plus sûre, plus forte et plus prospère ». Derrière ces formulations, le document décrit une coopération structurée autour de plusieurs volets complémentaires.
Sous réserve de l’accord du Congrès, Washington prévoit ainsi de mobiliser des fonds pour soutenir au Rwanda la lutte contre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies infectieuses, ainsi que le renforcement des capacités de surveillance épidémiologique. Kigali s’engage pour sa part à augmenter ses dépenses de santé afin d’assumer progressivement une part croissante du financement de ses services. Le protocole prévoit aussi un transfert progressif des fonctions auparavant exercées par des organisations non gouvernementales vers les structures publiques, avec pour objectif que le Rwanda assume la pleine responsabilité de la réponse au VIH d’ici la quatrième année.
Le cadre de coopération comporte entre autres une dimension technologique assumée. Le texte mentionne par exemple un contrat attribué en novembre 2025 à Zipline International, entreprise américaine spécialisée dans les drones de livraison médicale, afin de soutenir la construction de robots et d’infrastructures logistiques pour la distribution de produits de santé. Un financement spécifique de 8,5 millions d’euros est également prévu pour Ginkgo Bioworks afin de renforcer la surveillance biologique et la détection rapide des agents pathogènes.
Un nouveau visage pour l’aide sanitaire américaine
Les partenariats évoqués avec Nairobi et Kigali s’inscrivent dans un cadre plus large défini par la stratégie America First Global Health Strategy adoptée en septembre 2025. Dans ce document, Washington indique avoir consacré plus de 175 milliards d’euros à l’aide sanitaire internationale depuis 2001, soit environ un tiers de l’aide mondiale dans ce domaine. Les autorités américaines estiment que ces financements ont permis de sauver près de 26 millions de vies et d’empêcher 7,8 millions de bébés de naître avec le VIH, à travers notamment le plan d’urgence PEPFAR.
Le document stratégique souligne cependant que moins de 40% des financements sont liés aux fournitures médicales et aux personnels de santé de première ligne. Environ 25% des fonds seraient consacrés à l’achat de produits médicaux et près de 15% à la rémunération d’environ 270 000 travailleurs de première ligne. Le reste financerait des structures d’assistance technique, de gestion et de coordination. Selon cette analyse, cette architecture aurait conduit à la création de systèmes parallèles et à une dépendance durable de certains pays bénéficiaires.
La stratégie fixe trois priorités. La première est de renforcer la sécurité sanitaire des États-Unis à travers un réseau bilatéral de surveillance capable de détecter rapidement les flambées épidémiques. La deuxième est de faire de l’aide sanitaire un outil de politique étrangère destiné à consolider les liens avec des pays considérés comme stratégiques. La troisième vise à promouvoir l’adoption de technologies de santé américaines, qu’il s’agisse d’outils numériques, de biotechnologies ou de médicaments innovants.
Cette approche bilatérale, qui contourne en partie les agences multilatérales, est explicitée dans les termes employés par le Secrétaire d’Etat américain Marco Rubio. « Nous n’allons pas dépenser des millions de dollars pour financer le complexe industriel des ONG alors que des partenaires proches et importants comme le Kenya n’ont que très peu d’influence sur l’utilisation des fonds alloués à la santé. En résumé, si vous voulez aider un pays, travaillez avec ce pays, et non avec un tiers. », explique-t-il.
Enjeux et questions
Les premiers accords signés avec le Kenya et le Rwanda donnent un aperçu de la manière dont cette stratégie pourrait être déclinée dans les pays africains. Ces partenariats introduisent des volumes importants de ressources nouvelles mais impliquent aussi des engagements financiers supplémentaires de la part des gouvernements, qui devront progressivement assumer une part plus importante des dépenses aujourd’hui couvertes par l’aide extérieure.
Pour l’Afrique, l’enjeu sera d’inscrire ces nouveaux cadres dans une perspective de souveraineté sanitaire, où le renforcement des capacités nationales reste central et où l’accès à des solutions innovantes ne crée pas une dépendance accrue à l’égard d’un nombre limité de fournisseurs. Pour les États-Unis, la mise en œuvre de cette stratégie sera observée à travers sa capacité à concilier les objectifs de sécurité nationale et de politique étrangère avec l’ambition affichée de soutenir des systèmes de santé plus solides et plus durables dans les pays partenaires.