Après avoir passé des années à avoir peur de manquer une info ou un événement à cause de ce fameux FOMO (fear of missing out), 2025 a vu émerger un nouvel acronyme. Loin de la légèreté, c’est le FOFO (fear of finding ou littéralement « peur de découvrir quelque chose qui est arrivé » dans le langage courant des jeunes, à tel point que Babbel l’a même classé dans les mots qui ont marqué 2025.
Un mot qui n’est pas une simple tendance linguistique, et qui reflète surtout les maux de notre époque : celle d’une génération qui préfère ne surtout pas savoir plutôt que d’apprendre une mauvaise nouvelle.
Quand la peur de savoir, dépasse la peur de rater
« La montée du FOFO est un exemple de ce que l’on appelle un néologisme par analogie. Ce terme est directement calqué sur FOMO, qui s’est enraciné dans notre lexique courant. FOFO s’appuie sur la structure reconnaissable de FOMO ou bien YOLO : le motif consonantique redoublé et le format acronyme de quatre lettres, ce qui le rend immédiatement lisible et mémorisable » explique Noël Wolf, experte culturelle et linguistique chez l’application d’apprentissage des langues Babbel. Mais plus qu’un mot facile à retenir, le FOFO témoigne d’un véritable évitement médical : retarder une prise de sang, repousser un dépistage, annuler un rendez-vous par peur d’apprendre une mauvaise nouvelle.
Selon un sondage américain, trois adultes sur cinq aux Etats-Unis évitent des examens médicaux. Une seconde étude américaine menée en 2025 indique que seulement 51 % des adultes ont réalisé un dépistage ou un rendez-vous de routine dans l’année, soit 10 % de moins qu’en 2024. Le Time rappelle pourtant que le FOFO n’est pas un diagnostic médical, mais un mécanisme psychologique bien identifié par les spécialistes : « beaucoup de gens ont peur du résultat », explique Steven Taylor, professeur et clinicien, cité par le magazine. L’anxiété paraît paradoxalement devenir un moteur d’inaction : ne pas savoir, ne pas avoir à affronter.
En France, par exemple, un sondage avec OpinionWay de 2023 montrait que moins d’une femme sur deux réalise son dépistage du cancer du sein, alors même que détecté tôt, il se guérit dans 9 cas sur 10 : beaucoup repoussent simplement par peur du résultat.
La FOFO, un phénomène anxieux et culturel ?
Pour Noël Wolf, si ce terme « est apparu dans des contextes médicaux et psychologiques, pour décrire des patients qui évitent les dépistages de santé par crainte, il s’est depuis élargi pour englober l’évitement financier, l’anxiété relationnelle, voire le changement climatique. Le terme désigne aujourd’hui une tendance humaine générale à fuir les vérités qui dérangent ». Ce n’est pas seulement un « buzzword », mais une manière d’exprimer collectivement ce que l’on n’arrive pas à formuler autrement. Et ce terme s’étend déjà aux autres champs, comme celui des finances (« Je ne veux pas ouvrir mon relevé bancaire »), administratif («je ne veux pas ouvrir ce courrier »), résultats scolaires… Toutes ces situations ont en commun la même logique : éviter la réalité lorsqu’elle risque d’être désagréable.
Pour la psychologue Lynn Bufka (American Psychological Association), également citée par le Time, « Beaucoup d’anxiété pousse à éviter ce qui fait peur ». On croyait vivre dans un monde où nous redoutions de manquer quelque chose ; nous voilà dans un monde où nous préférons ne pas savoir.
Un « bouclier psychologique »
Bien sûr, les conséquences médicales sont très concrètes : le FOFO crée une perte de chance de guérison en retardant certains diagnostics. Les spécialistes recommandent de faire l’inverse : planifier plusieurs examens en même temps, se faire accompagner, ou consulter un psychologue lorsque la peur devient handicapante.
Mais l’intérêt du terme n’est pas seulement clinique : il raconte un rapport contemporain à l’incertitude, à l’avenir, au risque. Et si, en France, ce FOFO prenait d’autres formes ? Si l’on repoussait certains sujets collectifs par peur de ce qu’ils impliqueraient ? Santé, crise écologique, choix politiques, échéances électorales ?
« Le timing n’est pas anodin. Nous vivons à une époque d’abondance d’informations et de boucles de rétroaction continues. La capacité à s’informer n’a jamais été aussi grande, ce qui, paradoxalement, intensifie la peur de le faire. FOFO saisit une tension typiquement contemporaine : nous avons un accès sans précédent à la connaissance de nous-mêmes, mais choisissons parfois l’ignorance comme bouclier psychologique », explique Noël Wolf.
Le FOFO n’est pas une simple évolution de vocabulaire, c’est un thermomètre sociétal. Le fait que Babbel en fasse un « mot de l’année » n’en fait pas simplement une tendance TikTok, mais à une transformation profonde : la peur d’affronter les vérités inconfortables. « D’un point de vue sociolinguistique, la propagation virale du terme cette année témoigne de l’agilité de l’innovation linguistique et du lien profond entre les mots et le monde que nous habitons », conclut Noël Wolf.