Publié le
9 déc. 2025 à 18h08
Avant les allées du Space et les délégations étrangères, il y eut la terre lourde de Plusquellec, les vaches laitières et la salle de traite peinte en bleu. Anne-Marie Quéméner y replonge, presque naturellement, comme on retourne vers un socle. Son père Léon élevait une cinquantaine de vaches en Centre-Bretagne. « J’ai grandi au milieu d’elles. Je faisais la traite, je m’occupais des veaux et des génisses, j’aidais ma mère Thérèse. »
L’apprentissage de l’engagement
Cette ferme fut aussi un laboratoire rural. Léon, l’un des premiers du secteur, avait construit lui-même une salle de traite 2*3, symbole d’une envie d’avancer, de s’adapter. « Très vite, je pouvais traire seule. C’est là que j’ai compris ce qu’était l’engagement agricole. »
Le destin pourtant bifurque. Sa mère ne souhaite pas que les enfants reprennent l’exploitation, trop exigeante, trop prenante. Les études supérieures s’imposent, comme une porte ouverte vers un ailleurs.
Des langues au commerce international
L’ailleurs prend la forme de l’apprentissage des langues : espagnol, anglais, japonais. Une licence à Angers, une année en traduction, puis un premier stage chez Catimini, « à Saint-Macaire-en-Mauges, où j’allais avec ma première voiture, une 104 », à traduire des documents techniques, qui lui révèle ce qu’il lui manque : le lien avec le commerce, l’élan vers l’extérieur.
Le monde agricole doit beaucoup à l’équipe.
Anne-Marie Quéméner, commissaire générale du Space
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Sup de Co ouvre alors un cycle dédié au commerce international. Elle y entre, s’y trouve bien, et en 1993, un stage au Space se présente. Un salon déjà ancré dans le professionnalisme, mais qui cherche à renforcer sa dimension internationale. Sa mission : développer l’international, structurer l’accueil de la presse étrangère, comme le faisait déjà Agromek au Danemark. « Nous avions cinq journalistes étrangers à l’époque. Ils sont cent aujourd’hui. »
La jeune stagiaire plonge immédiatement. Quelque chose se referme en boucle : l’agriculture la rattrape, mais sous une autre forme, celle d’un lieu où les agriculteurs se retrouvent, montrent, inventent. Elle n’est jamais repartie.
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Construire un salon au service des éleveurs
Pour Anne-Marie Quéméner, le Space n’est pas un événement mais une mission. « Le leitmotiv, c’est eux d’abord. Quand on ouvre les portes le premier jour et que tout est prêt pour accueillir, je me dis : maintenant, c’est à vous. »
Au fil des années, elle navigue entre communication, dimension internationale et construction d’un salon devenu référence mondiale.
Le Space devient le lieu où elle met en œuvre ce qu’elle a reçu de son enfance : la volonté de servir les agriculteurs. Elle insiste sur l’exigence collective qui anime l’équipe : faire un salon utile, accueillant, professionnel. « Eux d’abord ». Trois jours d’événement, mais une année entière de préparation. Une mécanique de détails, d’engagements, de compétences qui, selon elle, fait la réputation mondiale du Space.
Dans ses souvenirs, reviennent les visages de ceux qui ont bâti cette réussite : Joseph Jouzel, disparu à la veille du Space 2016, « un homme extraordinaire » ; Paul Kerdraon, vingt ans de travail et de confiance ; Jean-Michel Lemétayer et son humour bienveillant. Et Marcel Denieul. Tous ont façonné le salon, et chacun a compté dans sa trajectoire.
Cet insigne, je le reçois comme une reconnaissance du travail de toute l’équipe. Et aussi du milieu d’où je viens. Une médaille pour les agriculteurs du Centre-Bretagne.
Anne-Marie Quéméner
Derrière les trois jours d’effervescence, elle rappelle l’ombre portée des mois de préparation, la somme de détails qui tissent une édition. « Le monde agricole doit beaucoup à l’équipe. Tous nos partenaires veulent que le salon fonctionne. »
Aujourd’hui, 1 200 exposants font chaque année le choix de Rennes, preuve d’une fidélité bâtie dans le temps long.
Un parcours reconnu, mais au nom des autres
Recevoir l’insigne d’officier du Mérite agricole, le 12 décembre, n’est pas pour elle un aboutissement personnel. Plutôt un signe adressé à ceux qui l’ont portée. « Je le reçois comme une reconnaissance du travail de toute l’équipe. Et aussi du milieu d’où je viens. Une médaille pour les agriculteurs du Centre-Bretagne. »
Elle évoque les sacrifices, notamment lorsque les déplacements internationaux la tenaient éloignée de ses enfants. « C’est un parcours passionnant, mais exigeant. Je l’accepte pour ce qu’il représente pour l’élevage. »
Elle garde également en mémoire cette image de l’inauguration 2024 : deux femmes au milieu d’une majorité d’hommes, la commissaire générale du Space et la ministre de l’Agriculture. « Les femmes doivent se sentir légitimes. J’ai confiance dans les générations qui arrivent. »
Revenir à l’essentiel : les agriculteurs du Centre-Bretagne
Et toujours, elle revient à la terre. Pour Anne-Marie Quéméner, l’agriculture bretonne traverse des mutations profondes. « Mais je garde confiance. Les agriculteurs ne doivent pas rester seuls. La force de notre région, c’est la construction collective. »
Elle pense aux crises, aux incertitudes, aux attentes fortes vis-à-vis du monde politique.
Et elle pense surtout à ceux de Plusquellec, du cœur de la Bretagne, qui continuent malgré tout. « Cette médaille, elle est pour eux. Elle porte la mémoire de leur travail. »
Au fond, cette décoration n’est pas un point final. Plutôt un signe de fidélité à ce premier paysage où tout a commencé : une ferme en Centre-Bretagne, une salle de traite bleu vif, et une enfant qui aidait sa mère à nourrir les veaux.
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